One Health : l’interdisciplinarité est cruciale - La Semaine Vétérinaire n° 1931 du 08/02/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1931 du 08/02/2022

Stratégie

ANALYSE GENERALE

Auteur(s) : Par Lorenza Richard et Marine NeveuxLorenza Richard

Anticiper, contrôler, agir, communiquer en temps de paix pour construire un écosystème résilient qui ne favorisera pas l’émergence des agents pathogènes ressort comme un objectif partagé.

Deux ans après sa création, le Hub VPH (Veterinary Public Health) a organisé sa première conférence internationale en distanciel autour du concept Une seule santé les 27 et 28 janvier 2022. Ce webinaire intitulé « Le concept d’Une seule santé à la confluence de la santé publique humaine et vétérinaire » a mis l’accent sur l’importance de cette approche pour se préparer et répondre au risque d’émergence d’une nouvelle maladie infectieuse. En effet, la necessité de ne plus gérer une pandémie dans l’urgence fait partie des enseignements de la crise du Covid-19, comme d’autres crises précédentes (Ebola, par exemple). La prévention ne remplace pas une préparation plus en amont, dès l’apparition de la maladie chez l’animal. 

Pour Thierry Lefrançois, directeur du département Systèmes biologiques du CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement), plusieurs coronavirus circulent chez les humains et les animaux, et peuvent être à l’origine de zoonoses. Le Covid-19 est sans doute apparu chez les chauves-souris, mais l’hôte intermédiaire entre elles et l’humain n’est pas encore connu. La gestion de la crise doit ainsi prendre en compte la santé animale, et les vétérinaires doivent être associés à la réflexion sur la façon de mettre en œuvre une approche multidisciplinaire de la santé, le système actuel n’étant pas structuré selon ce principe. Le Conseil scientifique Covid-19 français, dont notre confrère est membre, rédige actuellement un rapport prenant en compte la notion d’Une seule santé, qu’il convient d’intégrer au niveau national et international.

L’initiative Prezode (PREventing ZOonotic Disease Emergence), pilotée par Jean-Luc Angot, réunit un réseau de partenaires internationaux dans le but d’améliorer la prévention et de trouver des solutions par un travail collectif là où les maladies émergentes sont identifiées et là où le contact entre humains et animaux pourrait favoriser leur émergence. Prezode a une ambition internationale et vise à soutenir des projets de recherche pour appréhender les risques de maladies infectieuses émergentes et leur détection précoce. « Prezode propose aussi un réseau où il est possible de partager les connaissances qui sont utilisées par les pouvoirs décisionnaires », détaille Muriel Vayssier, microbiologiste à l'Inrae investie dans Prezode.

« ll est important de détecter des signaux faibles d’une maladie émergente. Il faut donc de meilleurs systèmes de surveillance et de nouveaux outils technologiques », poursuit Muriel Vayssier. Le concept d'Une seule santé a été développé pour la surveillance et l’identification des maladies émergentes, à travers la recherche sur les réservoirs animaux (Nipah, Ebola, coronavirus), les maladies vectorielles (West Nile, par exemple), la circulation virale, etc. explique Thierry Lefrançois. Cela inclut le développement de nouvelles techniques d’épidémiosurveillance, en considérant l’interaction entre les santés humaine, vétérinaire et environnementale, pour aider les décideurs politiques à prendre des décisions.

L’émergence accrue de maladies d’origine animale montre qu’il convient de travailler sur leurs causes, dont les facteurs écosystémiques. Serge Morand, écologue au CNRS, pointe aussi la nécessité de travailler sur l'écosystème, la biodiversité, la nature, les paysages. Il invite aussi à suivre une feuille de route pour les maladies tropicales négligées.

Au plan national, des surveillances interdisciplinaires doivent être mises en place, avec un vrai partenariat public-privé qui fasse participer les décideurs et les populations, selon le modèle de la plateforme d’épidémiosurveillance française. Emmanuelle Soubeyran, directrice adjointe au ministère de l’Agriculture rappelle en effet que trois plateformes d'épidémiosurveillance1 existent en France : en santé animale, végétale et de la chaine alimentaire. Elles jouent un rôle important pour mettre en place des protocoles de surveillance des maladies, notamment, et aident aux décisions ; une coordination intra et inter plateforme est nécessaire. De plus, le concept Une seule santé est au cœur des actions pour réduire l'utilisation des antibiotiques, lutter contre les épizooties, assurer la sécurité sanitaire des aliments. Un nouveau plan de stratégie 2021-2023 est développé avec les services décentralisés et place le concept au cœur de la surveillance des risques.

Thierry Lefrançois constate que la recherche et l’identification zoonotique possible de nouvelles maladies graves doivent également être améliorées à l’hôpital, en abattant les barrières administratives qui font obstacle à une bonne coopération dans ce domaine. Enfin, il faudrait des cursus communs regroupant médecins, vétérinaires et écologues et une coopération interministérielle.

L'approche holistique est soulignée par notre consoeur Bernadette Abela Ridder (OMS), épidémiologiste qui travaille en santé publique : « Nous avons besoin d’avoir un bon système de santé publique, à des niveaux locaux aussi. » Les recherches académiques permettent de nourrir des programmes de formation. « Nous avons besoin de leaders, de municipalités qui ont le pouvoir de changer les choses car elles gèrent différents secteurs. » ​​​Elle invite aussi à réfléchir à la mise en place d'incitations pour que les éleveurs s’engagent dans la démarche Une seule santé.

Teshome Mebatson, chef de la recherche sur les maladies virales de Boehringer Ingelheim, rappelle qu’il convient de questionner notre impact sur l’environnement dans l’apparition de zoonoses. Ces dernières ont souvent des conséquences catastrophiques sur la santé publique, les populations animales et l’économie ; les prévenir est un défi politique, économique et éthique. C’est pourquoi le partage de connaissances sur les différentes maladies, même non émergentes, est important, entre experts mais aussi avec les décideurs et le grand public.

Pour Thierry Lefrançois, il convient de ne pas attribuer l’entièreté du risque infectieux à une seule espèce animale (chauve-souris, par exemple), mais de l’envisager de façon globale. Pour Pascal Hendricx (IGSPV), l’idéal serait la création en partenariat public-privé d’un centre où toutes les données seraient collectées, suivies, et rendues accessibles à tous ceux qui pourraient les analyser et ainsi évaluer le risque avant même l’apparition d’une maladie. La surveillance et les études devraient également être élargies à la santé des territoires, l’OMS ayant fait remarquer que près d’un quart des décès dans le monde sont liés à des questions environnementales ; de plus, les comorbidités et questions sociales ont également un impact sur les effets d’une maladie. Cependant, le travail de surveillance repose sur le travail en commun de personnes qui n’ont pas l’habitude de travailler ensemble.

Orla Shortall, sociologue spécialisée dans l'agriculture (Royaume-Uni), explique que beaucoup d’acteurs privés pourraient partager des données. Par exemple, des agriculteurs collectent des données dans le cadre de la sécurité sanitaire des aliments pour les consommateurs, et il conviendrait de les informer que ces données peuvent également être intégrées à un objectif de surveillance nationale, afin qu'ils les transmettent. Thierry Lefrançois confirme qu’il conviendrait d’élargir et d’améliorer le type de données collectées (fièvre dans une population, etc.) et de les rassembler pour détecter précocement des événements anormaux, en coopération avec les autorités de surveillance et les institutions de recherche. Cela permettrait de gagner du temps pour prévenir une flambée épidémique, et ainsi de sauver des vies animales et réduire l’incidence sur la population humaine. Le recueil des données par l’intelligence artificielle est une solution, mais il ne remplace pas la surveillance classique sur le terrain, il la complète. Pour cela, une confiance doit s’instaurer entre les partenaires qui échangent les données, car cela a un avantage énorme, notamment pour les vaccins.

Pour Orla Shortall, l’approche Une seule santé permet de faire dialoguer différentes disciplines mais un manque de confiance peut découler du fait que certains groupes ont des objectifs trop restrictifs. En santé animale, par exemple, une ferme idéale peut être envisagée pour contrôler les maladies, mais cela ressemblerait à une usine si l’accent n’était mis que sur un objectif de biosécurité, et pourrait avoir des conséquences très négatives sur l’environnement ou l’agriculture. Si on reconnaît que les trois formes de santé sont essentielles et liées les unes aux autres, alors on peut sans doute faire émerger de la confiance.

Pour Pascal Hendricx, la confiance résulte du passé, pas de l’avenir. Le public fait souvent preuve d'un manque de confiance ; il convient donc de renforcer cette dernière, avec un processus décisionnel partagé. Si toutes les parties prenantes sont assises à la même table, comme c’est le cas dans la plateforme française d’épidémiosurveillance, qui est un élément clé de la gouvernance de la santé, de meilleurs résultats peuvent être obtenus. La formation est aussi importante : si les décideurs politiques sont formés aux questions de maladies émergentes et conscients des contraintes qui pèsent sur les chercheurs et parties prenantes, ils peuvent mieux leur faire confiance et les faire participer aux processus décisionnels.

Orla Shortall ajoute qu’il est nécessaire d’impliquer les parties prenantes et le grand public, en communiquant ; les médias jouent aussi un rôle important. De plus, le grand public peut être considéré comme un observateur qui peut aider à compléter les sources, et cela est nouveau. Thierry Lefrançois cite l’exemple des observations de moustiques-tigres qui ont été remontées par le grand public, ce qui permet à ce dernier non seulement de comprendre ce que les chercheurs font mais aussi de s’engager et d’être actif dans le processus de surveillance.

Hub HPV

Initiative publique-privée implantée à Lyon, le Hub HPV a pour objectif d’être un centre de référence mondial en santé publique vétérinaire. « Son ADN est de rassembler les expertises d’univers différents pour conjuguer les talents », indique Erick Lelouche, président de Boehringer Ingelheim France. Il était pour lui logique de travailler sur le concept One Health lors de cette première conférence, « approche intégrée qui vise à optimiser la santé des personnes, des animaux et des écosystèmes. Toutes ces santés sont étroitement liées et interdépendantes, elles ne font qu’une. » En effet, « construire des ponts entre les différentes santés est un enjeu majeur, et l’interdisciplinarité est cruciale pour que nous puissions apporter les bonnes solutions ».

Lorenza Richard

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