Prise en charge de la douleur aiguë : l’ISFM publie un guide - La Semaine Vétérinaire n° 1932 du 15/02/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1932 du 15/02/2022

Médecine féline

ANALYSE CANINE

Auteur(s) : Par Anne-Claire Gagnon

Au-delà de la prise en charge stricto sensu de la douleur, souvent sous-estimée chez le chat, les experts insistent sur l’importance des manipulations douces et de la prise en compte des besoins émotionnels de l’animal.

L’International Society of Feline Medicine (ISFM) vient de publier ses premières recommandations1 en matière de prise en charge de la douleur aiguë chez le chat, notamment après une intervention chirurgicale. Les vétérinaires et leurs équipes ont désormais à leur disposition trois grilles d’évaluation2, dont la Feline Grimace Scale3. Cette dernière peut être facilement partagée avec le propriétaire car une application a été développée, permettant ainsi de favoriser la prévention et le dépistage précoce. L’évaluation algique par le vétérinaire doit avoir lieu à chaque examen clinique du patient félin, au même titre que l’auscultation cardio-pulmonaire, la mesure des fréquences cardiaque et respiratoire ainsi que l’appréciation du statut nutritionnel. La majorité des chats subissent au moins une intervention dans leur vie, lors de la stérilisation, et certains vétérinaires ne leur administrent pas d’antalgiques ni n’en prescrivent, ce qui est inadmissible en termes de bien-être.

Les trois grilles intègrent toutes les expressions faciales des chats, pour lesquelles les visages/grimaces de la douleur (feline grimace) ont été décrits. Au-delà de ces expressions (voir photos et schéma), l’évaluation algique se réalise sur les postures, le comportement général, l’activité, ainsi que par une approche dynamique et interactive. Ainsi, dans le cas d’une chirurgie, le chat est d’abord caressé en dehors de la zone présumée algique (plaie chirurgicale) pour vérifier s’il accepte l’interaction, la recherche ou la fuit, puis en périphérie de la plaie. La façon dont il dort et se tient dans la cage d’hospitalisation est également parlante. S’il est en croissant, détendu et roulé en boule, il n’y a pas de douleur. En appui sur ses quatre membres, la musculature abdominale tendue, il est stressé et/ou douloureux.

Afin de faciliter le travail au sein d’une grande structure, il sera utile d’utiliser un seul document à cocher, ce qui réduit la variabilité interindividuelle. L’avantage des grilles de douleur est qu’elles indiquent le seuil à partir duquel il convient d’intervenir, sachant qu’en ce domaine, le doute doit toujours profiter au patient. Selon le tempérament du chat (craintif, peureux) et le niveau de formation du personnel, le risque est une oligoanalgésie par défaut d’identification, notamment lorsque l’animal est dans une position de sommeil simulé, avec les paupières mi-closes, alors que c’est un signe fréquent de douleur abdominale, dentaire ou musculaire ainsi que d’hyperthermie. Les paramètres physiologiques ne sont pas corrélés à la douleur et seul l’appétit, quand il fait défaut, est un indicateur potentiel. Afin de limiter les interférences entre stress et douleur (l’un pouvant être confondu avec l’autre), toutes les manipulations du patient félin seront faites sur le mode ch’amical (cat friendly). L’évaluation de la douleur se réalise 30 à 45 mn après la fin de la chirurgie (selon les analgésiques administrés et l’intensité anticipée pour la douleur), puis toutes les heures.

Le propriétaire doit recevoir toutes les informations nécessaires pour lui permettre, pendant les 3 jours après la stérilisation (et après toute chirurgie en général), de vérifier que son chat n’est pas douloureux. L’utilisation de l’application Feline Grimace Scale trouve ici tout son intérêt puisqu’elle est utilisable à la maison.

En premier lieu, le vétérinaire doit tenir compte des comorbidités existantes, notamment chez les chats de plus de 10 ans (dont 40 % sont atteints de maladie rénale chronique, ou MRC). Ainsi, pour eux, la fluidothérapie peropératoire est une obligation. Pour les interventions où la composante inflammatoire est intense (extractions dentaires, orthopédie, chirurgie importante), il faudra idéalement que le chat se soit déjà réalimenté et abreuvé avant toute administration d’AINS.

L’évaluation de la douleur et sa prise en charge se font en utilisant 5 paramètres : l’identification du type de stimuli douloureux (viscéral, neuropathique, somatique, orofacial), sa localisation, la durée anticipée de la douleur pour une chirurgie, le lieu où se trouve le patient (à l’hôpital ou à la maison) et la sévérité de la douleur.

La prise en charge est, par nature, multimodale et préemptive. Il importe donc d’évaluer le niveau de la douleur que l’intervention chirurgicale va provoquer pour mettre en place un véritable plan antalgique en trois étapes. « La gestion de la douleur ne consiste pas seulement à administrer un médicament antalgique : les besoins émotionnels du chat doivent être considérés et chaque patient traité avec respect et empathie », rappellent également les auteurs du consensus. La première étape consiste à administrer des opioïdes, des anesthésiques locaux et des AINS. La seconde étape fait appel aux antalgiques adjuvants, assurant non seulement l’analgésie mais aussi le confort, la relaxation musculaire et l’anxiolyse en intégrant des moyens non-pharmacologiques à chaque étape (qualité des bandages, glaçage des traumatismes, nursing, fluidothérapie, nutrition, toilettage, calme de l’environnement avec notamment absence de chiens à proximité, etc.).

Les opioïdes bénéficient d’un bon index thérapeutique, avec une remarquable sécurité d’utilisation et une très bonne efficacité analgésique aux doses thérapeutiques. S’ils améliorent la fonction cardiorespiratoire pendant l’anesthésie, leur capacité à réduire la concentration minimale alvéolaire est moindre que pour le chien (25 % d’isoflurane en moins au lieu de 79 % chez le chien). Par ailleurs, les chatons et jeunes chats ont besoin d’injections plus fréquentes. Le choix de l’opioïde dépend de la sévérité de la douleur anticipée : la buprénorphine si elle est faible à moyenne, la méthadone et le fentanyl si elle est forte. Sauf contre-indication (affections gastro-intestinales, intolérance connue, MRC instable, affection hépatique, coagulopathie, anémie, hypovolémie et hypotension, administration d’un autre AINS ou de corticoïdes), tous les AINS (méloxicam, kétoprofène, robénacoxib) sont d’excellents analgésiques et doivent être intégrés lors de toute chirurgie car elle provoque, par nature, une inflammation. La posologie doit être basée sur la masse corporelle maigre et le chat être normovolémique. Les analgésiques adjuvants complémentaires (kétamine, gabapentine, tramadol) seront administrés en cas de douleur sévère et pour prévenir la persistance de la douleur postopératoire lorsque les AINS sont contre-indiqués.

Sur la peau, un mélange eutectique de lidocaïne à 2,5 % et de prilocaïne à 2,5 % (1 ml ou 1 g/application) permet d’obtenir une anesthésie locale en 30 à 60 minutes (20 minutes pour les chats prémédiqués avec de la dexmédétomidine et un opioïde). Les blocs loco-régionaux assurent une excellente analgésie (absence complète de douleur), sont d’un coût très modéré, permettent de diminuer les quantités d’anesthésiques injectables (notamment les opioïdes) et volatiles et améliorent la fonction cardio-respiratoire. Pour assurer la sécurité de leur emploi, un calcul et un respect scrupuleux des doses en fonction du poids de chaque patient félin sont nécessaires, avec la préparation minutieuse des seringues. Le risque majeur est l’injection accidentelle en intravasculaire, qui est limité en aspirant avant d’injecter. La réalisation de la péridurale sacro-coccygienne doit tenir compte de l’anatomie du chat, avec une profondeur évaluée à 0,6 cm, alors que la distance entre la peau et le ligamentum flavum est de 1 cm. L’espace péridural est de faible volume et l’analgésie per-opératoire excellente.

La réalisation au quotidien d’un bloc locorégional ne nécessite pas toujours un échoguidage. Ainsi, le bloc intratesticulaire, une fois le chat anesthésié, se réalise simplement avec 0,1 (pour un chaton) à 0,25 ml (pour un adulte) d’anesthésique local/testicule, avec une aiguille 25G (voir photo). L’analgésie peut être incisionnelle et intrapéritonéale, en splash, lors d’ovariectomie.

C’est en chirurgie dentaire que les blocs sont les plus utilisés, avec 0,1 à 0,3 ml de lidocaïne par nerf (aiguille 25 ou 27 G). Une précaution toute particulière est nécessaire pour le bloc infra-orbitaire, en insérant l’aiguille sur seulement 4 à 5 mm dans le canal infra-orbitaire pour ne pas léser l’œil, notamment chez les brachycéphales.

Enfin, les alpha-2 agonistes seront utilisés dans l’approche multi-modale, jamais seuls, chez des chats dont la fonction cardio-respiratoire est stable. Ils leur apporteront une myorelaxation importante. La dexmédétomidine et la médétomidine seront préférées à la xylazine. La kétamine sera utilisée à dose infra-anesthésique (effet antihyperalgésique) en perfusion continue pour la prévention et le traitement de l’hyperalgie et de l’allodynie. La variabilité inter-individuelle du tramadol rend son utilisation incertaine, avec parfois des effets secondaires désagréables (salivation importante). Les données manquent sur l’action de la gabapentine sur la douleur aiguë, de même que sur des protocoles sans opioïdes (dont la qualité analgésique est actuellement décevante). Enfin, l’analgésie en pédiatrie féline reste un domaine à explorer car, comme chez l’enfant, les jeunes chatons sont bien sûr sensibles à la douleur.

  • Des vidéos sont disponibles grâce à la faculté de médecine vétérinaire de l’université de Montréal et à Matt Gurney (Zero Pain Philosophy) :
  • https :/www.youtube.com/channel/UCaDaAco76nwBq7BWEO-dLcA/search?query=steagall
  • 1. Steagall P.V., Robertson S., Simon B., Warne L.N., Shilo-Benjamini Y., Taylor S. 2022 ISFM Consensus Guidelines on the Management of Acute Pain in Cats. J Feline Med Surg. 2022 Jan ; 24 (1) : 4-30.
  • 2. UNESP-Botucatu multidimensional feline pain assessment scale short form (UFEPS-SF), Glasgow composite mesure pain scale-feline (Glasgow CMPS-feline), Feline Grimace Scale
  • 3. Voir La Semaine Vétérinaire n° 1923 du 03/12/2021
Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr