La biodiversité : c’est aussi l’affaire des vétérinaires ! - La Semaine Vétérinaire n° 1934 du 01/03/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1934 du 01/03/2022

Dossier

DOSSIER

Auteur(s) : Chantal Béraud

Les vétérinaires disposent de nombreux moyens pour devenir des acteurs de la protection de la biodiversité et de l’environnement. Témoignages de praticiens engagés, qui nous livrent quelques-unes de leurs expériences et reviennent sur les obstacles qu’il reste encore à lever…

« J’ai adoré le film Animal, où des jeunes gens persuadés que leur avenir est menacé (changement climatique, sixième extinction de masse…) comprennent, au cours d’un long cheminement d’apprentissage, ce que signifie l’interdépendance entre les espèces. Et qu’en les sauvant, nous nous sauverons aussi. Malheureusement, il n’y a aucun vétérinaire porte-parole de la biodiversité dans ce film engagé ». Tel est le constat, hautement symbolique, de Corinne Lesaine, qui partage son temps entre une pratique en canine, un rôle de conseil sur la santé et le bien-être animal pour une start-up et une mission de conseillère municipale en charge de la préservation de la faune et de la flore à Saint-Jean-de-Braye (Loiret).

Se préserver tous ensemble : tel est l’un des messages clé que Corinne Lesaine essaie de propager autour d’elle. « Il m’arrive même d’en discuter avec des clients, durant des consultations à la clinique, constate-t-elle. On parle bien parfois de sports et de culture avec eux, alors pourquoi pas de biodiversité ? » Comme la vétérinaire sait prendre soin des animaux de compagnie, le public trouve d’ailleurs tout naturel qu’elle s’intéresse aussi au reste du vivant. D’autant plus qu’elle ne manque assurément pas d’idées pour impliquer les familles dans des actions de sciences participatives sur le terrain (voir photos) : opérations de collecte zéro déchet, balades d’observation de la faune locale, etc.

Avec la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), partenaire de la commune depuis 2021, des refuges ont été installés sur des zones dites sensibles afin d’y faciliter la reconquête de la biodiversité, notamment aux abords de territoires de chasse privés. La faune libre peut désormais y trouver refuge et s’y reproduire tranquillement… « Grâce à diverses actions, quel bonheur de croiser, dès l’aube, des hérissons, des écureuils, des hérons cendrés, des faisans, des sangliers, des chevreuils et même des castors », énumère avec enthousiasme la vétérinaire. Qui ajoute : « Respecter la biodiversité conduit donc à vivre dans des zones partagées, où l’on réduit parfois les activités humaines et où l’on accepte le retour de l’animal « sauvage » libre en ville ».

La flore locale n’est pas non plus négligée, en redonnant notamment vie aux zones humides, via le reméandrage des cours d’eau et en faisant appliquer une charte de l’arbre. Parmi les opérations citoyennes figurent Je plante 1 arbre, qui consiste en une distribution et une plantation de 500 plants avec et par les habitants. Un parcours des mares ainsi que la plantation d’une micro-forêt sont également en projet1. Le tout s’appuie sur un inventaire de la biodiversité communale réalisé avec l’aide de Loiret nature environnement. Saint-Jean-de-Braye fait d’ailleurs partie des 121 collectivités françaises2 reconnues depuis mars 2020 Territoires engagés pour la nature, un programme développé par l’Agence régionale de la biodiversité3.

« Le vétérinaire peut davantage sortir de sa clinique, s’engager et s’occuper du vivant dans son ensemble », en conclut Corinne Lesaine. Mais force est aussi de constater les lacunes de la profession en la matière : « Je dois bien reconnaître que j’ai beaucoup appris grâce à ma propre expérience car, à la sortie de mon école vétérinaire en 1995, nous n’avions suivi aucune formation sur la biodiversité. Pourtant, nombreux sont les vétérinaires qui ne souhaitent pas se limiter à la médecine des animaux domestiques. Ils ont une fibre naturelle plus étendue : passer au soin du vivant au sens large leur correspondrait bien ».

Elle-même a donc vécu cet « éveil » à la nature de manière progressive, en le partageant avec ses deux enfants. « J’ai récemment transformé mon jardin en refuge LPO, témoigne-t-elle. Puis, comme j’imagine nombre de mes confrères, j’ai réalisé des sauvetages de certains animaux sauvages blessés. Mais très rapidement, les limites s’imposent à nous. Elles sont notamment d’ordre réglementaire puisque, sauf en cas d’urgence, de tels animaux doivent être pris en charge par les centres de soins de faune sauvage. Or ils sont trop peu nombreux, donc souvent trop distants. Soin d’urgence ou euthanasie sont donc les seules « armes » d’un praticien local, c’est très frustrant ».

Et Corinne Lesaine d’ajouter : « Bien sûr, je rêve de créer un centre de soins pour la faune sauvage dans le Loiret, mais comment le financer ? Conséquemment, pourquoi ne pas revoir la réglementation, en permettant au praticien vétérinaire d’intervenir davantage par dérogation ou sous forme de convention avec une indemnisation ? Le ministère de l’Environnement devrait vraiment se pencher sur cette problématique, au même titre que les récentes avancées obtenues en faveur de la protection des animaux de compagnie ou captifs grâce à la loi contre la maltraitance animale votée dernièrement au Parlement. Oui, décidément, je trouve que la faune sauvage libre est bel et bien encore insuffisamment protégée en France ». En attendant, chaque fois qu’elle le peut, elle continue de sensibiliser et de soigner, parfois bénévolement, comme beaucoup d’autres de ses confrères…

ENTRETIEN AVEC PIERRE MAY

Praticien canin à Faverges (Haute-Savoie)

« En phytothérapie aussi, veillons à la biodiversité ! »

Les médecines alternatives ne riment pas forcément avec biodiversité, comme alerte le Dr Pierre May, également membre de l’association Ecoveto1.

Les médecines alternatives sont-elles des alliées de la biodiversité ?

Notre livre de chevet est le magnifique plaidoyer du Dr Aline Mercan, Manuel de phytothérapie écoresponsable, car nous avons pris conscience que phytothérapie et médecines douces ne rimaient pas du tout avec biodiversité, loin de là… En effet, à la lecture de cet ouvrage, nous avons constaté que plus de la moitié des substances végétales que nous utilisons dans notre pratique sont sur la liste rouge des espèces en danger ou même en voie d’extinction ! Tout simplement parce que seulement 20 % des plantes médicinales sont cultivées ou cultivables.

Pouvez-vous en donner un exemple concret ?

L’exemple le plus criant de cet état de fait très inquiétant est celui de l’harpagophytum, plante rare à la ressource limitée poussant dans les déserts de Namibie ou d’Afrique du Sud. Nous avons tellement surconsommé cette plante très efficace contre l’inflammation chronique et l’arthrose qu’elle a pratiquement disparu de son habitat d’origine. Seuls quelques laboratoires sérieux utilisent un harpagophytum de culture écoresponsable qui, bien sûr, est bien plus cher.

Qu’en est-il des huiles essentielles ?

Le même problème se pose pour nombre d’huiles essentielles qui sont issues de la distillation de plantes ou arbres menacés à très court terme. C’est le cas des huiles de bois de rose, de santal, de cèdre, de bois de Hô, d’oliban. Conséquemment, nous avons décidé de n’utiliser à la clinique que des huiles essentielles obtenues à partir de végétaux cultivés ou de ressource non limitée pour la désinfection des locaux comme pour les soins aux hospitalisés.

Quels autres problèmes posent des plantes en provenance d’Inde ou de Chine ?

Nous avons effectivement les mêmes questionnements éthiques lorsqu’on utilise la pharmacopée chinoise ou la médecine ayurvédique, très à la mode en ce moment. De plus, les importateurs des pays asiatiques sont obligés de faire des contrôles très stricts en matière de pesticides et métaux lourds car de très nombreux lots sont contaminés ou mélangés avec des plantes ne correspondent pas à l’étiquette sur le sac… Conclusion : achetons plutôt local, sourcé et bio si possible.

Comment justement, d’un point de vue plus général, faire des achats écoresponsables en tant que praticien ?

Il faut faire du « sourcing » des fournisseurs pour identifier l’origine de ce qu’on achète et connaître ainsi le circuit, parfois hallucinant, des médicaments ou compléments qui arrivent sur nos étagères ! Ceci est encore plus vrai pour les croquettes : il est invraisemblable d’acheter des croquettes au Canada ou à l’autre bout de l’Europe sans se soucier du coût carbone de l’aliment qu’on met dans la gamelle du chien ou du chat…

Pouvez-vous citer un exemple montrant que cela vaut la peine de continuer à chercher des solutions alternatives ?

Nous avons débusqué un laboratoire français, situé en Bretagne, qui fabrique des omégas 3 de qualité exceptionnelle issus de la culture écoresponsable en bassin d’eau de mer d’une algue, au nom imprononçable de shizochytrium, qui produit plus de DHA qu’une sardine… Donc on fout la paix aux poissons et on respecte la biodiversité avec une ressource renouvelable ! Bien sûr, c’est une goutte d’eau dans un océan mais nous devons absolument prendre conscience que ce sont tous ces petits actes qui vont rendre notre pratique plus vertueuse. En conclusion, en y réfléchissant, il y a toujours une alternative : nous ne sommes pas obligés d’acheter des espèces en voie de disparition pour soigner !

Pierre May

Praticien canin à Faverges (Haute-Savoie)

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Attention aux antiparasitaires !

Les antiparasitaires tant internes qu’externes peuvent avoir des effets néfastes prouvés sur les êtres vivants et sur l’environnement, en canine comme en rurale1. Par exemple, il y a un usage très répandu dans le monde entier en élevage, depuis les années 80, de la molécule de l’ivermectine. Comme ce pesticide est rémanent dans les excréments, il tue par exemple par ricochet tous les insectes nécrophages des bouses de vache, tels les bousiers ou les mouches. Il est clair qu’il est difficile de s’en passer pour des bovins conduits en élevage intensif, qui sont plus fragiles. Mais je connais des éleveurs bios qui ont trouvé des alternatives à base de plantes afin de rééquilibrer la flore intestinale et ainsi de booster l’immunité. Après, les vétérinaires ne sont pas non plus d’accord entre eux pour déterminer quel est le niveau de parasitologie acceptable pour un organisme animal. Pour moi, viser un état avec zéro puce ou zéro parasite ne correspond pas à un état biologique normal, c’est une vision totalement erronée de la bonne santé !

Alain Moussu

Praticien canin et membre de la LPO (Ligue pour la protection des oiseaux)

Devenez vétérinaire-naturaliste !

Le vétérinaire peut-il continuer à soigner les animaux de compagnie ou de rente en regardant tous les autres êtres en train de disparaître ? Pour moi, cela n’a pas de sens. Et je constate aussi qu’un nombre croissant d’étudiants ou de jeunes vétérinaires semblent penser de même. Alors, comment agir concrètement pour la sauvegarde de la biodiversité en tant que vétérinaire ? Les pistes sont multiples : devenez par exemple bénévole dans une association de protection de la nature, développez vos connaissances naturalistes, même basiques. Tout vétérinaire sait apprendre et peut utiliser son bagage scientifique… De même, on peut s’intéresser à d’autres méthodes, dont l’agroécologie et l’agroforesterie. Réorienter certaines pratiques dans son propre exercice est également possible. Par exemple, au lieu de vendre systématiquement des vermifuges, pourquoi ne pas proposer au client une vermifugation raisonnée incluant une coproscopie parasitaire périodique ? Ce faisant, la marge du praticien sera préservée, voire améliorée, et notre impact environnemental réduit. Oui, décidément, dans un esprit « Yes we can », il existe un certain nombre de solutions gagnant-gagnant.

Arnaud Camax

Praticien canin à Beauvais (Oise), membre du réseau de cliniques d’Univet

Entre micro-dons, gala et plateforme d’achats responsable

J’ai équipé mon TPE (Terminal de paiement électronique) avec un dispositif de micro-don. Chaque jour, je constate que j’ai entre un quart et une moitié de ma clientèle qui accepte de donner 50 centimes de plus pour soutenir les actions d’associations qui œuvrent pour le maintien de la biodiversité. Je suis aussi adhérent à la plateforme d’achat responsable JungleVet. Par son biais, mes clients peuvent y acheter directement (ou se faire livrer à ma clinique) des croquettes, des produits de type cosmétique, des nettoyants pour les yeux ou les oreilles et des accessoires à des prix plus abordables. Une petite partie du montant de la commande est reversée au fonds de dotation Univet nature, qui agit à la fois sur le plan local (via le soutien à des centres de sauvegarde) et au niveau international. J’ai aussi des clients – y compris parfois des propriétaires assez modestes – qui ont assisté en virtuel au Gala de l’espoir d’Univet nature. Au total, ce sont 139 000 € qui ont été collectés durant cette seule soirée. Enfin, chaque année, je propose à la vente, pour 10 €, un joli calendrier illustré avec des animaux sauvages, dont 6 € sont ensuite reversés à Univet nature. Oui, décidément, à la clinique, nous sommes heureux de pouvoir, à notre mesure, participer à la préservation d’espèces en voie de disparition.

  • 3. Les ARB (Agences régionales de la biodiversité) sont créées à l’initiative des territoires et de l’Office français de la biodiversité (OFB).
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