L’élevage du bulldog anglais et du cavalier king Charles bientôt interdit en Norvège ? - La Semaine Vétérinaire n° 1935 du 08/03/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1935 du 08/03/2022

Hypertypes

ANALYSE CANINE

Auteur(s) : Par Mylène Panizo

Une décision de justice historique vient d’être prononcée : des juges ont estimé que l’élevage de ces deux races brachycéphales était contraire à la réglementation norvégienne sur la protection animale.

Le verdict est tombé le 31 janvier 2022. Le tribunal d’Oslo a interdit l’élevage du bulldog anglais et du cavalier king Charles en Norvège au motif que cette pratique inflige à ces animaux « des souffrances incompatibles avec la loi sur la protection des animaux ». Cette action en justice a été lancée par la société protectrice des animaux norvégienne contre six éleveurs individuels et trois sociétés canines. Sa présidente, Ashild Roaldset, a expliqué à l’AFP (Agence France-Presse) que « beaucoup de nos races d’élevage sont très consanguines et portent un lourd bagage en termes de maladies ». Elle dénonce les hypertypes (notamment le syndrome brachycéphale) et les maladies héréditaires qui touchent la plupart des individus de ces deux races (par exemple la maladie valvulaire dégénérative mitrale chez le cavalier king Charles). Chez le bulldog anglais, le recours fréquent à la césarienne a également été souligné. Les juges ont estimé que « l’incapacité génétique de la race à donner naissance naturellement est en soi une raison pour que le bulldog anglais ne soit plus utilisé dans l’élevage ».

Bien qu’un appel de cette décision de justice soit en cours et qu’elle ne fasse pas encore force de loi, cette première mondiale a été saluée par les associations de protection animale. Les éleveurs, quant à eux, sont consternés par cette décision. Ils sont conscients des problématiques liées aux hypertypes et aux maladies héréditaires, mais se disent capables de revoir la sélection de leurs reproducteurs et d’accentuer la diversité génétique. En ce sens, les juges et la société protectrice des animaux norvégienne les encouragent à réaliser des croisements scientifiquement fondés avec d’autres races.

Un autre problème a été soulevé car ce jugement n’interdit pas la détention ni la vente et l’importation de ces deux races, uniquement leur élevage. Certains acteurs de la filière craignent donc un afflux de chiens issus de trafics d’animaux ou d’élevages étrangers peu recommandables.

L’Association mondiale des vétérinaires d’animaux de compagnie (WSAVA) a réagi au jugement d’Oslo1. Elle soutient les efforts de la société protectrice des animaux norvégienne et la loi de protection animale de ce pays, qui stipule que « l’élevage doit promouvoir des caractéristiques permettant d’obtenir des animaux robustes et en bonne santé ». Elle reconnaît les graves conséquences en termes de santé et de bien-être soulevées par les hypertypes et les maladies héréditaires engendrées par une consanguinité élevée. Elle voit dans ce verdict un signal fort envoyé aux éleveurs afin qu’ils évaluent sérieusement leurs pratiques. L’association préconise de prioriser la santé des animaux au sein de l’élevage. Elle recommande notamment de corriger les standards de race afin d’éviter les hypertypes, d’établir des guides de bonnes pratiques d’élevage, d’opérer une meilleure sélection des reproducteurs et d’informer le public en amont de leur achat. À cet effet, les vétérinaires sont des partenaires indispensables.

En 2018, l’Académie vétérinaire de France s’était prononcée en faveur d’un renforcement de la prévention et de la lutte contre les hypertypes canins2. Des recommandations avaient été adressées à tous les acteurs de la filière (vétérinaires, éleveurs, juges canins et responsables administratifs). En 2020, l’AFVAC (Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie) a également lancé une campagne de communication3 afin de sensibiliser l’ensemble des représentants de la filière ainsi que les particuliers à cette problématique, qui existe également chez les félins.

3 questions à Alexandre Balzer (T03), président de la Société centrale canine (SCC)

« C’est la porte ouverte aux importations d’origine douteuse. »

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Comment la SCC perçoit-elle cette décision ?

La SCC est assez surprise que cette décision ait pu être adoptée. Elle sera en effet certainement contreproductive, voire dangereuse pour ces races. Si l’interdiction de l’élevage est effective, la détention et la cession de ces chiens restent autorisées. Dès lors, c’est la porte ouverte aux importations, avec des origines qui sont fréquemment douteuses et des chiens d’apparence raciale plus ou moins lointaine. La sélection ne pourra plus être surveillée, suivie et analysée. Tous les excès sont alors envisageables. Les usines à chiens hors Union Européenne, installées de l’Oural aux Balkans, vont augmenter leur production sans respect du bien-être animal et en dehors de toutes règles élémentaires en termes sanitaires, d’installations, de transport…

Cette décision pourrait-elle avoir un effet boule de neige dans d’autres pays, dont la France ?

Certaines réglementations sont parfois surprenantes et une telle situation peut toujours s’envisager en France. Mais nous nouons des contacts pour éviter ce type de décisions dangereuses pour la biodiversité canine. Tout comme la prohibition, cela peut aboutir au contraire du but recherché, au détriment des chiens et des futurs propriétaires mais au plus grand bénéfice des milieux mafieux du marché du vivant.

La pédagogie engagée par la SCC auprès des éleveurs permettra-t-elle, à terme, d’éliminer les hypertypes ?

Dès la fin des années 2000, la SCC a édité des recommandations zootechniques à destination des juges et experts afin de porter un regard particulier sur toutes les dérives visant à l’hypertype. Nous avons la possibilité de sanctionner les experts français ou étrangers qui s’en affranchiraient. Par ailleurs, lors des formations à destination des éleveurs, le sujet est abordé et ils sont sensibilisés aux risques liés aux sélections déviantes. Les commissions zootechniques et scientifiques de la SCC suivent ces dossiers en relation avec la commission d’élevage. Le ministère de l’Agriculture est régulièrement informé de nos initiatives sur ce sujet d’importance majeure pour le chien de race.

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