Soigner la qualité de vie au travail - La Semaine Vétérinaire n° 1931 du 08/02/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1931 du 08/02/2022

DOSSIER

Auteur(s) : Tancrède Amalbert

Loin d’être un artifice managérial, se soucier de la qualité de vie au travail de son équipe permet de répondre à des objectifs sociaux, économiques et organisationnels et représente ainsi un potentiel de compétitivité pour une entreprise. 

Depuis longtemps cantonnée à la notion simplifiée de bien-être au travail, la qualité de vie au travail (QVT) est aujourd’hui définie comme les conditions dans lesquelles les travailleurs exercent leur travail et leur capacité à s’exprimer et à agir sur le contenu de celui-ci. Il est alors aisé de comprendre que la QVT est subjective car elle est une résultante de la perception de chacun.

L’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT) propose de la résumer en six thématiques (voir figure). En médecine humaine, les études en démontrent les bénéfices : diminution notable du turn-over des soignants, indice de satisfaction plus élevé, baisse de l’absentéisme et des arrêts maladie1,2… Plusieurs leviers précis d’amélioration de la QVT ont été identifiés, comme donner plus d’autonomie au personnel, favoriser le travail d’équipe, fournir l’accès à la formation continue, entretenir un bon climat social, accorder de l'importance à la qualité des soins…

Souvent, les pratiques managériales sont indissociables de ces leviers3–6. Afin d’identifier les enjeux spécifiques à chaque établissement de soins, la création d’un espace de discussion est nécessaire. Il vise à sensibiliser l’ensemble du personnel aux conditions de travail et contraintes de leurs collègues, et favorisent les échanges entre équipes. Ils visent aussi à inclure les travailleurs dans le processus décisionnel : cela valorise leurs idées et les rend acteurs de leur propre QVT7.

Les études montrent que la prise en compte de la QVT contribue à renforcer sa marque employeur, améliorer la qualité des soins et l’expérience client, diminuer les coûts par la prévention, innover sur de nouvelles façons de travailler1,3… Une démarche QVT n’est donc pas un simple artifice pour faire plaisir aux salariés, mais se caractérise comme un compromis socio-productif à bénéfice réciproque. Les bénéfices apportés par l’amélioration de la QVT sont considérés plus importants que les moyens investis dedans. Se lancer dans une démarche pour l’amélioration de la QVT devient alors un réel outil de performance, de compétitivité et de rayonnement8. Une clinique vétérinaire dispose donc d’un réel intérêt à se pencher sur cette question, d’autant plus face à des effectifs croissants, pouvant complexifier la gestion du personnel.

Adopter une démarche QVT s’apparente à de la gestion de projet. Les motivations pour se lancer sont multiples. Elles peuvent être d’ordre curatif : la volonté de répondre à un enjeu précis (difficulté à recruter, dégradation du climat social, turnover important…) ou à un enjeu encore non identifié (recherche d’un diagnostic). Elles peuvent être d’ordre préventif : identifier et prévenir les facteurs de risque de l’entreprise, évaluer et prévoir l’effet d’une nouvelle organisation du travail (changement d’espace de travail, création d’un nouveau pôle dans la clinique, création de nouveaux postes…). Elles peuvent être d’ordre informatif et stratégique : formation et sensibilisation à la QVT, évaluation et suivi de la QVT du personnel, volonté d’expérimenter et d’optimiser de nouvelles organisations…

Se lancer dans une démarche QVT demande une motivation de la part d’au moins un dirigeant de la clinique, qui se portera garant ou trouvera un porteur de projet. En se basant sur la littérature en sciences humaines et sur ce qui est réalisé au sein des institutions hospitalières, il est proposé de déployer une démarche QVT en milieu vétérinaire selon cinq étapes, sur huit semaines.

La première étape est la formation d’un groupe de pilotage et la préparation des acteurs. Le groupe de pilotage est l’élément crucial de la démarche. Son premier rôle est de mettre en place un espace de discussion dans lequel chacun peut exprimer sa perception de la QVT, pour aboutir à une définition commune. Son second rôle est décisionnel puisqu’il valide les étapes clés de la démarche, dont le diagnostic ; il proposera les solutions choisies pour améliorer la QVT, et les suivra dans le temps.

Le groupe devrait être composé de membres, volontaires, représentatifs de l’activité de la clinique : vétérinaires employés et associés, auxiliaires vétérinaires, personnels non vétérinaires… Les expériences vécues, enjeux soulevés et solutions proposées lors des échanges seront alors fidèles à la réalité du terrain. Cette diversité est garante de la qualité des actions qui seront prises, car elles seront en accord avec la politique et la stratégie de la clinique, ainsi qu’avec les attentes du personnel. Afin de ne pas exclure le reste de l’équipe, toute personne pourrait assister et intervenir aux réunions du groupe de pilotage.

La présence d’un des gérants de la clinique dans ce groupe semble indispensable. Sa connaissance de la structure et de son fonctionnement lui confère une expertise nécessaire dans l’analyse de données, la confirmation du diagnostic et la proposition de solutions. Parallèlement, il doit garantir l’absence de tout jugement ou de « représailles » vis-à-vis des propos tenus, afin de favoriser les discussions.

L’animation de ce groupe devrait être confiée à une personne ayant une connaissance méthodologique de la démarche QVT et qui est capable de l’expliquer au reste du groupe. Il devient alors porteur du projet tout en déléguant des tâches afin de rendre chaque membre du groupe acteur.

La deuxième étape consiste à définir de manière collective les enjeux de la QVT, en lien avec les motivations de départ . Pour ce faire, le schéma de l’ANACT peut aider à les identifier. Il ne s’agit pas d’établir une liste de revendications ou de dysfonctionnements, mais d’identifier des enjeux généraux. Ces enjeux, spécifiques à chaque structure, sont à prioriser en fonction de plusieurs critères : le risque professionnel sur lequel ils ont un impact, l’intensité de leur répercussion, leur facilité à être mesurés et pilotés et leur impact sur d’autres enjeux. Cela aboutit à la rédaction d’une feuille de route la plus précise possible, détaillant les objectifs à atteindre (et leur deadline !), le nombre et la date des réunions prévues, les livrables fournis à chaque échéance et les difficultés à envisager.

La troisième étape sert à la production du diagnostic, via une enquête visant à l’exploration des enjeux précédemment définis. Elle mobilise tout outil utile : questionnaires, analyse des données sociales, réalisation d’entretiens, recours à l’observation… L’analyse des données sociales est importante car elle permet notamment d’identifier des activités ou catégories de personnes soumises à des risques professionnels particuliers, et aussi de caractériser l’évolution des effectifs (turnover, absentéisme). Ce diagnostic va permettre d'évaluer et identifier des problématiques précises.

La quatrième étape est la restitution des résultats, durant laquelle seront mis à plat l’ensemble des problématiques de la clinique, mais aussi ses forces. Les problématiques sont ensuite priorisées et des solutions pour y pallier sont proposées et validées collectivement. Afin de les déployer, la rédaction d’un plan d’action est nécessaire.

Enfin, la cinquième étape est celle du suivi et de l’évaluation des retombées des expérimentations mises en place. Pour réaliser ce suivi, un responsable de chaque expérimentation est idéalement nommé, avec pour mission de veiller à ce que les nouvelles mesures soient communiquées, comprises et appliquées par l’ensemble des travailleurs concernés. Des outils d’évaluation plus ou moins formels sont à prévoir afin de mesurer l’efficacité de cette expérimentation. Au vu des retours, l’instance de pilotage décidera de continuer, ou pas, l’expérimentation.

À terme, le groupe de pilotage devient une sentinelle de la QVT du personnel. C’est un espace de discussion et d’expression (et non pas un bureau des plaintes) qui aborde périodiquement de nouveaux enjeux présents ou à venir. Il vise à faire émerger des solutions, à faire remonter l’information et à être source de compromis socio-professionnels.

Il va de soi qu’il est possible de soigner sa QVT sans pour autant suivre scrupuleusement toutes les étapes citées. Néanmoins, appliquer une méthodologie permet de verbaliser des notions parfois peu comprises et de donner une dynamique de projet à ce processus. Dans une situation de « crise » dont l’origine est difficile à déterminer, se passer des outils d’enquête (entretiens, questionnaires etc…) devient délicat. Le recours à un intervenant externe peut devenir pertinent de par son expérience et sa position neutre comme intermédiaire et médiateur.

Dans le cadre d’une action préventive et pour donner la parole au personnel et expérimenter de nouvelles organisations, il est possible de se limiter à la construction d’un espace d’expression. Cela est semblable à la formation d’un groupe de pilotage, qui doit être représentatif et animé par un responsable. Le regroupement sous forme de table ronde autorise l’expression de chacun, la sensibilisation à des questions de QVT et à l’émergence d’enjeux présents ou à venir. Dans tous les cas, au vu de tous les bénéfices qu’apporte une bonne QVT du personnel, ces mesures pourraient exister de facto dans toutes les cliniques, quelle que soit leur taille7.

Laurent Brun (L 93)

Praticien à Sorgues (Vaucluse)

A participé à l’expérimentation de la démarche QVT au sein de sa structure

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« Nous avons gagné en sérénité »

Cette démarche ne présente que du positif. Au départ, nous avions de l’appréhension, nous nous demandions quels retours nous aurions et comment nous allions les gérer émotionnellement. Finalement, cela nous a fait prendre conscience de nombreux enjeux autour de l’humain : la souffrance au travail, la pénibilité, les problèmes de communication… Tous ces enjeux, ce sont des marges de développement et de croissance pour la clinique. Par exemple, les réunions d’équipe ont augmenté en fréquence et elles sont de plus en plus transversales. Elles permettent au personnel, en particulier aux ASV, de s’exprimer sur des problématiques rencontrées et de s’impliquer dans des décisions. Nous avons aussi incité le personnel à se former.

Aujourd’hui, nous voyons que le personnel et les associés sont sensibilisés aux questions humaines. L’ambiance est plus apaisée et une attention particulière est apportée à la façon de communiquer. Il y a plus d’entraide et de bienveillance entre chacun. Cela amène de la sérénité dans notre travail en tant que dirigeants et nous observons une implication décuplée de la part des travailleurs. Au final, cela se fait ressentir sur le plan économique : le résultat de l’année est au-delà de nos espérances et nous a permis de verser des primes à l’équipe !

Pierre Mathevet (L 85)

Président de Tirsev

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« Un enjeu pour le recrutement »

Un des enjeux majeurs du secteur vétérinaire est le recrutement de vétérinaires et d’auxiliaires, et l’investissement en temps et en argent est conséquent lorsqu’un salarié quitte l’entreprise et qu’il doit être remplacé. Une des solutions pour recruter le moins possible est de fidéliser les salariés grâce à la QVT. De nombreuses études montrent qu’elle agit aussi sur leur motivation et améliore le résultat économique de l’entreprise.

La façon de manager est un levier majeur : l’organisation en équipe véritable, avec un leader et non pas un ou des chefs et dans laquelle les vétérinaires et auxiliaires sont autonomes et disposent de responsabilités, est devenu primordiale. Une libération de la parole est nécessaire afin d’établir la confiance entre les collaborateurs en s’appuyant notamment sur des temps d’écoute formels ou informels.

Porter de l’attention à la QVT des salariés et des associés est une responsabilité collective. Pour cela, une première étape est de conduire un diagnostic en questionnant les salariés. Ensuite, choisir des actions concrètes à mettre en place pour répondre aux enjeux peut s’avérer compliqué. Le recours à un intervenant externe peut être un plus pour commencer, mais dans tous les cas, l’envie d’expérimenter et d’améliorer doit faire partie de la culture d’entreprise pour élaborer de nouvelles solutions.

Philippe Colombat

Professeur d’hématologie (Tours), président de l’Observatoire de la qualité de vie des professionnels de santé1

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« Une démarche collective »

Avant de mettre en place une démarche participative, il faut créer un collectif. Ce dernier doit inclure toutes les catégories socioprofessionnelles impliquées dans les décisions touchant au travail qui les concerne. Il faut ensuite créer des espaces d’échanges participatifs : dans le cadre d’une clinique, cela peut aller d’une ronde quotidienne concernant les cas hospitalisés et l’organisation de la journée à des réunions mensuelles portant sur des questions plus globales sur le fonctionnement de la clinique.

Pour exemple, notre équipe a bénéficié d’anciens locaux mais qui étaient inadaptés à l’hématologie. Comme nous avions financé les travaux, nous avons pu décider des plans. Pour cela, j’ai mis en place un groupe de travail composé d’aides–soignantes et d’infirmières qui ont redessiné les plans du service : elles ont restructuré les salles de soins, agencé une salle de détente conforme à leurs attentes, et elles ont notamment décidé de créer un appartement des familles pour loger ces dernières lorsqu’un de leurs proches est mal en point. C’était une innovation pour l’époque et elle a émergé de l’intelligence collective. Intégrez le personnel dans les processus décisionnels et il saura faire preuve d’innovation.

Une obligation légale

Se soucier de la QVT n’est pas que l’affaire d’employeurs philanthropes. C’est aussi et d’abord une obligation légale de toute entreprise et donc de tout établissement de soins vétérinaires. D’après l’article L. 4121 du Code du travail, l’employeur engage sa responsabilité dans l’application de mesures nécessaires à la préservation de la santé physique et morale de ses travailleurs. Cette responsabilité s’étend de l’évaluation des risques à la mise en place et l’application de plans de prévention. Un des aboutissements de cet article est la rédaction obligatoire d’un "document unique d’évaluation des risques" (DUER) dans toutes les entreprises comprenant au moins un salarié, à actualiser une fois par an au minimum ou lors de modifications des conditions ou de l’espace de travail.

  • Cet article a été rédigé d’après la thèse d’exercice vétérinaire « Évaluer et améliorer la qualité de vie au travail du personnel des établissements de soins vétérinaires : élaboration d’une démarche QVT au sein d’un groupe de cliniques vétérinaires », Tancrède Amalbert, 2020, VetAgro Sup.
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