Un cas de restauration hormonale chez un chien mâle castré - La Semaine Vétérinaire n° 1934 du 01/03/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1934 du 01/03/2022

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ANALYSE CANINE

Auteur(s) : Tanit Halfon

Une publication américaine rapporte le cas d’un chien castré auquel a été prescrit une thérapie hormonale, combinant de la testostérone et un agoniste de la GnRH pour lutter contre les effets néfastes d’une castration chirurgicale.

La castration chirurgicale du chien fait l’objet d’un nombre croissant de publications montrant qu’il ne s’agit pas d’une intervention banale. Plusieurs effets néfastes sont décrits, variant selon la race, la taille et l’âge de l’animal. Outre la prise de poids, bien connue, elle est associée aussi à de multiples troubles de santé, rappelle une récente étude américaine1 qui apporte de nouveaux éléments de réflexion sur le sujet. Publiée en novembre 2021 dans le Topics in Companion Animal Medicine, elle décrit le cas d’un chien mâle croisé bouledogue américain/walker coonhound ayant subi une castration à l’âge de 7 mois dans un refuge. Cinq mois après son adoption, son comportement s’est progressivement modifié avec l’apparition de manifestations marquées de peur vis-à-vis des étrangers et des sorties devenues quasi-impossibles. En parallèle, l’animal a pris du poids jusqu’à devenir obèse avec une boiterie du membre postérieur droit. À 1 an, un examen radiographique des hanches a révélé des acétabulums peu profonds avec une tête fémorale droite déformée.

Après plusieurs mois et essais de traitements médicamenteux, visant les troubles locomoteurs et comportementaux, associés à une restriction alimentaire, aucune amélioration notable n’a été rapportée. De plus, malgré des résultats sanguins corrects, un traitement à base de levothyroxine avait été aussi prescrit, sans conséquences cliniques particulières. Il a été arrêté au bout de 2 mois. Face à ces mauvais résultats, il a été décidé d’initier une thérapie hormonale à base de testostérone, l’animal ayant alors presque 4 ans.

Dans un premier temps, le chien a reçu du cypionate de testostérone à raison d’une seule injection par voie sous-cutanée de 1,7 mg/kg pour le 1er mois de traitement. Au 2e mois, une administration hebdomadaire a été poursuivie (0,5 mg/kg), permettant de maintenir la concentration en testostérone dans les valeurs usuelles pour un chien entier (1,2 - 2,2 ng/mL). Cliniquement, l’évolution la plus notable a concerné les troubles locomoteurs, avec une amélioration franche de la mobilité et une réduction significative de la boiterie au bout de 95 jours après l’initiation du traitement. Le chien a aussi retrouvé de la masse musculaire au niveau du train arrière, associée à un meilleur score corporel. Le poids avait déjà diminué avant le traitement hormonal grâce à un régime alimentaire. Le comportement s’est modifié partiellement avec des réactions de peur et d’évitement moins intenses, et des sorties à l’extérieur plus faciles.

Cette complémentation hormonale n’a toutefois pas permis de réduire le taux de LH2 qui était jusqu’à 3 fois plus élevé que le taux normal après une castration, soit 34,6 - 88,2 ng/mL alors que le taux pour chien castré est de 7,2 - 27 ng/mL et pour chien entier de 0,8 - 11,2 ng/mL. Il a donc été décidé d’ajouter un agoniste de la GnRH (implant sous-cutané de 9,4 mg de desloréline), 114 jours après l’initiation du traitement, ce qui a permis de faire chuter la concentration en LH dans les valeurs usuelles (1,89 ng/mL). Douze mois après la pose de l’implant, l’appétit du chien est reparti à la hausse, associée à une prise de poids. Les analyses sanguines ont révélé une augmentation de la concentration en LH amenant à la pose d’un nouvel implant.

Des recherches complémentaires restent nécessaires pour appréhender les indications d’un traitement hormonal, le protocole, le suivi de son efficacité et les effets secondaires sur le long terme. Pour ce cas, aucun effet secondaire n’a été observé à la clinique, mais théoriquement, supplémenter en testostérone peut être associé à des troubles hépatiques, dermatologiques, de l’épiphora, des adénomes/adénocarcinomes périanaux, un écoulement préputial, une odeur corporelle plus marquée et une hausse des comportements sexuels masculins, indiquent les auteurs. Ils conseillent aussi de suivre la fonction hépatique durant le traitement, qui est donc déconseillé pour les animaux ayant un dysfonctionnement hépatique ou les races prédisposées aux maladies de stockage de cuivre comme les bedlington terriers et labradors retrievers. Une surveillance de la prostate, pour détecter les signes d’une hyperplasie bénigne, serait aussi à envisager. Cette étude soulève enfin la question du rôle de la LH dans l’apparition des troubles de santé en post-castration, ce qui rejoint le risque de maladie surrénalienne du furet castré pour laquelle le rôle d’une augmentation de la LH après gonadectomie est incriminé.

Questions à Alain Fontbonne, professeur en reproduction des carnivores à l’École nationale vétérinaire d’Alfort.

Complémenter en testostérone est-elle une pratique bien documentée ?

Dans les pays anglo-saxons, prescrire une supplémentation en testostérone pour les hommes âgés souffrant d’hypogonadisme (baisse anormale de la testostéronémie) est une pratique médicale courante, avec de très bons résultats. Ce n’est pas encore le cas en Europe. Chez le chien, ce traitement est d’ordre expérimental, avec beaucoup de données manquantes restant à préciser, comme la posologie. On ne peut donc pas confirmer l’intérêt d’un tel traitement aujourd’hui, ni affirmer qu’il est sans risque.

Dans l’étude, malgré un complément en testostérone, la concentration en hormone lutéinisante reste très élevée, et seul un implant d’agoniste de GnRH permet de le réduire. Comment interpréter ce résultat ?

Étant donné qu’on ne dispose que de données partielles sur ce traitement, il est possible que le chien n’ait pas reçu une dose suffisante de testostérone pour abaisser le taux de LH circulante par rétroaction inhibitrice sur l’hypophyse. Les auteurs de l’étude ont limité la dose par rapport au risque d’hyperplasie prostatique. Par contre, il est logique que l’implant de desloréline ait fait baisser le taux de LH car c’est l’effet bien connu de cet agoniste de la GnRH.

L’emploi d’un agoniste de la GnRH, sans autre complément hormonal, pourrait-il être une option pour prévenir les potentiels effets néfastes d’une castration ?

Il se trouve qu’une des auteurs de l’étude, Michelle Kutzler, de l’université vétérinaire d’Oregon, a pour théorie que la LH serait impliquée dans l’apparition des effets secondaires après une castration chirurgicale1. En effet, au retrait des gonades mâles ou femelles, il n’y a plus de rétrocontrôle hypophysaire par les hormones stéroïdes, aboutissant à une augmentation des taux de LH et FSH, jusqu’à 20 à 30 fois supérieurs à ceux d’un animal entier. Or, on sait aujourd’hui que les récepteurs à la LH sont présents dans plusieurs tissus avec une surexpression dans certaines tumeurs que l’on peut observer chez les chiens castrés. C’est quelque chose que l’on connaît déjà chez le furet, qui peut développer une tumeur surrénalienne après une castration, en lien très probablement avec une surstimulation des récepteurs LH des surrénales. Dans cette optique, on pourrait donc légitimement se demander si la pose d’un implant sur des chiens déjà castrés ne permettrait pas d’éviter certains effets défavorables de la castration. Mais cela reste encore au stade de l’hypothèse, sans démonstration du lien de causalité. Malgré toutes ces limites, cette étude permet d’ouvrir des perspectives intéressantes de recherche, et de pistes de traitement.

Les unes après les autres, les études montrent que la stérilisation chirurgicale n’est pas un acte banal. La vasectomie et l’hystérectomie pourraient-elles être des options à envisager ?

Pour la vasectomie, il faut rester prudent car il n’y a absolument pas de résolution des comportements gênants (fugue, chevauchement, marquage). Pour l’hystérectomie, des accidents graves ont été décrits de perforations de moignons utérins sur des chiennes saillies par erreur. De plus, si tout le col de l’utérus n’est pas retiré, elles peuvent faire des pyomètres du col. Ceci dit, ce type d’interventions commence à être observé sur le terrain dans les pays anglo-saxons, mais rarement en Europe.

  • 2. Le taux de LH augmente après la castration chirurgicale du fait de l’arrêt de la rétro-action centrale de la sécrétion de gonadotropines par la testostérone
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