Indépendance professionnelle : l'année charnière ? - La Semaine Vétérinaire n° 1929 du 25/01/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1929 du 25/01/2022

Exercice

ANALYSE GENERALE

Auteur(s) : Par Jacques Nadel

Comment redéfinir les contours de l'indépendance professionnelle face à une évolution inéluctable : la structuration des établissements de soins vétérinaires en groupes ? Un enjeu de taille au coeur des débats.

Dans ses vœux pour la nouvelle année, Jacques Guérin, président du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires (CNOV), a fixé la ligne d’action et présenté les chantiers de cette institution. Parmi eux, l’indépendance professionnelle qui résonne comme un leitmotiv dans une période de mutation des structures des établissements de soins vétérinaires, et la défense de l’exercice libéral dont les frontières sont sans cesse attaquées, comme le démontre l’actualité.

L’année a commencé sur les chapeaux de roues avec un amendement déposé dans le cadre du projet de loi en faveur de l’activité professionnelle indépendante, visant à faciliter le développement des groupes dont certains ont des actionnaires/investisseurs en lien avec l’amont ou l’aval de la profession. Soulagement : il est retiré grâce à l’action des instances professionnelles auprès des parlementaires.

Mais le fond du problème est non résolu. Comme l’a rappelé le président de l’Ordre dans ses vœux, le cadre législatif et réglementaire « montre des défauts de définitions claires, des imprécisions terminologiques, voire des notions définies différemment selon le Code du commerce ou le Code rural et de la pêche maritime. Dès lors, des interprétations divergentes s’expriment à travers les contentieux en cours et la recherche de l’avis jurisprudentiel du Conseil d’État. »

Travailler à des définitions claires du « vétérinaire en exercice » et de « l’indépendance professionnelle » est également le cheval de bataille du Syndicat national des vétérinaires d'exercice libéral (SNVEL). Sur fond de contentieux entre le CNOV et certains groupes de cliniques dont on ne connaît pas encore l’épilogue, Laurent Perrin, président du SNVEL, souhaite ouvrir une large concertation sur le sujet. « Nous appelons de nos vœux un travail entre toutes les parties prenantes de ce dossier pour définir ce que nous souhaitons comme avenir pour notre profession et ensuite, et seulement si c’est nécessaire, travailler aux textes règlementaires qui permettront d’y parvenir. C’est ce que j’ai demandé au ministère dans mon courrier concernant l’amendement du 10 janvier. Ce sera l’occasion de confronter les travaux déjà engagés par le SNVEL et l’Ordre mais également les travaux de la Direction générale des entreprises (DGE) et d’autres. »

Fin 2021, le SNVEL a conduit une enquête auprès des vétérinaires sur leur perception de l’indépendance professionnelle. « Cette enquête est en cours d’exploitation et les résultats seront rendus publics à la fin des travaux, annonce Laurent Perrin. Nous tiendrons nos universités de printemps les 7 et 8 avril à l’École Vétérinaire de Nantes (Oniris) et nous y débattrons de ce sujet, avec les résultats de cette enquête mais aussi avec les conclusions des travaux déjà menés au SNVEL et ceux menés par l’Ordre lors de son congrès à Saint -Malo. »

Ces travaux devront nourrir la réflexion autour d’une réécriture d’une partie du Code de déontologie de 2015 qui, selon le président de l’Ordre, « n’a sans doute pas pris la pleine mesure des évolutions induites en matière de pratiques professionnelles ».

Avec l’arrivée des chaînes et des groupes dans le paysage vétérinaire français, « il est d’une urgence extrême de clarifier la situation car les vétérinaires sont confrontés à des discours divergents et des interprétations contradictoires du droit, explique Laurent Perrin. Les vétérinaires qui ont intégré les groupes, ceux qui sont en réflexion et ceux qui refusent ce modèle, tous demandent la sécurisation règlementaire de leur environnement professionnel ». Il est convaincu que l’avènement des groupes va impacter l’exercice de la profession au-delà des contentieux qui opposent Anicura et IVC Evidensia au CNOV.

De son côté, l’instance ordinale rappelle qu’elle n’a pas d’opposition de principe à la présence de tiers non vétérinaires au capital des sociétés d’exercice vétérinaires mais ne peut tolérer que, derrière des règles de détention de parts, respectées en façade, des mécanismes juridiques (conventions ou clauses extrastatutaires, règles de vote particulières…) viennent contourner la loi. « Les vétérinaires détiennent 51% des droits et du capital mais peuvent détenir avec certains montages seulement 1% des droits financiers. La motivation première des groupes est de contrôler les structures et non pas de les accompagner », fustige Christophe Hugnet, président du Syndicat des structures et établissements vétérinaires indépendants de France (SSEVIF). Il dénonce également des dérives sur les montages de rachats à des vétérinaires qui aboutissent à « des situations ubuesques où il n’y a plus de titulaire dans la structure, mais seulement des vétérinaires collaborateurs libéraux ».

En ce début d’année, l’Ordre propose un projet de définition de l’indépendance professionnelle ainsi que d’autres éléments qui auraient un intérêt à figurer dans une prochaine version du code de déontologie afin de cerner au mieux l’indépendance professionnelle des vétérinaires. Par exemple, l’instance souhaite créer une disposition légale permettant de mieux protéger la sortie des confrères qui le souhaiteraient lorsque l’indépendance des vétérinaires est mise à mal ou d’instaurer « un contrôle effectif de l’indépendance » par une surveillance active.

Le président du SNVEL agrée cette approche: « Toute règlementation ne vaut que par son applicabilité ; cela suppose qu’il faut une définition de l’indépendance et les moyens de vérifier qu’elle est respectée. C’est-à-dire mettre en place une autorité ayant les moyens d’expertiser le contenu de tous les contrats et clauses dès lors qu’elle y aura accès. » L’Ordre veut également mettre sur la table des discussions la question émergente et non traitée par la déontologie de l’indépendance professionnelle de la personne morale (la société d’exercice vétérinaire).

De bonne foi, les vétérinaires « intégrés » à un groupe déclarent avoir optimisé leur cession de parts sans perdre leur indépendance professionnelle. Charles Facon, vétérinaire et directeur général d’Eunoia, ne doute pas de la sincérité de ces témoignages mais selon lui, ceux ci « ne seront plus valables dans quelques temps » (lire « La question en débat » page 8). Dans d’autres cas, « la parole des vétérinaires groupés n’est pas complètement libre », souligne Christophe Hugnet.

Dès octobre 2020, le SNVEL a informé les vétérinaires pour les préparer à expertiser les options qui leur sont offertes et les aider à faire un choix éclairé avant de prendre la décision d’intégrer un groupe. L’an dernier, ce syndicat a mené un travail en collaboration avec des vétérinaires de tous horizons (des groupes au SSEVIF) sur « les indépendances » qui a abouti à la publication d’un rapport de synthèse qui recense l’ensemble des questions que chaque vétérinaire devrait se poser face à ce choix. « Ce rapport est disponible et gratuit auprès du SNVEL », rappelle Laurent Perrin.

Face aux chants des sirènes des « corporates internationaux », les présidents des deux syndicats encouragent les vétérinaires concernés à se faire accompagner par des avocats spécialisés. Et Christophe Hugnet de les mettre en garde contre « les réalités qui sont très différentes des promesses ».

Défense de l’indépendance : deux syndicats valent mieux qu’un !

« Je suis adhérent au SNVEL », appuie Christophe Hugnet, tandis que Laurent Perrin « est convaincu que les adhérents du SSEVIF devraient rejoindre le SNVEL également, tout comme certains des administrateurs du SNVEL ont adhéré au SSEVIF ». Sur le strict sujet de l’indépendance, « nos actions sont complémentaires mais pour le reste de l’action syndicale, il est très important à mon sens de ne pas émietter la représentation de la profession », poursuit le président du SNVEL, qui estime que « diviser les moyens syndicaux est de nature à fragiliser notre action ». Et d’ajouter que le « SNVEL continuera à fédérer les vétérinaires sur ce qui les rassemble, et à représenter tous les vétérinaires libéraux sans distinction : ceux du SSEVIF et les autres ».

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