Les vétérinaires de zoos, au service de la biodiversité et du bien-être animal - La Semaine Vétérinaire n° 1936 du 15/03/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1936 du 15/03/2022

DOSSIER

Auteur(s) : Dossier réalisé par Lorenza Richard

Conservation de la biodiversité, recherche, pédagogie auprès du public, bien-être animal : ces enjeux occupent une place centrale, en plus des soins aux animaux, dans le quotidien des vétérinaires de parcs zoologiques. Comment y répondent-ils ?

Autrefois uniquement lieux de divertissement au service de la curiosité du public, les parcs zoologiques montraient des animaux capturés dans la nature, qui mourraient parfois rapidement. Désormais, la priorité est au bien-être animal et à la protection de la biodiversité. En plus de leur travail stricto sensu (soins aux animaux, chirurgie, médecine, prophylaxie, etc.), les vétérinaires de zoos sont chargés, dans le cadre de la réglementation, de gérer les problématiques liées à chaque indivu mais aussi à son espèce1. Ces missions ont été présentées par Baptiste Mulot, responsable vétérinaire du parc zoologique de Beauval, lors de la séance de l’Académie vétérinaire de France concernant la résilience de la faune sauvage aux atteintes à la biodiversité du 18 novembre 2021. Elles consistent en « la conservation des espèces ex situ, c’est-à-dire hébergés en parc zoologique lorsqu’il y a un risque de disparition dans leur milieu naturel, la conservation in situ, de façon souvent indirecte par financement d’associations qui travaillent sur place, l’éducation des visiteurs aux besoins des animaux et aux enjeux de protection de la biodiversité, et la recherche », a-t-il indiqué.

« Face à l’accélération du déclin de la biodiversité des écosystèmes, les zoos jouent en premier lieu un rôle important de sauvegarde du vivant, des espèces et de la diversité génétique des individus », a souligné Alexis Lécu, responsable vétérinaire du Parc zoologique de Paris, au cours de la même séance. Les principales menaces sont identifiées : déforestation, pollution, dérèglement climatique, braconnage, maladies, etc.

Cette sauvegarde passe d’abord par une gestion de la reproduction des espèces. Comme l’a expliqué Baptiste Mulot, « la plupart des animaux sont nés en parc zoologique et des échanges sont réalisés avec d’autres zoos afin de préserver une certaine diversité génétique dans le groupe. Cette reproduction ex situ est également menée avec des individus soustraits d’une menace dans leur milieu naturel et permet de maintenir l’espèce viable en vue d’une éventuelle réintroduction, soit pour renforcer les populations, soit pour les reconstituer dans des zones où elles avaient disparu. »

Cette gestion et ces échanges sont possibles grâce au regroupement des parcs zoologiques en associations nationales et internationales, notamment l’Association française des parcs zoologiques (AFdPZ), l’Association européenne des zoos et aquariums (EAZA) et la World association of zoos and aquariums (WAZA). Chacune tient des registres exhaustifs des individus présents dans ses parcs membres ce qui permet d’accumuler des données sur les espèces hébergées (généalogie et données génétiques, pyramide des âges, comparaison de poids entre individus, données de dosages sanguins…). Au sein de l’EAZA, par exemple, des groupes de travail conservent des échantillons de sang et de tissus des animaux pour des analyses génétiques d’espèces et de sous-espèces, ou font des recherches sur la reproduction, notamment in vitro2. Ces données permettent non seulement de gérer les populations ex situ de façon cohérente entre les différents parcs, mais également de mieux comprendre la physiologie d’une espèce afin d’appliquer ces connaissances in situ pour protéger les spécimens qui vivent à l’état sauvage.

Les zoos participent aussi à la sauvegarde des populations en étant des acteurs de la recherche sur les maladies infectieuses, « qui ont un impact majeur sur les faibles populations, surtout si d’autres risques coexistent. Certaines espèces doivent ainsi être soustraites à un risque infectieux qui les met en danger d’extinction », a expliqué Alexis Lécu. Il donne l’exemple de la grenouille de Montserrat (Leptodactylus fallax), amphibien endémique de cette île des Caraïbes, aussi appelée grenouille « poulet des montagnes », menacée par la chytridiomycose. Les vétérinaires ont fait reproduire des individus en parc zoologique avant leur réintroduction dans leur milieu. Pour la recherche, les animaux de parcs peuvent parfois servir de modèles « sains », car non exposés aux pathogènes de leur milieu naturel, ainsi que de modèles d’exposition à des risques infectieux anthropiques (comme le SARS-Cov-2). Ainsi, l’étude ex situ de la pathogenèse d’une maladie chez une espèce peut permettre de développer des tests diagnostiques, des traitements, des vaccins ou des protocoles anesthésiques dont l’efficacité et l’innocuité sont connues. Par exemple, « l’étude de la chlamydiose chez le koala, qui provoque une stérilité, a permis de mettre au point un vaccin sans lequel l’espèce endémique pourrait disparaître d’ici 30 ans », a indiqué Alexis Lécu. Ces nouvelles techniques ou ces traitements sont communiqués aux confrères et consœurs in situ, qui sont de cette façon formés pour les appliquer sur les individus dans leur milieu naturel. De plus, des collaborations techniques existent parfois entre des sanctuaires et des zoos pour aider à gérer le volet sanitaire des individus recueillis et relâchés. Le vétérinaire de zoo, au cœur de projets de réintroduction, doit aussi savoir gérer le risque de contamination des animaux de zoos réintroduits mais « naïfs » pour les pathogènes locaux du milieu naturel.

« Grâce à l’implication croissante des vétérinaires dans la recherche, 618 articles scientifiques ont été publiés dans des revues à comité de lecture par 3206 auteurs de 2001 à 2020 en collaboration avec les parcs », a indiqué Baptiste Mulot. En effet, l’AFdPZ regroupe plus de 230 vétérinaires, l’EAZA en compte plus de 650. Les sujets de recherche sont nombreux et variés. « À Beauval, des études sont menées sur la communication faciale des psittacidés et sur la biodynamique de la trompe de l’éléphant », a-t-il cité. Ces travaux sont souvent restitués lors de symposiums internationaux, certains organisés par les parcs.

Au-delà de la recherche, la conservation des espèces animales dans leur milieu naturel passe aussi par le financement d’associations qui œuvrent sur place, et c’est grâce à leurs visiteurs que les parcs zoologiques leur fournissent des fonds et de la main-d’œuvre. « L’EAZA, qui regroupe 48 pays, dont 25 de l’Union Européenne, peut compter sur 140 millions de personnes de visiteurs au total chaque année », a-t-il indiqué.

« Toutes ces missions placent les zoos en position de sentinelles et de facilitateurs de résilience pour la faune sauvage », a résumé Alexis Lécu, tout en observant que c’est la recherche sur les zoonoses qui permet le mieux de lever des fonds. Les zoos se trouvent en effet au carrefour entre les santés animale et humaine. « Par exemple, le dépistage du SARS-CoV-2 chez les carnivores et les primates dans les zoos Français, issu d’une collaboration entre le Parc zoologique de Paris et l’Institut Pasteur en 2020, permet d’évaluer la sensibilité réelle des animaux dans nos structures et d’observer la pathogenèse et l’immunité des rares animaux infectés. L’approche One Health fait également partie de notre quotidien depuis longtemps », a-t-il conclu.

Jean-Christophe Gérard

Vétérinaire à l’Espace zoologique de Saint-Martin-la-Plaine (Loire) et administrateur à l’AFdPZ

L’association Tonga Terre d’Accueil, un refuge pour animaux saisis

Les zoos sont sollicités par les autorités pour placer des animaux saisis chez des particuliers, des professionnels ou des laboratoires, car aucune fourrière n’existe pour les animaux sauvages. Cependant, s’il peut être assez simple d’intégrer un serpent ou un oiseau à un groupe, cela est bien plus difficile pour d’autres espèces. C’est de là qu’est née l’association Tonga Terre d’Accueil. Elle porte le nom d’un hippopotame saisi dans un cirque que nous avons placé dans une réserve en Afrique du Sud, dans des conditions enfin respectueuses de ses besoins, car nous n’avions pas les installations nécessaires pour l’accueillir. Tonga Terre d’Accueil accueille aujourd’hui des primates et des fauves dans des structures aménagées pour eux. Après une phase de quarantaine où les animaux sont testés pour plusieurs maladies et une autre de réhabilitation (soins, réalimentation, etc.), ils sont intégrés en groupes sociaux en attendant d’être placés dans un parc ayant les autorisations et les installations spécifiques en France, en Europe ou en Afrique du Sud. Il existe d’autres refuges, mais nous sommes le seul fermé au public. Notre fonctionnement est assuré par des dons et les fonds du parc zoologique, avec l’aide d’associations de protection animale (Fondation Brigitte Bardot, One Voice, etc.). Depuis 2008, nous avons récupéré environ 450 animaux, avec un taux de replacement dans les parcs zoologiques de 72 %.

Sylvie Clavel

Vétérinaire au zoo African Safari à Plaisance-du-Touch (Haute-Garonne)

Formaliser l’état de bien-être et son évolution

Les étudiants en éthologie qui observent nos animaux ont pu comparer leurs comportements lors de la fermeture et de la réouverture du parc en raison du Covid. Il en ressort que les parcours en véhicule ne perturbent pas les animaux, qui ont de l’espace et se mettent où ils veulent, et les visiteurs n’ont aucun impact sur le comportement de la plupart d’entre eux. Ils sont tous nés en captivité et la vie en parc est la normalité pour eux, même si nous devons leur proposer les mêmes conditions de vie que dans leur milieu naturel. La nouvelle loi contre la maltraitance animale va cependant nous obliger à formaliser nos observations en mettant en place des outils efficaces pour objectiver leur état de bien-être et son évolution.

Cyril Hue

Vétérinaire au Zoo de La Flèche (Sarthe)

Éduquer le public autour du bien-être animal

Le zoo est l’un des derniers endroits où un public large et non averti, qui a perdu la capacité de se connecter à la nature, peut découvrir ou redécouvrir la richesse de la biodiversité à l’occasion d’une sortie familiale. Nous profitons de l’attraction qu’exercent les animaux pour diffuser différents messages pédagogiques de culture zoologique, comme présenter un large éventail d’espèces, délivrer quelques notions de base sur elles ou apprendre à faire la différence entre un phoque et une otarie, par exemple.

Nous abordons également les grands enjeux de la conservation de la biodiversité, soit pour une espèce, soit de manière plus générale, ainsi que les solutions proposées par les associations qui œuvrent sur le terrain. Nous en accueillons certaines, et ce sont potentiellement 400 000 personnes par an qui découvrent leur travail. Nous avons ce rôle de vitrine où les gens viennent rencontrer les acteurs de la conservation de la biodiversité. Cela se concrétise lors d’une visite libre ou dans le cadre d’une visite de groupes ou de scolaires, ponctuées de temps forts de développement d’un thème avec un éducateur ou des animations. Des grandes instances, comme l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), reconnaissent ce rôle éducatif essentiel des parcs zoologiques.

Délivrer un message pédagogique n’est possible qu’autour d’une valeur pivot : le bien-être animal. En effet, susciter une capacité d’émerveillement chez nos visiteurs est la porte d’entrée pour faire passer le message éducatif, et cet émerveillement ne peut naître que si le visiteur perçoit nettement que tout est mis en œuvre pour satisfaire à ce bien-être. Il faut que les yeux pétillent devant le spectacle du vivant pour que les gens s’arrêtent, observent, et lisent les panneaux éducatifs ou écoutent le message transmis par l’animateur ou le soigneur animalier.

C’est notre but : toucher les gens, même un peu, pour qu’en repartant, ils se disent qu’ils ont passé un bon moment et qu’en plus, ils ont appris des choses et se sentent un peu plus concernés par ces enjeux.

Le bien-être animal, une priorité face aux contestations

Certains militants de la protection animale se félicitent que les spectacles itinérants d’animaux sauvages soient interdits d’ici 2027 par la loi du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale, mais déplorent qu’elle n’ait pas imposé plus de mesures contre les parcs zoologiques. Cependant, la question du placement des animaux de cirque se pose, car s’ils restent dans des petites cages en attendant que de la place se libère, il n’y a pas de gain de bien-être pour eux. Dans ce contexte réglementaire et sociétal, les parcs zoologiques prennent leur part : « Nous participons à un groupe de travail avec le gouvernement pour trouver les meilleures solutions possibles pour ces animaux, dont le nombre est estimé entre 800 et 900, dont 500 à 600 fauves, car nous ne pourrons pas tous les absorber », remarque Jean-Christophe Gérard, vétérinaire à l’Espace zoologique de Saint-Martin-la-Plaine (Loire), et administrateur à l’AFdPZ. Au-delà de cette question, cette loi ne change pas le métier de vétérinaires en zoos, « car nous devons déjà répondre à des objectifs fixés réglementairement, et veiller au respect du bien-être animal est l’une de nos principales fonctions de vétérinaires de parc », explique Sylvie Clavel, vétérinaire au zoo African Safari à Plaisance-du-Touch (Haute-Garonne). De nombreuses recherches sont menées sur ce thème en parc, souvent sous l’impulsion des vétérinaires. « Nous accueillons des étudiants vétérinaires, en agronomie ou en éthologie, pour des projets concernant l’amélioration du bien-être, notamment par l’observation des effets de l’enrichissement du milieu sur le comportement des animaux », souligne-t-elle. « Les parcs zoologiques n’ont pas attendu la loi ni les remarques des associations pour œuvrer, depuis des années, à l’amélioration des conditions de vie des animaux au regard de l’évolution des connaissances scientifiques », ajoute Cyril Hue, vétérinaire au Zoo de La Flèche (Sarthe). Pour lui, « il convient de dissocier le discours écologiste, qui reconnaît le rôle essentiel des zoos, de l’animaliste, qui s’oppose idéologiquement aux parcs et nie leur rôle de conservation des espèces. Dénoncer la maltraitance animale dans certains établissements est souhaitable, mais ces mauvais élèves sont rares et ne font pas partie des associations nationales et internationales qui imposent à leurs membres une charte bien-être avec des critères très stricts. » « Et si des militants bloquent notre participation à la conservation, notamment à son financement in situ grâce à ce que nous récoltons auprès de nos visiteurs, ils devront bien trouver l’argent quelque part », avertit Sylvie Clavel.

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