Médecine de refuge : une discipline à part entière - La Semaine Vétérinaire n° 1930 du 01/02/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1930 du 01/02/2022

DOSSIER

Auteur(s) : Par Anne-Claire Gagnon

La médecine de refuge est une jeune discipline, même si en pratique les vétérinaires sont toujours intervenus dans les refuges, dès que les associations de protection animale ont commencé à les mettre en place. Particularités et enjeux.

L’objet de la médecine de refuge est de « prendre soin des populations d’animaux sans propriétaire et des individus jusqu’à leur adoption ». C’est à la fois une médecine de collectivité voire de communauté et une médecine individuelle, dont la pathologie infectieuse et le bien-être animal sont le cœur de métier dans une interdépendance vitale. L’aspect éthique est souvent au cœur des problématiques (dont la politique des euthanasies), avec les contraintes économiques liées à des ressources aléatoires. En refuge, le vétérinaire travaille directement avec les associations de protection animale (APA) qui l’emploient en salariat ou en prestations de services.

La taille des refuges est variable, allant de très grands établissements de plusieurs centaines d’animaux, parfois spécialisés (refuges félins en Australie, en France, au Royaume-Uni), à de très petites structures faisant du replacement et s’appuyant sur des familles d’accueil par exemple. La diversité des populations animales est importante : animaux abandonnés, errants, maltraités ayant été saisis (et souvent victimes de stress post-traumatique, ce qui peut en faire des animaux dangereux), ainsi que dans certains cas des animaux victimes d’une catastrophe.

Au Royaume-Uni, une enquête de 2008 a identifié que la majorité des vétérinaires praticiens (94,8 %) faisait de la médecine de refuge. En France, une enquête a montré en 2017 que 4 à 6 vétérinaires sur 10 consacrent entre 1 à 5 % de leur CA à des activités de protection animale (incluant la médecine solidaire).

L’immense majorité des vétérinaires, lors des stérilisations de chats à prix imposé ou négocié avec une APA, fait de la médecine de refuge, ce que le grand public ignore souvent. Cependant, de trop nombreux praticiens persistent à stigmatiser les APA lorsque le chaton ou l’adulte qui a été adopté développe un coryza. Or, presque 100% des chats sont porteurs du FHV, mais tous ne l’exprimeront pas cliniquement.  

En France, aucune formation spécifique n’existe. Quelques initiatives, très appréciées des étudiants, ont vu le jour à VetAgro Sup, avec un partenariat avec une APA pour stériliser les chats trappés. À Alfort, l’initiative GIVE a permis pendant deux ans aux étudiants volontaires de découvrir le monde de la protection animale au sein d’un refuge, dans lequel elles/ils ont passé une semaine, se concrétisant par un projet (mise en place d’un parcours d’Agility, rénovation des cages, etc.). En 2010, la section vétérinaire de la Société française de félinotechnie a organisé une formation aux techniques chirurgicales de stérilisation juvénile féline. Elle a permis à des praticiens, en France et en Belgique, d’adopter ces techniques (La Semaine Vétérinaire n°1426).

Aux États-Unis, plus de 80 % des écoles vétérinaires assurent une formation en médecine de refuge. Le premier cours de médecine de refuge a été donné à Cornell en 1999 par Lila Miller, considérée comme la " maman " de la discipline. En 2003, elle donne le cours sur la plateforme en ligne Veterinary Information Network (VIN). En 2001, l’université de Davis met en place le premier enseignement dispensé dans une école vétérinaire aux États-Unis. C’est l’année de la création de l’Association of Shelter Veterinarians (ASV). Celle-ci compte aujourd’hui plus de 2000 membres et 23 associations juniors dans le monde.

La stérilisation des animaux de compagnie lors de campagnes réalisées localement ou par des ONG dans des pays émergents (avec souvent une vaccination contre la rage) est un domaine spécifique de la protection animale, qui ne se fait jamais au détriment de la qualité. Le positionnement éthique et les formations font partie des points forts de la discipline, et la première clinique de stérilisation high quality high volume (HQHV, " haute qualité haut volume "), qui pratique plusieurs centaines de stérilisations quotidiennes, a vu le jour en 1994 aux États-Unis1. Des recommandations sur la stérilisation ont été publiées en 2006 aux Etats-Unis et la reconnaissance de la spécialité médecine de refuge y est officielle depuis 2008, avec plus de 30 diplômés.

L’enjeu en termes de bien-être est essentiel, puisque toutes les publications ont montré le lien entre l'immunité et de bonnes conditions de santé physique et mentale, souvent liées aux conditions environnementales (structurelles et humaines). Si le vétérinaire sanitaire évalue au moins une fois par an l’état du refuge, des animaux qui y sont hébergés, et peut rappeler le respect nécessaire du règlement sanitaire, il n’est pas toujours là au quotidien pour s’en assurer, et est souvent pris entre le marteau et l’enclume, en raison des contraintes et arbitrages économiques que les refuges doivent faire. Souvent, plusieurs vétérinaires travaillent pour un même refuge, sans que celui-ci ne les coordonne. C’est important pour la santé des animaux et celle du refuge que les praticiens se tiennent informés mutuellement et travaillent en bonne intelligence. 

Lorsqu’il prend connaissance du règlement sanitaire, le vétérinaire sanitaire du refuge peut y apporter des commentaires et modifications avant de le signer2. La conception et la qualité des lieux d’hébergement, le comportement, la formation des agents animaliers et la façon dont ils sont managés influent beaucoup sur le bien-être des animaux, donc sur leur santé. Le vétérinaire, même à plein temps, n’a pas toujours force de conseil, de recommandation, ce qui le place dans une position éthique inconfortable.

En France, certains refuges ont également une activité de fourrière, dans des locaux réglementairement distincts, mais dans les faits, c’est le même personnel qui prend soin des animaux de fourrière et des animaux du refuge, ce qui demande une discipline vigilante quant aux procédures de nettoyage et à la désinfection non seulement des locaux, mais surtout du matériel utilisé.

La médecine de refuge n’est en aucun cas une sous-médecine, notamment en matière d’anesthésie, d’analgésie, de chirurgie. C’est une médecine qui s’apparente à la rurale pour l’aspect collectivité mais aussi pour l’aspect économique. C’est une médecine de troupeau de chats et de chiens, qui permet de faire plus avec moins. C’est ainsi que les cliniques HQHV par exemple ont été développées, et c’est aussi pour les jeunes chatons stérilisés à 8 semaines que les anesthésistes ont mis en place le Kitty Magic et le QUAD (La Semaine Vétérinaire n°1877), des protocoles analgésiques/anesthésiques en une seule injection. C’est aussi pour limiter le stress des chats errants et les risques lors de leur manipulation que la gabapentine a été utilisée, avant d'être généralisée en médecine féline.

Travailler en refuge demande, selon Kate Hurley, spécialiste en médecine de refuge et enseignante à Davis aux États-Unis, « un esprit d’ouverture avec de la patience, de l'équité, de la ténacité, le sens de l'humour et de la diplomatie ». Brandy Duhon, professeure à l’école de médecine vétérinaire de Louisiane, souligne l’importance de maintenir un équilibre entre vie professionnelle et personnelle et la nécessité de prévenir les burn-out en raison de la charge empathique du travail. Jean-Philippe Clerget, praticien mixte à dominante rurale (Decize, Nièvre), dit avoir beaucoup appris sur la gestion de la médecine de groupe grâce à son partenariat avec l’équipe en place du refuge de Thiernay. Intervenant toutes les semaines au refuge, il a franchi le pas et s'est s’impliqué dans le conseil d’administration, notamment sur les campagnes de stérilisation féline et l’avenir des chiens difficiles. Cette contribution des vétérinaires praticiens aux actions de protection animale par des tarifs préférentiels pour les stérilisations de chats adoptés dans un refuge n'est pas la partie la plus visible de leur travail. S’investir dans une association permet une meilleure reconnaissance à laquelle les praticiens aspirent.

Il est temps que la médecine de refuge soit enseignée et reconnue en France, afin que les vétérinaires puissent participer pleinement, aux côtés des associations de protection, à l’amélioration des conditions de vie des animaux en refuge.

Dona Sauvage

Praticienne à Saint-Cyr-sur-Loire (37)

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Soigner prioritairement une collectivité animale

Comment vous êtes-vous formée à la médecine de refuge ? Qu’est-ce que cet exercice vous a appris ? 

Au début, je me suis formée sur le tas car à cette époque, il n’existait aucune formation pour ce type d’exercice. Ce n’est que plus tard qu’à l’occasion de congrès, j’ai acquis d’autres connaissances en médecine de collectivité. J’ai surtout appris à soigner prioritairement une collectivité animale parfois au détriment des individus, ce qui est difficile pour un vétérinaire. Les stérilisations qui ont progressivement concerné tous les animaux ont surtout posé un problème de confraternité, les autres confrères se sentant lésés. Quand j’ai pris ma retraite, tous les chats placés étaient identifiés, vaccinés, stérilisés et testés par les vétérinaires de deux cliniques de l’agglomération. Une convention avait été passée avec tous les vétérinaires volontaires du département qui ne souhaitaient pas intervenir au refuge, pour assurer le suivi post-adoption et une éventuelle stérilisation et vaccination (quand elle n’avait pas pu être faite au refuge), pour que les tarifs soient abordables pour la SPA et pour apaiser les conflits de confraternité.

Quelles sont les opportunités professionnelles ?

Il y a une opportunité pour les vétérinaires qui peuvent avoir des postes salariés à mi-temps ou à temps plein dans les très gros refuges. Pour les refuges plus petits, c’est assez compliqué car le coût d’un vétérinaire salarié devient trop important par rapport aux besoins. Le problème ne peut être résolu que par l’intervention de vétérinaires libéraux. Se pose alors la question du coût des soins (coût pour le refuge mais aussi de rentabilité pour le vétérinaire), et de leur opportunité quand il s’agit d’animaux gravement malades ou très âgés qui ne sont pas détenus dans des conditions psychologiques optimales.

Quelles sont les qualités requises ? 

Du bon sens et une motivation pour apprendre à gérer la santé d’une collectivité avec des honoraires acceptables. De l’empathie pour les animaux et un certain sens de la négociation avec les bénévoles et dirigeants des refuges qui n’ont pas la même approche sanitaire qu’un vétérinaire.

Quelles sont les interconnections avec la protection animale ?

Les vétérinaires ne sont pas suffisamment associés à la protection animale car ils n’interviennent le plus souvent que comme thérapeutes. Il faudrait qu’ils soient aussi consultés sur les conditions de détention, les locaux, l'alimentation, la ventilation, etc. et que la dimension du comportement et des troubles liés au stress de l’abandon ou parfois à des stress antérieurs à celui-ci soit mieux étudiée et prise en compte.

Quels sont les principaux enjeux de la médecine de refuge ?

Un bon état sanitaire des animaux afin que le refuge ait une bonne image et que les adoptants y viennent nombreux et en confiance. Une bonne entente avec les vétérinaires environnants afin de maintenir cette confiance du public. Il faudrait trouver des solutions acceptables pour les animaux présentant d’importants troubles comportementaux, en particulier les animaux agressifs, car il n’est pas acceptable de se décharger du problème sur les adoptants.

Patrick Nedellec

Praticien à Saint-Paul (La Réunion)

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L’insuffisance des mesures prises

Engagé depuis vingt ans dans la lutte contre l’errance des chiens et des chats grâce à la création avec quelques confrères d’une association vétérinaire (GEVEC Réunion, Groupe d’étude vétérinaire sur l’errance des carnivores), j’ai contribué à faire un bilan et des recommandations sur la situation locale, caractérisée par de nombreux animaux errants. Les campagnes de stérilisation et d’identification des animaux préconisées ont été soutenues par la Direction de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DAAF), la région, le département puis par les intercommunalités et ont été doublées d’une information du public mais aussi dans les écoles. La grande majorité des vétérinaires de l’île ont été solidaires en participant à ces campagnes via l’association GEVEC devenue VPT Réunion depuis peu et en acceptant des remises conséquentes sur leur honoraires.

J’ai poursuivi mon engagement en devenant le vétérinaire sanitaire d’une des fourrières en place au niveau des cinq intercommunalités de l’ile, pour aider à lutter contre l’errance des carnivores domestiques. Malheureusement, du fait de l’insuffisance des mesures prises, notamment des contrôles et des incitations à l’identification (seulement 5 % des animaux entrant en fourrière), force est de constater que nous avons toujours autant d’animaux trouvés écrasés sur les routes et toujours autant d’animaux en fourrière, avec pour seul devenir l’euthanasie faute d’identification et faute d’adoptants. C’est donc à la fois un découragement et une révolte qui motivent aujourd’hui ma démission.

Qualités requises pour exercer ou collaborer avec un refuge1

Bonne compréhension de l’épidémiologie des maladies rencontrées, notamment des voies de contamination

Bonne compréhension des comportements sociaux et de la dynamique des populations animales concernées

Capacité à avoir une vue d’ensemble

Bonne compréhension de la conduite du refuge et de l’évaluation des données (effectifs, épidémie, durée de séjour, impact des traitements, etc.)

Capacité à travailler dans les différents cadres, environnements, ressources et avec les pressions éthiques particulières à chaque organisation individuelle

1 D’après le manuel de la British Small Animal Veterinary Association (BSAVA)

10 clés pour les vétérinaires de médecine de refuge

Visiter régulièrement le refuge, bien connaître la structure, le fonctionnement

S'engager avec l'équipe décisionnelle et la respecter : le vétérinaire fait partie de l’équipe mais doit coconstruire la gestion avec l’équipe, avec une vision et des valeurs communes de la santé et du bien-être des animaux

Toujours penser à tous en présence de chaque animal malade

Gérer toutes les ressources pour les décisions cliniques

Être pragmatique

Savoir faire face aux mauvaises nouvelles

Vacciner, nettoyer, désinfecter

Pouvoir justifier l’intérêt des tests diagnostiques

Prendre en compte la santé mentale des animaux

Réduire la durée de séjour des animaux

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