Pour la liberté de guérir la PIF en France en 2022 ! - La Semaine Vétérinaire n° 1929 du 25/01/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1929 du 25/01/2022

Péritonite infectieuse féline

ANALYSE CANINE

Auteur(s) : Par Anne-Claire Gagnon

Est-il bien raisonnable en 2022 de s’interdire de guérir un patient félin ? C’est à cette frustrante et désagréable situation que sont conduits les vétérinaires français lorsqu’ils diagnostiquent une péritonite infectieuse féline (PIF) chez un chat. Pourtant, d’autres pays ont déjà sauté le pas et autorisé l'usage du remdésivir ou du GS-441524, sa prodrogue, dont les études montrent l'efficacité.

Le premier épisode confirmé de péritonite infectieuse féline (PIF) a été rapporté en 1963 par Jean Holzworth, aux États-Unis, considérée comme la maman de la médecine féline. Depuis, tous les grands virologues vétérinaires, de Fred Scott à Niels Pedersen, en passant par Marian Horzinek et Diane Addie, se sont penchés sur ce coronavirus qui peut être banal ou mortel. Si l’analyse génomique a permis de mieux comprendre sa pathogénie au point de développer des candidats vaccins (dont aucun n’a été commercialisé en Europe depuis la mise sur le marché d’un mutant thermosensible administrable par voie intranasale il y a plus de vingt ans, qui s’est révélé peu efficace), il a fallu attendre les travaux de Niels Pedersen publiés en 2018 et 2019 pour que l’espoir d’un traitement apparaisse enfin avec le succès thérapeutique du GS-441524 (forme active du remdésivir en intracellulaire).

Des milliers de chats ont alors été traités aux États-Unis, en attente d’une possible commercialisation d’un médicament vétérinaire, que Gilead, le laboratoire qui détient le brevet, a refusé de développer car peu rentable. Plusieurs publications scientifiques apportent des données supplémentaires qui confirment l’efficacité du traitement sur des chats atteints naturellement de PIF. Le développement du marché félin en Chine, où désormais plus de 15 % des foyers ont un chat, a modifié le paysage, la Chine ne s’interdisant surtout pas d’alimenter le marché noir mondial en GS-441524 par le biais d’Internet.

La PIF peut être considérée comme une maladie orpheline, frappant très peu de sujets mais de façon spectaculaire et dramatique. En élevage comme en refuge, les épisodes de PIF sont considérés comme des malédictions et revoir ses pratiques d’accueil et d’hygiène ne suffit pas toujours à enrayer les catastrophes. Actuellement, plus de 600 chats ont été traités avec succès en Australie avec le remdésivir, commercialisé par Bova UK. Le remdésivir a été mis à disposition sous une forme adaptée aux patients félins par ce fabricant de spécialités, approuvé par le VMD1 au Royaume-Uni en août 2021 et une forme orale du GS-441524, aromatisée au thon, a été mise à disposition en novembre.

L’International Society of Feline Medicine (ISFM) tout comme le Royal Veterinary College de Londres communiquent régulièrement sur les succès thérapeutiques et l’évolution des protocoles de traitement (en utilisant la voie intraveineuse et sous-cutanée du remdésivir sur les chats les plus atteints, et la voie sous-cutanée puis orale sur ceux qui le sont moins)2. Les enseignants de médecine féline anglo-saxons (Danièlle Gunn-Moore, Sally Coggins, Jacqui Norris, etc.) ont donné plusieurs webinaires ces derniers mois3.

Actuellement, des praticiens cherchent à obtenir légalement le GS-441524 pour ne pas avoir à laisser leurs clients se fournir frauduleusement en Chine. D’autres estiment que le devoir de soigner, guérir, empêcher les souffrances de leurs patients l’emportent sur les dispositions réglementaires. Interrogée à plusieurs reprises, l’ANMV persiste pour l’instant à répondre ceci : « Bien que le remdésivir soit la prodrogue du GS-441524, en l’absence de données, l'efficacité et la sécurité du remdésivir pour traiter la péritonite infectieuse féline ne sont pas établies. Nous ne sommes pas en faveur d’une importation4. »

Combien de chats devront encore mourir pour que le remdésivir et/ou le GS-441524, produits au Royaume-Uni selon les bonnes pratiques du médicament vétérinaire, soit légalement importé ? Mobilisons-nous pour nos patients félins et la science vétérinaire afin d’avoir la liberté de prescrire et de guérir.

Entretien

Stéphane Colomies, praticien à Cambo-les-Bains (Pyrénées-Atlantiques)

Vous avez suivi la formation australienne de l’ISFM, dont vous êtes membre. Depuis combien de temps souhaitez-vous utiliser le remdésivir comme traitement thérapeutique de la PIF ?

En fait, depuis que les premières études ont montré des résultats encourageants, je parle de ce traitement à mes clients quand je pose un diagnostic de PIF. Malheureusement, ces traitements n'étant pas actuellement accessibles en France, je leur propose de visiter le site Curefip1 et les accompagne dans leurs démarches s'ils le souhaitent.

Avez-vous eu des demandes de vos clients éleveurs (souvent bien informés) ? 

Je ne suis que quelques élevages de chats et par chance, pour le moment, aucun n'a connu de PIF. Les différents cas que j'ai pu avoir étaient sur des chats de particuliers et souvent le seul chat du foyer. Il est vrai que les éleveurs ou même les propriétaires de chats sont souvent très au fait des dernières avancées scientifiques, comme le prouve l'évolution des recommandations vaccinales presque plébiscitée, et à raison, par les propriétaires.

Quels sont vos souhaits pour 2022 sur la prise en charge thérapeutique de cette affection ? 

Il est très frustrant pour moi de savoir qu'il existe une possibilité de traitement qui pourrait changer la donne pour mon patient mais que malheureusement, pour des raisons administratives, je ne peux pas proposer. Je souhaiterais que pour la PIF, qui est probablement sous-estimée de par sa clinique pas toujours aussi évidente avec les formes sèches, nous puissions avoir accès à ce qui se fait de mieux avec les connaissances d'aujourd'hui. Il en est de même pour d'autres traitements qui ont souvent du mal à franchir l'Atlantique ou la Manche. À moins qu'un gros laboratoire pharmaceutique ne décide de distribuer le médicament, je pense que la tâche sera ardue au vu de mes échanges avec l'administration du médicament vétérinaire.

Point de vue d’Étienne Thiry, professeur de virologie vétérinaire à la faculté de médecine vétérinaire de l’université de Liège (Belgique)

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Étienne Thiry est sur le pont depuis plus d’un an pour répondre aux interrogations médicales et réglementaires des praticiens belges placés, comme tous leurs collègues européens, entre le marteau et l’enclume. En Europe, le GS-441524 n’est pas un médicament enregistré (pour aucune espèce) alors que le remdésivir l’est comme médicament humain (Veklury). Il peut donc être théoriquement disponible, via le principe de la cascade, sauf que le Veklury est en réserve hospitalière et qu’il n’est pas conditionné pour la pratique féline. La filière chinoise, notamment de Mutian, offre un produit réputé phytothérapeutique, Xraphconn, dans lequel les chimistes collaborant avec l’équipe de Katrin Hartmann de la faculté de médecine vétérinaire de Munich ont identifié formellement le GS-441524, bien que ne figurant pas dans la composition affichée sur l’emballage. Ce point a été publié dans l’étude d’efficacité réalisée par cette équipe de Munich, sur 18 chats, diagnostiqués et confirmés atteints de PIF, traités pendant 84 jours, tous guéris cliniquement et en vie au moment de la publication.

Si Bova UK met à disposition des vétérinaires britanniques un remdésivir reformulé et des comprimés de GS-441524, aromatisés au thon, la Belgique n’a pas autorisé leur importation pour l’instant. C’est la raison pour laquelle Étienne Thiry préfère recommander « que le propriétaire se procure le produit auprès du fournisseur de son choix », même s’il reconnaît l’inconfort d’une telle situation (et l’incertitude en termes de qualité, quand le propriétaire fait le choix financier du moins cher, donc du marché noir chinois). Le vétérinaire prend alors en charge le diagnostic de PIF et le suivi médical du chat. « Je souhaite que nous ayons le plus rapidement possible un traitement de la PIF par voie orale, à un prix abordable, qui permette de traiter le plus rapidement possible toute suspicion avérée de PIF », puisque plus tôt l’on intervient, moins la charge virale est forte et plus le traitement antiviral agit efficacement.

Retour d’expérience de Richard Malik, enseignant du Centre for Veterinary Education de l’Université de Sydney (Australie)

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Richard Malik, vétérinaire et enseignant du Centre for Veterinary Education de l’Université de Sydney, a été l’un des premiers, avec ses collègues australiens, dont Sally Coggins, qui y consacre son PhD, à traiter les chats atteints de PIF avec le remdésivir, miraculeusement importé en Australie à l’occasion de la pandémie de Covid-19. Auparavant, les interdictions réglementaires freinaient toute tentative de traitement. Depuis donc plus d’un an, plus de 600 chats, pris en charge par des vétérinaires spécialisés ou généralistes, ont pu être guéris de la PIF (taux de guérison de 80 %), en utilisant pendant 2 semaines le remdésivir par voie intraveineuse sur les plus atteints, à des doses qu’avec l’expérience, les vétérinaires ont augmenté pour assurer la rémission clinique (souvent effective dès les 2 à 3 premiers jours de traitement sur les formes humides), puis avec un relais par la forme orale du GS-441524 pendant 10 semaines. Il est cependant trop tôt pour connaître le taux de récidive. Richard Malik insiste sur le fait qu’aucun protocole n’est figé et que le clinicien l’adapte à chaque patient félin. Il témoigne de la sécurité d’emploi des deux molécules, et se félicite que Bova Australia ait pu mettre à disposition des vétérinaires praticiens des produits de qualité. Pour lui, « il est incroyablement satisfaisant de voir des chats et des chatons malades s'en sortir et devenir normaux. C'est vraiment quelque chose qui vous remonte le moral en tant que clinicien. C'est de la bonne science et de la bonne médecine vétérinaire ! »

Une riche bibliographie sur la PIF

Niels Pedersen, à qui l’on doit le travail de pionnier sur le remdésivir et la GS-441524, a mis à disposition toutes les informations sur son site :

https://sockfip.org/dr-pedersen-research/

  • La rédaction remercie infiniment notre consœur Sally Coggins, Sydney School of Veterinary Science, pour le partage des photos.
  • 1. Veterinary Medicines Directorate
  • 4. Une réflexion est cependant en cours sur un projet de mise en place d’une étude clinique multicentrique de preuve de concept. « Notre position pourrait être revue au regard des données obtenues lors de cette étude », indique l’ANMV.
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