Il y a encore des marges de progrès en biosécurité - La Semaine Vétérinaire n° 1933 du 22/02/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1933 du 22/02/2022

IAHP

ANALYSE MIXTE

Auteur(s) : Tanit Halfon

Si la mise à l’abri a permis de retarder l’introduction du virus de l’influenza aviaire hautement pathogène dans les élevages, notamment dans le Sud-Ouest, les mesures de biosécurité peuvent encore être renforcées pour limiter sa diffusion.

Quel bilan peut-on faire de l’épizootie d’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) 2021-2022 ? Deux expertes de l’Anses, Charlotte Dunoyer, cheffe de l’unité d’évaluation des risques liés à la santé et l’alimentation et au bien-être des animaux, et Béatrice Grasland, cheffe de l’unité de virologie, immunologie, parasitologie aviaires et cunicoles du laboratoire de Ploufragan, répondent à nos questions.

À ce stade, quels sont les points clés à retenir de l’épizootie d’IAHP qui sévit actuellement en France ?

Béatrice Grasland : Elle est d’une ampleur équivalente aux deux dernières de 2016-2017 et 2020-2021, avec une circulation très marquée au sein de l’avifaune sauvage et des élevages de palmipèdes du Sud-Ouest. La particularité est que le H5N1 HP est le sous-type viral majoritaire, alors qu’il s’agissait du H5N8 auparavant.

Charlotte Dunoyer : A été aussi constatée une atteinte plus importante des élevages des filières Gallus, notamment en Italie où 18 millions de volailles ont dû être abattues.

B.G : C’est effectivement le cas y compris pour la France, où les premières déclarations en élevages ont concerné ces filières de production dans le Nord, alors que l’an dernier, aucun élevage de ce département n’avait été contaminé. Rappelons cependant le cas de la Pologne, où des élevages de volailles et de dindes avaient été touchés lors de la précédente épizootie. Ces constats sont à compléter par le fait que le H5N1 semble avoir un comportement différent avec une période d’excrétion virale, après infection et avant l’apparition des signes cliniques, qui est encore plus longue que l’année dernière.

Malgré le renforcement des mesures de lutte, les élevages ont été fortement touchés. Comment l’expliquer ?

C.D : Il faut nuancer ce constat. En effet, l’analyse de la dynamique virale montre qu’il n’y a pas eu de diffusion massive du virus s’agissant des premiers foyers détectés dans le Nord et le Sud-Ouest. C’est le signe qu’un certain nombre de mesures de biosécurité ont bien été appliquées permettant de maîtriser la diffusion virale. Pour la Chalosse, il est vrai que l’on revit le scénario catastrophe de l’an dernier. Selon les premières analyses, il apparaît qu’il y a encore des marges de progrès en matière de biosécurité, par exemple en ce qui concerne les mouvements d’animaux, le prêt de matériels… Cela rejoint les conclusions de notre avis de novembre 20211 qui faisait un premier retour d’expérience de la dernière épizootie. On y rappelait que si la mise à l’abri était essentielle, elle n’était pas suffisante et qu’il fallait être très vigilant sur la biosécurité. Dans cette optique, l’excrétion précoce du virus pose une vraie difficulté. Cela implique qu’il faudrait adopter des mesures de précaution draconiennes, comme si une partie de son élevage et son environnement étaient infectés, dès lors que l’on se situe dans une zone contaminée. Pour la Chalosse, le contexte est particulier. Il s’agit de la zone la plus dense en nombre d’élevages, facilitant probablement une diffusion de proche en proche par voie aérienne. Cette situation est délicate car il est clair qu’on ne peut pas réduire la densité des élevages du jour au lendemain.

B.G : L’introduction du virus en élevage a été aussi retardée grâce aux mesures de mise à l’abri, alors que l’avifaune sauvage était fortement contaminée. Pour le reste, il faudra aller encore plus loin dans la biosécurité mais il est encourageant de voir que des choses ont fonctionné.

Faudrait-il renforcer les mesures de gestion de crise ?

C.D : Il y a déjà eu des changements. Comme cela avait été recommandé dans notre retour d’expérience, les autorités sanitaires ont mis en œuvre un dépeuplement préventif immédiat au minimum 1 km autour des foyers pour toutes les espèces et 3 km pour les palmipèdes dès lors que les élevages foyers étaient proches ou dans une zone à risque de diffusion. Je pense que cela a porté ses fruits puisqu’on a réussi à arrêter plus rapidement que l’an passé la diffusion virale dans certaines zones.

B.G : On a aussi réduit à 3 jours le délai pour le dépistage virologique avant mouvement des palmipèdes, ce qui a permis de limiter le déplacement d‘oiseaux infectés. Si tous ces changements n’ont pas porté les fruits espérés dans la zone de la Chalosse, on peut se dire que le renforcement de la biosécurité permettra d’améliorer encore les choses.

La vaccination est-elle une partie de la solution ?

B.G : Cela pourrait être un outil complémentaire de lutte mais c’est loin d’être la solution idéale : rappelons que le vaccin n’empêchera ni l’infection ni totalement l’excrétion. Pour une vaccination préventive, il faudra, de plus, avoir une idée de la souche virale qui aura le plus de chance de circuler. De fait, la mise en œuvre opérationnelle d’une vaccination n’est pas facile, sans compter les questions de commerce international.

Au vu de la dynamique européenne, est-ce qu’on peut craindre une installation durable du virus et une répétition des crises chaque année ?

C.D, B.G : C’est déjà le cas depuis 2016. Il faut s’attendre à ce risque-là tous les ans, lors de la migration de l’avifaune sauvage, au moins sur une échéance à 5 ans. Cette année, on peut parler aussi de panzootie puisque l’Asie, l’Afrique et l’Amérique ont été touchées.

Cette dynamique virale européenne augmente-t-elle le risque d’apparition de virus transmissibles à l’humain ?

B.G : Nous procédons régulièrement à des évaluations de ce risque avec Santé Publique France et les centres nationaux des maladies virales respiratoires. Ce que l’on peut dire, c’est qu’on observe une augmentation des événements de transmission aux mammifères avec des virus présentant des mutations en faveur de cette transmission et d’une virulence accrue chez les mammifères. Donc oui, le risque de transmission aux mammifères et à l’humain a augmenté par rapport aux épizooties précédentes. De plus, ce H5N1 présente une forte capacité de réassortiments, avec plusieurs génotypes qui ont déjà été décrits au niveau européen.

C.D : Plus on laisse diffuser des virus qui ont cette capacité de réassortiments, plus grand est le risque d’adaptation à l’humain. Ces questions de santé publique dictent aussi les actions de lutte contre la maladie.

B.G : Il y a déjà eu un cas humain asymptomatique décrit au Royaume-Uni en décembre dernier. En Asie, a été rapportée aussi une hausse du nombre de cas humains avec des virus qui appartiennent au clade actuel. À ce stade, outre les mesures de lutte et de surveillance, il peut être également utile de recommander la vaccination contre la grippe humaine. Même s’il ne s’agit pas du même virus, cela permettrait d’éviter les phénomènes de réassortiments en cas de co-infections virales et d’émergence de virus adaptés à l’humain avec une capacité de transmission interhumaine. En élevage, l’important est de bien disposer d’équipements de protection individuelle.

La question de la densité

Dans un nouvel avis1, l’Anses a montré que la réduction, même drastique, du nombre d’élevages de canards dans les zones les plus denses (20 % soit 800 élevages de palmipèdes en moins) ne permettait pas totalement de contenir l’épizootie. D’autres facteurs contribuent à limiter la diffusion du virus (biosécurité, mesures de lutte), mais il n’a pas été possible de quantifier l’importance relative de ces différents facteurs. Il n’a pas été possible d’évaluer le facteur de risque lié à la densité des animaux.

1. https://bit.ly/3Jx4f00

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