One Health : favoriser le dialogue avec les médecins - La Semaine Vétérinaire n° 1935 du 08/03/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1935 du 08/03/2022

DOSSIER

Auteur(s) : Par Céline LardyCéline Gaillard-Lardy

One Health : un terme entendu de plus en plus fréquemment. La profession vétérinaire s’est largement engagée dans ce concept, sans doute avant même qu’il ne porte ce nom, en raison de son implication en matière de santé publique, notamment dans les domaines des zoonoses et de la production animale. Preuves en sont les nombreuses sessions de formation professionnelle consacrées à ce sujet. Mais qu’en pensent les médecins et se sont-ils également emparés de ce sujet ? Quelle est la nature des liens avec la profession vétérinaire ? Comment faire pour mieux travailler ensemble ?

« En termes philosophiques, il ne peut pas y avoir de bonne santé humaine sans bonne santé animale et environnementale », explique Pierre Souvet, cardiologue et président de l’Association santé environnement France. Il existe ainsi des liens complexes entre les santés humaine, animale et végétale et le fonctionnement du vivant. Encore faut-il que les différents acteurs susceptibles d’agir dans le cadre d’une action One Health arrivent à travailler ensemble. Car, pour Gilles Pipien, ancien directeur de cabinet de la ministre de l’Écologie et du Développement durable, membre de la mission interministérielle d’évaluation du second Plan national santé et environnement (PNSE), « le drame de notre société, c’est que nous avons développé quelque chose de foncièrement utile : la spécialisation. Fondamentale pour disposer de gens pointus dans un domaine, elle nécessite toutefois de maintenir un minimum de culture générale et de dialogue entre les spécialités, sans quoi nous ne pourrons plus résoudre les problèmes complexes. » Selon lui, l’interdisciplinarité ne consiste pas seulement à mettre les gens autour d’une table, elle nécessite de les faire travailler ensemble et de partager le même langage, les méthodes de recherche et les données afin de construire un objectif commun qui va bien au-delà de la problématique des zoonoses. Il concerne également la sécurité alimentaire, l’antibiorésistance et bien d’autres sujets. Le concept One Health implique également le bon fonctionnement des socio-écosystèmes, que Gilles Pipien préfère au terme de « santé des écosystèmes » puisque l’homme a colonisé le moindre cm2 sur Terre et, qu’inversement, il est totalement lié à ce vivant qui est en lui par le biais des différents microbiomes.

Acteurs du One Health, les vétérinaires ne sont toujours pas considérés comme des professionnels de santé à part entière, regrette Pierre Souvet. Pourtant, ils ont montré leur importance dans la résolution de nombreux problèmes de santé publique. D’autres professions sont également concernées. Il cite ainsi l’exemple d’une initiative menée en Provence-Alpes-Côte d’Azur dans le cadre du Plan national santé environnement 3 (PNSE 3) : l’organisation de visites d’établissements hospitaliers par un hygiéniste. Ceci a permis de réduire de plus de la moitié l’usage des biocides dans ces établissements. « Le vétérinaire pourrait tout à fait être intégré dans ce type d’initiatives. En plus de donner l’alerte lors d’épisodes zoonotiques, il pourrait être partie prenante dans l’éducation des personnels soignants. En effet, la formation des médecins est un vrai problème, avec une pratique fondée presque exclusivement sur le soin et pas assez sur la prévention », explique-t-il.

Les vétérinaires ont par ailleurs montré leur implication dans la lutte contre l’antibiorésistance en réduisant drastiquement l’usage des antibiotiques chez les animaux suite aux plans Écoantibio. Gilles Pipien souligne cependant qu’en médecine humaine, libérale et de ville, la consommation d’antibiotiques continue d’augmenter alors qu’en médecine hospitalière, il y a une meilleure maitrise de leur usage : « Il y a maintenant moins de rejets d’antibiotiques sortant des hopitaux que dans les effluents urbains ».

Selon Pierre Souvet, « le problème des médecins, c’est le peu de formation continue, à savoir 21 h indemnisées dans l’année. De ce fait, ils choisissent souvent ce qui leur paraît le plus adapté à leur pratique quotidienne, et l’antibiorésistance n’en fait pas forcément partie. Nous parlons pourtant d’un péril imminent, pas forcément visible, qui n’est pas assez rentré dans les esprits. Si les vétérinaires étaient impliqués dans les communautés territoriales de santé (CCTS), ils pourraient agir sur le volet préventif et pourraient partager leur expérience, notamment dans le domaine de l’antibiorésistance. »

Marine Sarfati, rhumatologue, cheffe de clinique des universités et responsable d’un enseignement santé environnement en faculté de médecine, estime que les médecins doivent « sortir d’une vision anthropocentrée de la médecine. » « Nous fonctionnons comme cela parce que c’est enseigné comme cela, donc personne ne s’est posé la question de savoir s’il était intéressant de discuter avec des vétérinaires. Maintenant qu’on change de paradigme et qu’on commence à réfléchir du point de vue de la santé planétaire ou avec une casquette One Health, on se rend compte de l’intérêt du contact avec d’autres professions et notamment avec les vétérinaires ».

Pour Gilles Pipien, la formation des médecins doit être repensée, mais la tâche est rude. « Je suis en relation avec la conférence des doyens de facultés de médecine et notamment le doyen de la faculté de Strasbourg, Jean Sibilia. Nous essayons de faire entrer dans le premier cycle des études de médecine une formation santé/environnement et une seule santé. Nous avons beaucoup de difficultés. Dans le cadre du PNSE 4, nous avons obtenu que soit créé au sein du groupe santé environnement un groupe de travail dédié à la formation mais cela n’avance pas, alors même que l’une des coprésidentes est médecin et vice-présidente de la métropole de Strasbourg ».

Pour lui, le diagnostic est sans appel aussi chez les vétérinaires. « Au-delà de l’initiative intéressante de la formation diplômante One Health proposé par l’ENSV de Lyon, qui touche une trentaine de personnes par an, les écoles vétérinaires doivent évoluer et prendre en compte les nouveaux enjeux ».

Un tel projet serait à l’étude à l’échelle nationale. Le ministère de la Recherche aurait ainsi reçu des consignes pour rendre obligatoire un cours commun au sein du premier cycle de médecine. Pour Marine Sarfati, l’idéal serait d’avoir un bloc commun pour tous les étudiants en santé, y compris étudiants vétérinaires, et ensuite des blocs plus spécifiques adaptés à leur programme respectif. 

« Il nous faut des modules de formation communs en école d’agronomie, en école vétérinaire, en faculté de médecine mais aussi de biologie ou d’écologie », plaide ainsi Gilles Pipien.

Certaines initiatives, si elles sont rares, doivent être saluées. Ainsi, Marine Sarfati a créé cette année une unité d’enseignement de santé environnementale à la faculté de médecine de Lyon. Dans cette unité d’enseignement pluridisciplinaire, elle parle de One Health et sort du prisme strictement médecin avec l’intervention de pharmaciens, de biologistes, mais aussi de vétérinaires, notamment Maria-Halima Laaberki pour les zoonoses. Deux autres enseignants de VetAgro Sup, Sébastien Gardon et Amandine Gautier, sont venus parler One Health. Dans ce cours, les zoonoses ont donc été traitées du point de vue du médecin infectiologue, du bactériologiste et du médecin vétérinaire. « Pour moi, il est incontournable d’avoir tous ces points de vue pour parler d’un même sujet », explique-t-elle. Si elle a rencontré une forte adhésion de la part des intervenants comme des étudiants, elle déplore les lourdeurs administratives et de logistique.

Citons également l’initiative originale du service de parasitologie de VetAgro Sup et de la faculté de médecine de l’hôpital de la Croix-Rousse qui, pour la première fois cette année, a mis en place un enseignement optionnel mixte destiné à la fois aux étudiants vétérinaires (dans le cadre de l’enseignement personnalisé) et aux étudiants de médecine (dans le cadre de l’unité d’enseignement librement choisi) intitulé « Approche One health pour la prévention chez l’homme et l’animal des zoonoses parasitaires ». Le sujet de cet enseignement pourrait être élargi l’année prochaine et pourrait même faire des émules, comme nous l’a confié Lionel Zenner (voir interview), professeur de parasitologie à l’origine du projet avec Martine Wallon, clinicienne en parasitologie à l’hôpital de la Croix-Rousse. « Entendre ce que nos collègues vétérinaires pensent de ces parasitoses, et connaître l’importance qu’ils leur accordent, c’était passionnant et on n’a jamais trouvé le temps trop long. Nous avons pris beaucoup de plaisir à découvrir le travail de l’autre, que nous ne connaissions pas en raison d’un fort cloisonnement de nos métiers. Les étudiants ont également pu se parler », explique-t-elle. Elle souligne par ailleurs les bénéfices de cet exercice, notamment pour améliorer le volet prévention et placer le patient dans son environnement. D’ailleurs, à l’issue de ce cursus, les étudiants réaliseront ensemble des posters destinés à la prévention auprès du grand public à la fois en cabinet vétérinaire et en cabinet médical.

Gilles Pipien exhorte les vétérinaires à sortir de leur zone de confort et estime qu’ils sont a priori les seuls à pouvoir faire le pont entre les différentes professions, bien qu’il y ait encore un vrai travail en interne. « Les vétérinaires peuvent être d’excellents intermédiaires et moteurs, s’ils dépassent l’approche One Health uniquement zoonotique, mais cela suppose une vraie réflexion interne. Alors je leur dis : continuez, ouvrez-vous encore plus à la science des écosystèmes, jouez votre rôle essentiel de pont entre les professions, dialoguez et accompagnez des politiques territoriales grâce à votre présence sur les territoires. Prenez en main le concept One Health et sortez de votre zone de confort. Vous avez un rôle majeur dans le One Health, et donc dans la santé humaine ».

« L’enseignement mixte est une expérience enrichissante. »

Lionel Zenner, professeur de parasitologie à VetAgro Sup 

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Comment se passent ces cours d’enseignement optionnel mixtes, mis en place à VetAgro Sup ?

Depuis notre première rentrée au mois d’octobre dernier, nous avons effectué 13 demi-journées de cours, avec une évaluation prévue au second semestre. L’enseignement est ciblé sur une ou deux parasitoses, avec une présentation conjointe par des médecins et des vétérinaires, puis nous laissons le temps de l’échange. Nous avons également dédié une après-midi à la communication autour de la santé, au cours de laquelle les étudiants ont réalisé des posters. L’équipe est constituée des 4 enseignants du service de parasitologie de VetAgro Sup, d’une communicante de VetAgro Sup, d’une épidémiologiste One Health et de la personne en charge des aspects législatifs. Côté faculté de médecine, trois enseignants nous ont rejoints ainsi que des personnes extérieures, de manière ponctuelle.

Y a-t-il eu une forte adhésion ?

Nous n’avons pas eu beaucoup de monde, trois étudiants en médecine et une étudiante vétérinaire parce que c’est la première année et que le projet s’est mis en place tardivement. Nous essuyons les plâtres. Pour cette raison, côté vétérinaire, nous avons décidé d’ouvrir cet enseignement, réservé à l’origine aux 4A, aux 3es années. Nous aurons plus de visibilité l’an prochain.

Comment est née l’idée de cet enseignement mixte ?

Depuis de nombreuses années, avec Martine Wallon, avec qui nous avons travaillé sur des sujets communs, nous envisageons des cours communs mais l’aménagement des horaires est compliqué. Avec la mise en place des enseignements personnalisés, nous avons vu une opportunité pour concrétiser ce projet grâce à un format plus souple.

Quel est le bilan de cette première année ?

Ce projet a été très bien accueilli. À tel point que des enseignants de parasitologie d’autres écoles vétérinaires nous ont appelés car cela les intéresse. La vraie difficulté est de faire asseoir les vétérinaires et les médecins ensemble, quel que soit le niveau d’études, en raison de problèmes pratiques que nous n’avions pas imaginé. Mais nous envisageons peut-être d’élargir cet enseignement à d’autres sujets que la parasitologie. Nous en déciderons au cours d’une séance de débriefing qui aura lieu prochainement. En tout cas, c’est une expérience très enrichissante en tant qu’enseignant et j’espère pour nos étudiants également.

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