L’anesthésie des animaux en arrêt de transit par torsion ou occlusion - La Semaine Vétérinaire n° 1929 du 25/01/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1929 du 25/01/2022

Urgences

FORMATION CANINE

Auteur(s) : Gwenaël Outters

Conférencière

Maud Aline Chesnel, Dipl. ECVAA, spécialiste en anesthésiologie et analgésie vétérinaire, praticienne au CHV Atlantia, Nantes (44)

Article rédigé d’après une conférence présentée au e-congrès de l’Afvac en décembre 2020

Les patients en torsion d’estomac sont le plus souvent des chiens, douloureux, en état de choc, présentant des déséquilibres électrolytiques accompagnés de complications de nécrose, de syndrome de réponse inflammatoire systémique (SIRS) et d’hypovolémie. Les patients en occlusion souffrent de vomissements aigus et d’anorexie ; leur état dépend de la durée d’évolution de l’occlusion. Ils sont le plus souvent déshydratés, en hypovolémie avec une accumulation intraluminale de liquides ; les complications incluent les nécroses tissulaires, le SIRS, le sepsis, les translocations bactériennes et l’état de choc.

La réanimation pré-anesthésique des patients occlus ou en torsion d’estomac qui nécessitent une laparotomie doit être soignée. Pour les patients en syndrome dilatation-torsion, la décompression par trocardage de l’estomac avec une aiguille hypodermique de gros calibre, technique simple et rapide, permet de gagner du temps. L’oxygénothérapie  par voie nasale et la fluidothérapie sont mises en place rapidement. La vidange gastrique par sondage est réalisée dans un second temps. Le bilan clinique évalue les signes d’hypovolémie : dépression, tachycardie, pouls (souvent filant), hypotension artérielle, température corporelle (en hypo ou en hyper), couleur des muqueuses, temps de recoloration capillaire (ralenti ou accéléré en cas de sepsis).

Le bilan biologique et métabolique est nécessaire : numération-formule, bilan biochimique (glycémie, protéines totales, albumine, urée, créatinine), ionogramme, lactates, gaz du sang, voire temps de coagulation. En cas de vomissement aigu, il faut s’attendre à une diminution de la kaliémie et une alcalose métabolique. Si l’état de choc est avancé, l’animal est en acidose avec une augmentation des lactates. Le dosage des lactates est un élément qui a fait l’objet de nombreuses études. Il constitue un facteur pronostic négatif en cas d’état de choc et prédictif de la nécrose stomacale. Selon les études, le pronostic de survie s’amenuise avec une lactatémie supérieure à 6 mmol/l à l’admission ou si la lactatémie n’a pas diminué d’au moins 50 % après réanimation

La volémie est corrigée par des bolus de cristalloïdes (20 ml/kg chez le chien et 10 à 15 ml/kg chez le chat) ; elle est réévaluée et poursuivie jusqu’à corriger les signes cliniques de l’hypovolémie (pouls, fréquence cardiaque, pression artérielle). La lactatémie est suivie en parallèle.

Le choix des solutés dépend des résultats du ionogramme. Le Ringer lactate est utilisé en première intention. En cas d’alcalose hypochlorémique, le NaCl 0,9 % sera préféré. Si l’albuminémie est basse (< 15 g/l ; lecture facile de la protéinémie au réfractomètre), les colloïdes peuvent être administrés dans l’optique de remonter la pression oncotique et d’éviter les effusions et les œdèmes. L’hypokaliémie (< 3 mmol/l) est corrigée par une perfusion d’entretien complémentée en potassium (jamais par bolus). Un hématocrite inférieur à 20 % et l’apparition d’une CIVD nécessitent une transfusion. Les arythmies ventriculaires sont fréquentes lors de dilatation-torsion de l’estomac (en particulier les RIVA, rythme idio-ventriculaire accélérés). Le traitement consiste à administrer des bolus de lidocaïne (IV lente de 2 mg/kg) suivis par une perfusion continue (3mg/kg/h) et à corriger l’hypokaliémie. La lidocaïne pour les patients occlus est triplement intéressante, par son effet anti-arythmique, son effet analgésique et le fait qu’elle favorise le péristaltisme intestinal. Il est aussi possible qu’elle contribue à limiter les phénomènes de translocation bactérienne.

L’anesthésie n’est envisagée qu’après une phase de réanimation. Une prémédication avec de la méthadone est conseillée (+/- acépromazine pour les animaux stables hémodynamiquement). Les risques de vomissements sont anticipés par l’administration de maropitant ; les alpha-2-agonistes sont évités, alors que les morphiniques non émétisants tels que la méthadone sont privilégiés.

Parmi les complications les plus fréquentes, les régurgitations à l’induction peuvent être problématiques. L’induction doit être rapide afin de sécuriser rapidement les voies aériennes : intubation rapide sur un animal en position sternale, tête en hauteur. L’induction IV est rapide avec le propofol, l’alfaxalone ou un mélange propofol-kétamine (kétofol : 1 ml de kétamine 1000 + 9 ml de propofol). Ensuite, après avoir gonflé le ballonnet, la vidange gastrique peut être réalisée avec une sonde gastrique pour réduire le risque de régurgitation passive.

L’anesthésie volatile reste ensuite préférable, l’oxygénation est obligatoire. L’analgésie nécessite l’usage de morphiniques éventuellement potentialisés par des perfusions continues (lidocaïne, kétamine) afin de réduire les doses d’anesthésique volatil. Les règles de bonnes pratiques anesthésiques sont respectées (voie veineuse, oxygène, intubation et fluidothérapie : 5 ml/kg chez le chien et 3 ml/kg chez le chat). Les gaz anesthésiques créent une vasodilatation qu’il convient de monitorer pour anticiper l’hypotension.

L’animal est surveillé tout au long de l’anesthésie : la température est maintenue à l’aide de moyens de réchauffement tels qu’un tapis chauffant, des couvertures chauffantes et/ou des rinçages abdominaux avec des liquides réchauffés à 40°C. Comme les organes dilatés compriment le diaphragme, l’hypoventilation est surveillée et combattue. Toutes les causes d’hypotension, réel risque, sont monitorées et traitées : réduire à la dose minimale efficace les anesthésiques volatils, éviter la bradycardie (glycopyrolate), traiter l’hypovolémie avec des bolus de critalloïdes (10-20 ml/kg) ou de colloïdes (5 ml/kg, type HEA) et utiliser des vasopresseurs ou des inotropes (éphédrine 0,1 mg/kg en bolus ou dobutamine 5-10 micg/kg/min en perfusion continue).

L’analgésie est toujours multimodale. Les AINS constituent habituellement la base d’un plan analgésique péri-opératoire mais leur usage est très discutable sur les patients occlus ou en torsion ; ils limitent la cicatrisation digestive et altèrent la régulation du débit de filtration glomérulaire. Des alternatives ont été proposées. Le paracétamol (uniquement chez le chien) est un analgésique dont l’efficacité pourrait être similaire aux AINS. Le grapiprant, par son mode d’action original, possède une action analgésique et antiinflammatoire sans affecter les prostaglandines, ce qui permet de limiter ses effets digestifs et rénaux ; cependant aucune étude n’est disponible quant à son utilisation sur la douleur aigüe peropératoire et il ne dispose pas d’AMM chez le chat. L’administration continue de lidocaïne (3 mg/kg/h pour le chien, 1 mg/kg/h pour le chat) potentialise l’analgésie postopératoire.

Les morphiniques (méthadone, fentanyl, buprénorphine), utilisés à effet, en titration, sont intéressants en postopératoire. S’ils sont incriminés dans les iléus, aucune étude n’a réellement confirmé cette hypothèse ; par ailleurs, la douleur induite par l’iléus nécessite une prise en charge analgésique. Il ne faut donc pas supprimer les morphiniques de l’arsenal thérapeutique des animaux occlus.

Des anesthésies locales sont aussi réalisables telles que l’infiltration de la plaie de laparotomie avec de la bupivacaïne, ou le TAP bloc (bloc du plan transverse abdominal, anesthésie de la paroi abdominale, idéalement échoguidée). Elles permettent une réduction des besoins en anesthésiques et améliorent le confort du patient en postopératoire.

Au réveil, le réchauffement, l’oxygénothérapie et la fluidothérapie d’entretien (2-4 ml/kg/h) sont maintenus. La réalimentation entérale doit être rapide (dans les heures qui suivent le réveil), si nécessaire par la pose de sondes de réalimentation. Les analgésiques (morphine/méthadone/fentanyl puis buprénorphine moins puissante mais d’action prolongée), antinauséeux et antiacides sont prescrits. Le maropitant est un analgésique intéressant (effet central antagoniste sur les récepteurs NK-1) ; la lidocaïne et la kétamine (perfusion continue) peuvent être utilisées pendant 12 à 48 heures après la chirurgie. La surveillance clinique est maintenue (biologie, ECG, électrolytes).

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