L’indépendance, une valeur vétérinaire cardinale à défendre - La Semaine Vétérinaire n° 1939 du 08/04/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1939 du 08/04/2022

Exercice

ANALYSE GENERALE

Le Conseil national de l’Ordre des vétérinaires a dévoilé des propositions fortes pour protéger et accompagner la profession en mettant en place des dispositifs de soutien du vétérinaire et de contrôle de son indépendance.

L’indépendance, clé de voûte de l’exercice vétérinaire ? Oui, répond sans détour le Conseil national de l’Ordre des vétérinaires (CNOV). Selon l’instance ordinale, cette question de l’indépendance des vétérinaires doit être posée, notamment au regard des règles de détention du capital des sociétés d’exercice vétérinaire, surtout par des tiers, à savoir des personnes extérieures à la profession. Ainsi, pour garantir l’indépendance des vétérinaires face à l’arrivée des chaînes et des groupes, le CNOV vient de publier un guide entièrement consacré à ce thème. « L’action du vétérinaire va au-delà des actes de médecine et de chirurgie. Nous devons faire attention à ce que le “faire des soins” ne prenne pas le pas sur le “prendre soin” », a déclaré Jacques Guérin, président de l’Ordre, lors de la présentation de ce document le 31 mars dernier à Paris. Tout l’intérêt de ce travail est de permettre à chacun d’y voir plus clair puisque l’Ordre propose une définition de l’indépendance et détaille les moyens à mettre en œuvre pour la préserver et la contrôler. Des recommandations somme toute innovantes qui aboutiraient pour certaines à une mise à jour d’une partie du code de déontologie.

Mais de quelle indépendance s’agit-il ? L’Ordre apporte sa pierre à l’édifice pour mettre fin à des imprécisions terminologiques voire des incohérences entre le code rural et de la pêche maritime et le code du commerce, et ainsi limiter les divergences d’interprétation notamment en cas de contentieux soumis au Conseil d’État. « La question est que nos établissements de soins ne deviennent pas des machines à soins ou des usines à boulons. Nous sommes convaincus que le périmètre de l’exercice professionnel ne se réduit pas au fait de donner des soins à un animal », précise Jacques Guérin. Selon l’Ordre, pour un vétérinaire, l’indépendance s’entend comme son obligation de se référer uniquement à ses connaissances scientifiques et à son expérience avec, comme objectifs indissociables, les intérêts de l’animal et de la santé publique ainsi que les intérêts des clients, propriétaires ou détenteurs des animaux entre autres. Ainsi, à l’exception de raisons impérieuses d’intérêt général, personne, pas même les clients, propriétaires d’animaux de compagnie, éleveurs ou organisations de production, ne commande aux vétérinaires leurs actes professionnels ni, a fortiori, leurs ordonnances. Cette obligation d’indépendance du vétérinaire s’exerce évidemment dans ses actes de médecine, de chirurgie et de pharmacie vétérinaire. Elle s’exerce aussi dans ceux de gestion induits, dans la gouvernance de l’entité d’exercice, sa direction, les horaires d’ouverture, les tarifs, les investissements, l’embauche des collaborateurs, la formation, les achats…

« Pour les clients, il n’est pas concevable que les intérêts du vétérinaire soient prépondérants par rapport à l’intérêt de l’animal ou de son détenteur », explique le président de l’Ordre. Alors quels sont les leviers à mobiliser face à une indépendance de la profession mise à mal ? La pédagogie et les rappels de la réglementation ne suffisent plus. À ce jour, l’instance ordinale reconnaît ne pouvoir effectuer qu’une surveillance passive, une prérogative qui a d’ailleurs rapidement montré ses limites notamment lors de litiges avec des groupes internationaux. « Nous sommes en contentieux avec un certain nombre de sociétés vétérinaires car nous n’interprétons pas la réglementation de la même façon. Aujourd’hui, nous prononçons des radiations administratives, mais nous ne les appliquons pas en attendant la position du Conseil d’État », regrette Jacques Guérin. Plus précisément, il s’agit de faire évoluer une réglementation parfois contournée. Autrement dit, le cadre réglementaire actuel est-il à bout de souffle ? « L’Ordre n’a pas de pouvoir d’investigation, ni de contrôle et ne peut faire que de la surveillance passive. Les informations que nous recevons et sur lesquelles nous pouvons fonder des avis ou des procédures disciplinaires ne sont que le fruit des éléments qui nous sont transmis. » En conséquence, la résolution de certains contentieux peut prendre plusieurs années, parfois plus de 10 ans comme l’a rappelé Jacques Guérin. Ainsi, l’Ordre veut passer d’un contrôle passif de l’indépendance à un contrôle actif. Le Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL) plaide également pour cette évolution. Dans son sillage, l’Ordre propose d’envisager la création « d’une instance de contrôle de l’indépendance adaptée et efficace ». Concrètement, « ce contrôle pourrait prendre la forme d’audits obligatoires, réalisés directement par l’Ordre ou, indirectement, par un organisme habilité sous contrôle de l’Ordre, à l’instar de ce qui peut exister chez les éleveurs “bio” régulièrement inspectés sur le respect des obligations de l’agriculture biologique. » L’instance ordinale considère qu’il s’agirait d’un réel avantage pour les vétérinaires qui « pourraient tirer un véritable bénéfice de ces contrôles en leur permettant de détecter précocement ou de prévenir des situations à risque de perte d’indépendance ou de conflits d’intérêts susceptibles de conduire à une méfiance de leurs clients. » Toutes les structures vétérinaires seraient concernées par ces audits.

« Aucune (NDLR : structure vétérinaire) ne devrait a priori être exclue, surtout si la surveillance passive amène à identifier un risque de perte d’indépendance. Ces contrôles pourraient devenir systématiques lors des changements d’actionnaires, puis être répétés, par exemple tous les trois à cinq ans, selon la taille de la structure et les risques de perte d’indépendance comme l’appartenance à un grand groupe », est-il précisé dans le guide de l’Ordre sur l’indépendance professionnelle. S’il ne s’agit encore que d’une proposition, le CNOV se dit prêt à endosser ce rôle de garant actif de l’indépendance de la profession. À la question de savoir si un tel dispositif ferait de l’ombre aux contrôles effectués par les services de l’État, l’Ordre répond qu’il sera au contraire complémentaire. Encore faudrait-il définir concrètement les rôles de chacun dans le contrôle des sociétés vétérinaires. Pour Jacques Guérin, cette question reste entière à l’heure actuelle. « Personne ne se sent investi de la surveillance des sociétés vétérinaires. La Direction générale de l’alimentation s’occupe plutôt du vétérinaire personne physique et le ministère des Finances ne se sent pas investi de cette mission. L’Ordre, qui est en charge de tenir la liste des sociétés vétérinaires, est certainement le plus acteur de l’analyse, du contrôle et de la conformité de ces sociétés. » Il a d’ailleurs transmis son rapport aux ministères susvisés. En outre, le CNOV compte s’inspirer des dispositions applicables aux vétérinaires du Québec et souhaite mettre en avant l’aspect pédagogique de ce dispositif. « Au Québec, Il y a très peu de sanctions. C’est plutôt la médiation qui est mise en place au sein de ces sociétés plutôt que des sanctions », rassure Jacques Guérin.

D’autres recommandations visent, quant à elles, à une amélioration de la surveillance passive avec la mise en place de moyens de prévention afin de sensibiliser les vétérinaires à la vigilance quant à leur indépendance et à les encourager à déclarer d’éventuelles atteintes à cette condition indispensable de leur exercice. Pour faciliter la déclaration des litiges, il pourrait être envisagé « de faire une exception à l’obligation des vétérinaires de chercher d’abord à se concilier puis de solliciter une médiation ordinale du président du conseil régional de l’Ordre. Une procédure disciplinaire pourrait être engagée plus facilement sur les cas où l’indépendance professionnelle pourrait être aliénée. » Pour Jacques Guérin, cette option permettrait de faciliter la sortie d’un vétérinaire d’une relation qui heurte son indépendance. En outre, l’instance ordinale propose d’étendre au secteur vétérinaire la protection de la clause de cession ou de conscience. « Sans reprendre les dispositions protégeant les journalistes, lorsque l’indépendance des vétérinaires est mise à mal, et notamment lors d’un rachat de parts d’une société d’exercice vétérinaire par des tiers investisseurs non soumis au code de déontologie, il pourrait être envisagé de créer une disposition légale ou réglementaire similaire permettant de mieux protéger le départ des confrères qui le souhaiteraient. » D’autres propositions concernent la création d’un observatoire où seraient recensées de manière anonyme les suspicions d’atteinte à l’indépendance, ou encore « l’élargissement du comité de direction de ces entreprises à des représentants du personnel salarié, voire des usagers ou des instances de contrôle comme l’Ordre des vétérinaires ou d’autres autorités ».

L’art de l’exercice vétérinaire

Dans son guide sur l’indépendance professionnelle, l’Ordre précise les contours de l’exercice vétérinaire. Celui-ci s’articule autour de trois critères coordonnés et indissociables. D’abord, l’expression d’une compétence et d’une expertise reconnues institutionnellement par un diplôme d’État et s’appuyant sur une expérience pratique. Ensuite, une disposition au Care, laquelle repose sur une pratique du soin irréductible à l’application d’une compétence clinique ou technique dans une situation donnée. Et enfin, la conformité légale, qui correspond à l’inscription au tableau de l’Ordre, à l’application de la réglementation en vigueur, à l’application du code de déontologie, etc. « Il est notable que cette proposition de définition va nécessairement soulever des questions éthiques vis-à-vis de certains types de pratiques vétérinaires. Elle permettra in fine de distinguer les zootechniciens des vétérinaires, les vétérinaires diplômés devenus gestionnaires, investisseurs ou manager, les consultants techniques des soignants en santé animale, etc. Cette distinction passera en partie par l’attestation d’une inclinaison tangible pour le soin, établie comme vocation intrinsèque de l’exercice vétérinaire », précise l’Ordre.

Une profession appelée à définir sa raison d’être

L’Ordre engage une réflexion sur l’évolution de l’entreprise vétérinaire vers des entreprises à mission définissant des ambitions spécifiques, en termes de santé, en fonction de leur activité (santé animale, santé publique, santé végétale, santé environnementale) « sans perdre de vue l’essence même de la notion de mission qui est de faire passer les intérêts de ses parties prenantes avant celles de ses actionnaires, ambition annoncée et gage absolu d’indépendance. » Pour Jacques Guérin, il s’agit de considérer les entreprises vétérinaires comme des entreprises à part. « Catégoriser l’entreprise vétérinaire dans des entreprises à missions particulières permettrait de la protéger de certains conflits d’intérêts. Et de préserver au-delà d’une entreprise commerciale la façon d’exercer de la profession. C’est une des premières propositions que nous devons discuter avec la profession vétérinaire. »

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