Attention au risque de diphtérie à Corynebacterium ulcerans - La Semaine Vétérinaire n° 1937 du 22/03/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1937 du 22/03/2022

Zoonose

ANALYSE CANINE

Auteur(s) : Tanit Halfon

Les chats et chiens peuvent être porteurs sains de cette bactérie transmissible à l’humain, chez qui elle est potentiellement mortelle. Chez l’animal, la bactérie peut être associée à une rhinite chronique, dont elle pourrait être l’agent pathogène primaire.

D’origine bactérienne et à déclaration obligatoire, la diphtérie est une maladie humaine ultra-contagieuse bien connue. Elle était, au XIXe siècle, la première cause de mortalité chez les enfants, et à l’origine d’épidémies de plus ou moins grande envergure associée à des milliers de décès. La symptomatologie est liée à la production de toxine diphtérique gène tox/tox + (voir encadré). Avec la généralisation de la vaccination et un taux de couverture vaccinal élevé en particulier chez les enfants (98 %), la prévalence annuelle de la diphtérie a chuté en France, passant de plus de 45 000 cas annuels en 1945 à moins de 5 cas annuels aujourd’hui, a rappelé Kristina Museux, vétérinaire conseil à Cerbavet, au dernier congrès de l’Afvac en décembre 2021 à Bordeaux. Quel rapport avec les vétérinaires canins ? Parmi les corynébactéries qui sont associées à des symptômes de diphtérie, on trouve Corynebacterium ulcerans qui est une zoonose. Cette espèce bactérienne était autrefois associée à une transmission par les bovins ou des produits laitiers mais aujourd’hui, les animaux de compagnie, chats et chiens en particulier, sont également impliqués.

« Certaines études décrivent une prévalence de 1 à 7 % chez des chiens asymptomatiques », a rapporté la conférencière. Selon elle, C. ulcerans pourrait être une zoonose émergente. En effet, « en France, on constate une émergence de cas autochtones depuis 2014 ». Ces cas sont, pour certains, associés à un contact avec des animaux de compagnie. S’ils sont globalement rares, ils sont graves voire mortels. Cela a été le cas en France1 en 2014 avec une femme de plus de 80 ans, positive pour C. ulcerans tox +, qui est décédée des suites de multiples défaillances organiques. Elle avait été admise à l’hôpital pour sepsis et cellulite extensive. Elle était en contact avec 5 chats, 2 chats de compagnie et 3 chats errants, dont l’un avait une blessure sur le cou. Aucun animal ne présentait de symptôme. Deux des chats errants se sont révélés positifs pour C. ulcerans tox + (écouvillon oculaire et écouvillon pharyngé), avec des analyses génomiques en faveur d’une transmission du chat à l’humain. La femme n’était pas à jour de sa vaccination.

Côté vétérinaire, des données ont été apportées par la conférencière qui a présenté les résultats d’une première étude rétrospective en collaboration avec l’Institut Pasteur. Y ont été répertoriés tous les cas animaux confirmés de C. ulcerans, à Cerbavet et au Centre national de référence, pour la période de 2019 à 2021. Au total, 24 cas de C. ulcerans tox + ont été détectés (10 cas en 2019-2020 et 14 cas en 2020-2021) et 26 cas tox- (11 cas en 2019-2020 et 15 cas en 2020-2021). Pour le premier groupe tox +, il s’agissait surtout de cas de rhinite (6 chats, 1 chien, 3 rats et 1 lapin), suivi de plaies qui ne guérissaient pas ou d’abcès (6 cas), d’otites (4) et de dermatite (3). Huit cas étaient des mono-infections (dont 5 rhinites), et le reste des co-infections, dont 5 avec staphylocoques, ce qui est également décrit en médecine humaine. Les cas étaient répartis sur toute la France, sans regroupement particulier.

Pour le deuxième groupe tox -, il s’agissait surtout de rhinite (4 chats et 3 chiens) et d’otite (7 cas), suivi de dermatite (6), de plaies/abcès (5) et un cas de cystite. Pour ce groupe, il y avait davantage de co-infections avec 12 cas, et seulement 3 cas de mono-infections (2 rhinites et 1 cystite). Si les souches isolées dans ce groupe ne produisaient pas de toxine diphtérique, la conférencière a souligné que d’autres facteurs de pathogénicité peuvent être impliqués (voir encadré).

Trois cas tox + ont pu être suivis : 2 chats et 1 lapin avec une rhinite chronique. « Malgré un traitement antibiotique avec une sensibilité avérée via antibiogramme, un chat et le lapin sont restés porteurs de la bactérie », a-t-elle souligné.

Pour la conférencière, avec 24 cas de C. ulcerans tox + détectés en 2 ans, cette zoonose est un risque qu’il faut avoir en tête en tant que praticien, en particulier vis-à-vis des personnes immunodéprimées ou qui ne sont pas à jour de leur vaccination. De plus, un examen bactériologique semble utile à réaliser en cas de rhinite/plaie/otite/dermatite chronique « dans un laboratoire qui ne considère pas les souches de C. ulcerans comme la flore commensale, mais qui envoie les prélèvements à l’institut Pasteur pour une recherche du gène de la toxine diphtérique ». Pour elle, même si le lien de cause à effet n’est pas avéré, le nombre élevé de mono-infections (11 sur 50) oriente vers une pathogénicité chez l’animal. À ce jour, comme elle le rappelle, il n’existe aucune recommandation de traitement pour l’animal… avec en parallèle des animaux qui peuvent rester porteurs de la bactérie malgré un traitement avec un antibiotique sensible.

Plusieurs espèces bactériennes

À ce jour, trois espèces bactériennes appartiennent au complexe C. diphtheriae et peuvent être porteuses du gène tox codant pour la toxine diphtérique. Les souches tox +, qui produisent la toxine, sont dites toxinogènes.

La plus connue est C. diphtheria, responsable de la maladie épidémique, du fait de sa capacité à transmission interhumaine. Le réservoir est humain. Elle provoque des signes graves, respiratoires et cutanés, dont l’angine pseudomembraneuse aboutissant à des étouffements (obstruction des voies respiratoires par les tissus nécrosés). La forme cutanée se caractérise par des ulcères recouverts de membranes. D’autres atteintes organiques sont possibles (cœur, reins, système nerveux). La deuxième bactérie est C. ulcerans qui peut induire des symptômes similaires, mais elle ne se transmet pas entre humains. Enfin, C. pseudotuberculosis est rare chez l’humain et provoque principalement une lympho-adénite. Elle peut être transmise par les petits ruminants.

Les infections dues aux corynébactéries tox + sont à déclaration obligatoire en humaine.

Attention : toutes les souches tox + ne produisent pas la toxine, mais il peut y avoir une pathogénicité. De la même manière, les souches tox- ne produisent pas la toxine, mais peuvent induire des symptômes, plus ou moins sévères, y compris la production de fausses membranes.

Ne pas négliger la vaccination DTP

La médecine humaine dispose d’une arme de premier choix contre la diphtérie : la vaccination DTP (diphtérie-tétanos-poliomyélite). Elle est obligatoire chez les nourrissons et pour les professionnels de santé. Et plus que recommandé pour tout le monde, en particulier les vétérinaires praticiens et autres salariés des structures vétérinaires, qui peuvent être plus à risque d’exposition pour la bactérie. Attention aussi pour les étudiants vétérinaires ! Au Royaume-Uni, un cas1 de C. ulcerans a ainsi été décrit en 2010 chez un étudiant vétérinaire à jour dans ses vaccins. La source n’a pas été trouvée mais l’étudiant, qui a été guéri, présentait un grand nombre d’expositions potentielles à des animaux possiblement porteurs, dont des animaux domestiques mais aussi de ferme (stage d’agnelage).

Il y a plusieurs rappels de vaccin à faire au cours de sa vie : passées les premières injections obligatoires pendant la période de la petite enfance, les rappels se font à 6 ans, 11-13 ans, 25 ans, 45 ans puis, à partir de 65 ans, tous les 10 ans.

1. https://bit.ly/3Ga0Sub

Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr