Les filières avicoles, entre atouts et défis - La Semaine Vétérinaire n° 1938 du 29/03/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1938 du 29/03/2022

Congrès

ANALYSE MIXTE

Auteur(s) : Tanit Halfon

Ces filières de production animale doivent répondre à de multiples enjeux sanitaires, environnementaux, et de bien-être animal, a-t-il été souligné lors des dernières Journées de la recherche avicole et palmipèdes à foie gras.

Quelles sont les perspectives des filières avicoles françaises ? Des éléments de réponse ont été apportés lors des 14es Journées de la recherche avicole et palmipèdes à foie gras qui se sont tenues les 9 et 10 mars derniers à Tours. Premier constat : si notre modèle global d’agriculture et d’élevage, développé après-guerre, a permis de gagner en productivité et en efficience via une intensification et une spécialisation des systèmes et des régions, il a désormais atteint ses limites, a souligné Jean-Louis Peyraud, directeur de recherche à l’Inrae. Pour l’élevage, il s’agit notamment de limites environnementales, comme la pollution en nitrates des sols. Les modèles d’élevage sont aussi remis en question par la société, et cette demande sociétale est relayée au niveau politique. Dans le pacte vert de l’Union européenne, il y a « des ambitions fortes, -50 % de pesticides, -50 % d’antibiotiques, -50 % d’émissions de gaz à effet serre, -20 % de fertilisation, et plus de surfaces libres pour la biodiversité et pour le bio », a indiqué le chercheur. L’élevage a un rôle majeur à jouer dans ces changements vers plus de durabilité, a-t-il soutenu. D’abord parce qu’il permet de recycler des biomasses non consommables par l’humain, ensuite parce qu’il procure des engrais organiques et enfin car il facilite la diversification des rotations des cultures (et donc moins d’usage de pesticides) étant donné que l’animal « est capable de manger à peu près tout ».

Qu’en est-il de l’élevage avicole ? Il s’agit de l’élevage le plus efficient dans les filières animales en termes d’émissions de CO2 (volaille 5,7 kg eq-CO2/100 g de protéine, œuf 4,2 kg contre 50 kg pour le bœuf), d’efficience de conversion des protéines végétales en protéines animales (0,45 kg de protéines de poulet par kg de protéines végétales consommées contre 0,1 pour le bovin en extensif) et d’utilisation des surfaces (300 kg de protéines de volailles par hectare mobilisé pour nourrir les animaux contre 30 à 70 kg pour la viande bovine). L’élevage de volailles est également assez peu en compétition avec l’alimentation humaine : 21 à 28 % de son alimentation sont en compétition. Mais contre 4 à 15 % pour les bovins et ovins viande : si ces derniers peuvent ne consommer que de l’herbe, « les volailles bénéficient d’une efficience biologique très bonne et une fraction consommable dans la carcasse sans commune mesure avec les bovins ». En matière environnementale, des progrès restent toutefois à faire au niveau des ressources en protéines, l’élevage avicole étant le plus dépendant du soja importé.

À ces enjeux environnements s’ajoutent ceux liés au bien-être animal, « un des moteurs majeurs de l’évolution des élevages », a soutenu le chercheur. Dans cette optique, des avancées ont eu lieu mais elles sont encore à poursuivre, notamment en ce qui concerne la résilience des animaux et leur robustesse, la qualité des logements ou encore les indicateurs de bien-être. L’aval est particulièrement moteur sur cette question, et pousse aujourd’hui à l’élaboration de cahiers des charges spécifiques, alors qu’historiquement, l’évolution des cahiers des charges était plutôt du fait de l’amont. Dans cette nouvelle dynamique, les exigences sont très élevées avec l’objectif de les appliquer à de grands volumes de production pour en faire le nouveau standard de production, ont expliqué François Cadudal, directeur du pôle économie et prospective de l’Itavi, et Claude Toudic, ingénieur à Hubbard. Ils ont entre autres cité l’exemple des Pays-Bas, où l’association de protection animale Dierenbescherming est à l’origine du label de bien-être animal Better Leven. Introduite en 2007, cette marque a 3 niveaux de qualité, symbolisés par 3 étoiles, sachant que les deux 1ers niveaux représentent la quasi-totalité de la production. C’est aujourd’hui une référence sur le marché de la GMS (grande et moyenne surface) représentant 2,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2018, avec une forte croissance en porcs et œufs de consommation. Pour le poulet, la proportion de Better Leven est de 20 %. Dans ce système, le bien-être n’est pas synonyme d’élevages de petite taille. Le modèle dominant en volailles est un élevage de 2 000 à 2 400 m2 avec 16,6 à 25 % de jardins d’hiver, et des enrichissements simples et peu coûteux. Aujourd’hui, tous les distributeurs néerlandais se sont engagés à vendre, d’ici 2023, de la viande de poulet au minimum Better Leven 1 étoile. Ce système amène toutefois à un surcoût de 40 % par rapport au poulet standard. De plus, il est également associé à une baisse de la productivité annuelle de -20 à -60 % suivant les systèmes d’élevage de départ. Ceci dit, cette évolution s’inscrit bien dans la volonté politique néerlandaise de réduire la production animale dans le pays, en lien avec des contraintes environnementales.

Mais le plus gros défi à relever pour les filières avicoles pourrait être sanitaire. En effet, depuis 2015, elles ont été confrontées à 4 épizooties d’influenza aviaire hautement pathogène, ce qui a fait l’objet d’une table ronde lors du congrès. Pour la crise actuelle, Virginie Alavoine, cheffe du service des actions sanitaires à la Direction générale de l’alimentation, a d’ailleurs reconnu que, si le nombre d’introductions de virus est relativement limité, grâce notamment aux mises à l’abri, « nous sommes en échec sur notre capacité à maîtriser le risque de diffusion, et on aura besoin d’expertise scientifique pour expliquer ce qu’il se passe actuellement. Se pose aussi la question, outre le renforcement de la biosécurité, du développement d’autres outils comme la vaccination ».

Selon les autres participants, malgré les progrès notables, il y a encore des améliorations importantes à faire en termes de biosécurité avec, sur le terrain, des difficultés constatées d’appropriation des concepts par tous les intervenants en élevage. De plus, ces crises ont fait prendre conscience de la nécessité de revoir les pratiques, avec les claustrations des volailles pendant la période à risque et la diminution des lots d’animaux. Ainsi, dans le Sud-Ouest cette année, les mises en place de canards ont baissé de près de 30 % (nombre de lots), ce qui a permis de réduire l’ampleur de la crise dans cette zone. Au-delà de ces mesures individuelles, il apparaît clairement que la maîtrise du risque devra aussi passer par une approche plus collective et concertée entre professionnels à l’échelle d’un territoire, que ce soit en matière d’aménagement (baisse de la pression en volailles) ou en politique de dépeuplement. « Il vaut mieux se couper un doigt plutôt qu’un bras, pour éviter la diffusion du virus », a affirmé Jean-Louis Zwick, d’Anvol, prônant des mesures précoces et plus drastiques de dépeuplement.

Relever tous ces défis nécessitera de mener des recherches afin de dépasser les antagonismes et de trouver des pistes de compromis, a souligné Jean-Louis Peyraud. « Aux acteurs des filières animales et au monde des décideurs politiques de trancher ensuite entre ces différentes pistes ». Des politiques publiques volontaristes sont aussi nécessaires pour stimuler les innovations, a-t-il indiqué. C’est chose faite puisque la nouvelle politique agricole commune (PAC) a introduit des soutiens spécifiques aux filières avicoles, ce qui n’existait pas jusqu’à présent, mais que la France pourra décider d’incorporer ou non dans son plan stratégique. Dans cette nouvelle PAC, les enjeux environnementaux et de bien-être animal sont centraux pour l’attribution des aides.

Ceci étant dit, la viande de volaille reste toujours largement plébiscitée par les consommateurs. À l’échelle européenne, elle est la 2e viande la plus consommée après le porc, et sa consommation est en constante augmentation.

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