Prise en charge des syndromes douloureux complexes - La Semaine Vétérinaire n° 1933 du 22/02/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1933 du 22/02/2022

Analgésie

FORMATION CANINE

Auteur(s) : Lorenza Richard

Conférenciers

Luca Zilberstein, directeur du service d’analgésie et clinique de la douleur au CHV Advetia, Vélizy-Villacoublay (Yvelines)

Stéphane Junot, professeur en analgésie et anesthésie à VetAgro Sup de Lyon (Rhône)

Article rédigé d’après des conférences présentées au congrès de l’Afvac du 25 au 27 novembre 2021 à Bordeaux.

« Le vétérinaire a une obligation de moyens, mais en termes de douleur, le propriétaire veut des résultats », a interpellé Luca Zilberstein, lors du congrès de l’Afvac1. La physiopathologie des symptômes douloureux chez l’animal est similaire à celle de l’humain, mais les observations se réduisent à la manifestation clinique lors de la consultation et à ce qui est rapporté par le propriétaire. Si la stratégie de gestion de la douleur aiguë d’origine traumatologique ou chirurgicale s’avère inadaptée, une chronicisation s’installe et peut aboutir à une douleur pathologique, possiblement dissociée et autonome par rapport à la lésion initiale. « Un consensus chez l’humain considère que la douleur chronique est celle qui persiste au-delà du délai normal de cicatrisation de la lésion initiale, c’est-à-dire plus de trois à six mois, et elle affecterait 20 % de la population mondiale », remarque Stéphane Junot.

Il n’existe pas de données épidémiologiques chez l’animal, et dans les syndromes douloureux complexes2, il est difficile d’évaluer l’expérience sensorielle et émotionnelle du patient animal. La douleur neuropathique, notamment, est difficile à appréhender, car elle est liée à un dysfonctionnement sensoriel, sans rapport avec la lésion initiale, et elle augmente dans le temps. « Elle affecterait sérieusement 90 % des personnes souffrant de lésions spinales chroniques, et il conviendrait de mieux la prévenir et la repérer chez l’animal », constate Luca Zilberstein.

Les tests de douleur donnent de bons indices, mais ils restent limités dans l’évaluation des douleurs complexes et chroniques, et le vétérinaire doit se baser sur d’autres critères. « Par exemple, lorsqu’un animal est amputé de la queue car il la mord, est-ce une douleur neuropathique qui engendre un trouble du comportement ? » interroge notre confrère. Dans ce cas, un traitement de la douleur neuropathique doit ainsi être associé à l’amputation de la queue pour ce motif. Le but est préventif : éviter les phénomènes d’hyperesthésie et d’allodynie. « En cas d’allodynie, ce qui ne fait habituellement pas mal fait mal. Ainsi, un chien qui grogne avant même qu’on l’ait touché ou qui réagit vivement à une caresse n’est pas forcément agressif par caractère : il peut être dans une phase grave de douleur, et dans ce cas, il faut sortir les armes lourdes », explique-t-il.

La prévention en cas de douleur aiguë consiste en une stratégie thérapeutique en trois paliers (voir figure). Cependant, lorsque la douleur chronique est installée, l’approche doit être globale, en prenant en compte l’individu dans son contexte. Certains morphiniques ayant très peu d’effet sur la douleur neuropathique, il convient de combiner des médicaments pour agir à plusieurs niveaux : transduction, transmission, modulation et perception de la douleur. Le vétérinaire doit en outre considérer le coût et l’observance de son traitement, en questionnant le propriétaire sur sa motivation. « L’approche de la douleur neuropathique n’est jamais monomodale, courte ou simpliste, insiste notre confrère. En agissant à plusieurs niveaux, on n’empoisonne pas le patient, et cela lui permet de récupérer. Il faut communiquer avec le propriétaire, qui doit comprendre que les espoirs thérapeutiques ne cibleront peut-être pas la résolution de la douleur à 100 % et que l’animal devra peut-être prendre le traitement à vie. »

De nouvelles pistes thérapeutiques s’ouvrent chez l’humain avec la découverte de molécules qui ont un effet antinociceptif, antiallodynique ou antihyperesthésique par analgésie centrale, et pourraient être dans le futur appliqués aux animaux (par exemple la  dexmédétomidine, la venlafaxine, l'amitriptyline, le tramadol, le tapentadol, dont les effets et applications thérapeutiques sont à l’étude, de même que ceux des conopeptides injectés par voie intrathécale). De plus, pour Stéphane Junot, « l’antalgie interventionnelle, qui consiste en l’ensemble de gestes guidés par l’imagerie à visée antalgique, et qui se développe en médecine humaine, pourrait être adaptée à la médecine vétérinaire pour cibler des structures impliquées dans la douleur ». Ces techniques complexes ne sont pas encore développées chez l’animal, alors qu’elles pourraient présenter un réel intérêt (voir encadré).

Cependant, certaines se démocratisent de plus en plus, comme les blocs loco-régionaux échoguidés, qui consistent en l’injection d’anesthésiques locaux en regard de nerfs ou de plexus nerveux, afin d’interrompre la transmission du signal douloureux périphérique. Les blocs plexiques ou la pose de cathéters épiduraux sont rapportés chez les animaux ; cependant, ils sont globalement limités au traitement d’une douleur aiguë. En cas de douleur chronique, seules sont décrites chez le chien des infiltrations intra-articulaires d’acide hyaluronique et de corticoïdes, ou épidurales de corticoïdes, ainsi que l’administration intra-articulaire de cellules souches.

Les limites à l’utilisation de ces méthodes restent l’établissement du diagnostic, la localisation des zones douloureuses, la tolérance et le maintien des dispositifs hors milieu hospitalier (un cathéter épidural a une durée au maximum de 32 heures chez un chien, alors que la durée moyenne est de 7 jours chez l’humain), et le coût. Une approche pluridisciplinaire, à l’image de ce qui est réalisé chez l’humain dans les centres anti-douleur, semble ainsi la meilleure solution pour les cas de douleurs chroniques réfractaires chez l’animal de compagnie.

Exemples de techniques traitant la douleur chronique en médecine humaine

- Neurolyse par radiofréquence (chaleur), cryoanalgésie ou agent chimique (alcool, phénol)

- Neurostimulation médullaire : une sonde électronique implantée au contact de la moelle épinière par voie péridurale vise à empêcher le signal douloureux d’atteindre le cerveau en le noyant au milieu d’autres informations envoyées à la moelle épinière par les impulsions électriques

- Analgésie intrathécale : un cathéter épidural administre un analgésique morphinique à proximité de la moelle épinière par l’intermédiaire d’une pompe percutanée lors de douleurs cancéreuses réfractaires

- Thérapies régénératives : injection de cellules souches mésenchymateuses, notamment, ou de plasma riche en plaquettes (PRP)

Dans le cas de douleur neuropathique, une thérapeutique plurimodale et longue doit être instaurée. L’antalgie interventionnelle en est peut-être l’avenir.

  • 1. Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie
  • 2. Algoneurodystrophie, fibromyalgie, dystrophie régionale complexe, syndrome douloureux régional complexe et douleurs complexes (oncologique, nociplastique, neuropathique et chronique)
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