Raisonner sa prescription d’antiparasitaires - La Semaine Vétérinaire n° 1931 du 08/02/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1931 du 08/02/2022

Environnement

ANALYSE CANINE

Auteur(s) : Tanit Halfon

La maîtrise du risque environnemental passe par l’adoption des bonnes pratiques générales d’usage des antiparasitaires des carnivores domestiques, basées sur l’adaptation de la prescription au mode de vie de l’animal, et le respect des précautions d’usage des médicaments. Le point avec Émilie Bouhsira et Aude Ferran, enseignantes-chercheuses à l’ENVT.

Le risque d’écotoxicité des antiparasitaires des chats et chiens apparaît négligeable, ce qui n'empêche pas de raisonner sa pratique,  permettant de redonner une place centrale au conseil vétérinaire dans la prévention parasitaire, expliquent Émilie Bouhsira, présidente de l’Esccap1 France et enseignante en parasitologie, et Aude Ferran, enseignante en physiologie et thérapeutique, à l’École nationale vétérinaire de Toulouse.

En élevage, les effets non intentionnels des antiparasitaires sur des organismes non cibles sont de plus en plus pris en compte. Est-ce que cet aspect est également à considérer pour les carnivores domestiques ?

Émilie Bouhsira : Cette question est légitime, quelle que soit l’espèce animale. Si on s’intéresse au cas d’un animal isolé, on peut considérer le risque comme minime, les traitements antiparasitaires étant la plupart du temps irréguliers. Peut-être que la question se pose en collectivité ou en élevage de carnivores, dans lesquels on peut mettre en place des protocoles de traitement antiparasitaire plus réguliers avec un traitement d’un grand nombre d’animaux en même temps, et utilisant le même principe actif.

Aude Ferran : N’oublions pas non plus que le contact d’un animal de compagnie avec l’environnement est très différent par rapport à celui d’un animal d’élevage au pâturage. De plus, en situation d’élevage, il y a un grand nombre d’animaux traités en même temps, avec un risque de relargage plus massif de résidus antiparasitaires dans l’environnement.

Peut-on faire des recommandations générales spécifiques d’usage par rapport au risque environnemental ?

E.B : Administrer un antiparasitaire implique de peser la balance bénéfice/risque. En ce qui concerne les bénéfices, ces médicaments visent à contrôler l’impact médical et sanitaire des parasitoses, tant pour la santé animale que la santé humaine en cas de zoonoses parasitaires. Il est donc évident qu’il est difficile de s’en passer, mais cela n’empêche pas d’adopter de bonnes pratiques d’usage eu égard au risque environnemental. Maîtriser ce risque passe avant tout par une prescription des antiparasitaires raisonnée, c’est-à-dire adaptée au mode et milieu de vie de l’animal, et au risque parasitaire associé. Dans ce cadre, rappelons aussi qu’il est important d’identifier le profil des différentes personnes vivant avec l’animal – enfants, femmes enceintes, personnes immunodéprimées… pouvant modifier ces recommandations de traitement.

Si le praticien a à sa disposition des guidelines, les recommandations émises ne sont pas figées, et sont à adapter au mode de vie de l’animal et aux risques parasitaires adaptés ainsi qu'au risque environnemental. Dans cette optique, pour la vermifugation, l’analyse coproscopique est un examen de choix en tant qu’alternative au traitement régulier du chien adulte. L’idéal serait d’effectuer une analyse une à deux fois par an afin d’adapter le traitement suivant le résultat, notamment pour le choix de la molécule antiparasitaire. C’est un examen simple à faire, directement au chevet de l’animal et peu onéreux. Ramasser les matières fécales permet aussi de contrôler le risque d’écotoxicité, cette recommandation étant aussi valable pour éviter toute dissémination des parasites internes (œufs, larves) dans l’environnement et donc une recontamination de l’animal et des congénères, et parfois de l’Homme.

A.F : C’est dans les premières 48 heures post-traitement que le risque de dissémination de parasites encore vivants via les selles, mais aussi de résidus antiparasitaires actifs, est présent. En élevage, le risque de résidus d’antiparasitaires via les fumiers et lisiers, et de contamination des eaux, est quelque chose de bien connu avec des recommandations précises de gestion des effluents. Avec un chien ou un chat, c’est vrai que le risque apparaît tout de même bien plus limité.

Faut-il privilégier des médicaments plus spécifiques d’espèces plutôt qu’à large spectre ?

E.B : Il ne me semble pas que le spectre soit directement corrélé à l’écotoxicité. De plus, la majorité des médicaments disponibles sur le marché visent plusieurs parasites. Le plus important est d’alterner les principes actifs afin d’éviter la sélection de souches parasitaires résistantes, idéalement tous les ans ou tous les six mois dans des contextes d’élevage pour les anthelminthiques.

Quelles précautions d’usage quant à la galénique ?

E.B : Tout dépend du mode de vie de l’animal et du souhait du propriétaire. Un collier antiparasitaire ou un spot-on ne sont pas des présentations pertinentes pour un chien qui se baigne souvent, et sont certainement moins adaptés pour contrôler le risque de relargage de résidus d’antiparasitaires dans l’environnement.

A.F : Ces deux types de galéniques seront probablement remises en question d’ici quelques années, car on dispose d’alternatives avec des comprimés et à cause du risque d’exposition pour le propriétaire de l’animal. Pour le risque environnemental, il faut bien se rendre compte qu’un spot-on contient une quantité énorme de molécules actives ; une étude a montré qu’une dose de sélamectine destinée à un chien d’une race géante et diluée dans quatre piscines olympiques pourrait y tuer 50 % des invertébrés.

Ceci dit, le spot-on est censé rester sur l’animal et ne pas être entièrement et spontanément relargué dans l’environnement ; de plus, localement, la concentration diminue en quelques jours. Difficile d’imaginer une situation où un chien traité pourrait contaminer des abeilles… En revanche, le risque d’exposition pour la personne qui manipule le produit ou qui vit avec le chien est bien réel et est bien appréhendé dans les précautions d’usage du RCP qui stipulent de ne pas manipuler l’animal traité, ne pas dormir avec…

E.B : Il y a malgré tout une limite à l’utilisation de comprimés qui ne sont pas pertinents lorsque l’on souhaite prévenir la transmission d’agents pathogènes vectorisés. Dans les zones géographiques à risque, on conseillera des formulations à base de pyréthrinoïdes (donc uniquement chez le chien !) disponibles sous forme de collier ou de spot-on ; l’objectif est d’éviter la piqûre du vecteur et donc la transmission de l’agent pathogène. Enfin, en matière de galénique, n’oublions pas non plus les shampooings pouvant être efficaces en cas d’infestation massive par des puces. Dans ce cas, les eaux de rinçage doivent être éliminées via les stations d’épuration : il est donc conseillé de traiter son chien dans la baignoire, et non pas dans le jardin.

Que dit la réglementation?

La réglementation dispense d’études d’écotoxicité les médicaments à destination des carnivores domestiques. En revanche, pour les biocides, dont les répulsifs pour animaux de compagnie, des valeurs d’écotoxicité de référence à ne pas dépasser dans chaque compartiment (eau, air, sol…) sont déterminées. La nouvelle réglementation européenne sur le médicament ne change rien, mais la Commission européenne devait présenter au Parlement et au Conseil fin janvier 2022 une étude de faisabilité sur la mise en place d'un système d’analyse par substance active et d’autres options pour évaluer le risque environnemental des médicaments vétérinaires.

  • 1. European Scientific Counsel of Companion Animal Parasites
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