Immunité et vaccination contre les mammites à Staphylococcus aureus - La Semaine Vétérinaire n° 1929 du 25/01/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1929 du 25/01/2022

FORMATION MIXTE

Auteur(s) : Clothilde Barde

Article rédigé suite à la présentation faite par Pascal Rainard (INRAE) lors des JNGTV 2021 à Tours.

Les mammites staphylococciques restent endémiques dans de nombreux pays, malgré la mise en œuvre des mesures classiques de prophylaxie1 (vaccins vivants inactivés principalement). En effet, aucune mesure prophylactique ne permet la guérison bactériologique des quartiers infectés, car la bactérie S. aureus, commensale du microbiote cutané, a su s’adapter à la mamelle en co-évoluant avec son hôte (mammite chronique). C’est pourquoi les vaccins font l’objet de recherches depuis plusieurs décennies. À cet égard, le conférencier a réalisé une analyse critique des approches vaccinales, des raisons des échecs vaccinaux et des nouvelles techniques.

Chez la vache laitière, la plupart des infections étant de nature chronique subclinique, l’objectif vaccinal n’est pas seulement de réduire la sévérité des infections, mais surtout de favoriser la guérison bactériologique, seule à même de supprimer la contagion. Ainsi, le seul vaccin autorisé en Europe contre les mammites staphylococciques (StartVac® (Hipra)), qui repose sur l’utilisation de corps bactériens riches en exopolyosides de surface (« slime »), permet une réduction du nombre de bactéries dans le lait de quartiers infectés2. Ce dernier, constitué de staphylocoques fortement producteurs de slime tués et administrés en combinaison avec des colibacilles J5, induit des anticorps contre un composant essentiel du slime, le PNAG (poly-N-acetyl-β-glucosamine).

Par ailleurs, il a été montré chez la souris que l’utilisation d’une souche de S. aureus, dont deux gènes ont été inactivés, conduisant à une capacité augmentée à pénétrer les cellules épithéliales sans cytotoxicité, induit une bonne réponse humorale et cellulaire3. Des préparations visant à induire des anticorps contre des antigènes ciblés ont également été testées, soit sous forme de vaccin ADN, soit avec des protéines recombinantes avec divers adjuvants. Enfin, récemment, l’étude de la voie nasale a permis de montrer que des réponses humorale et cellulaire encourageantes étaient obtenues4. Toutes ces tentatives en sont toutefois au stade préliminaire et il n’existe pas encore de vaccin permettant de limiter le nombre d’infections chroniques subcliniques. 

La difficulté de développer des vaccins efficaces contre les mammites staphylococciques trouve diverses explications, dont l’immunobiologie mammaire. En effet, en lactation, la forte production de lait dilue toutes les molécules antibactériennes que l’épithélium mammaire peut produire et les anticorps sécrétoires (IgAs) ne peuvent pas être maintenus en concentration suffisante au contact de l’épithélium. De plus, le lait est un milieu peu favorable à la phagocytose. Par ailleurs, S. aureus a une forte capacité à contrer les défenses de l’hôte et à utiliser l’inflammation à son profit. Ainsi, les souches bactériennes présentes lors de mammites possèdent une leucotoxine bien adaptée aux neutrophiles des ruminants5 qui induisent une forte réaction inflammatoire, agressent et désorganisent l’épithélium mammaire en formant des microabcès. Les staphylocoques peuvent aussi échapper aux défenses de l’hôte en s’enfouissant dans un biofilm. Enfin, la mutation (réversible) des bactéries vers le phénotype SCV leur permet d'envahir les cellules épithéliales et de survivre à bas bruit en attente d’une réactivation.

On observe donc que, même si la longue fréquentation de la vache avec les staphylocoques aurait pu lui permettre de développer des défenses efficaces, l’infection mammaire n’induit pas d’immunité protectrice complète. En général, une glande mammaire peut être réinfectée plusieurs fois avec la même souche, ce qui conduit à une mammite subclinique chronique6,7. Les chercheurs font également l’hypothèse qu’un certain niveau de tolérance immunitaire, permettant le contrôle de l’infection sans mettre en danger la production de lait (donc la survie du veau), peut être induit ainsi par S. aureus. Pour déclencher une immunité efficace avec la vaccination, il faut donc comprendre les mécanismes de cette possible tolérance immunitaire afin de la déjouer sans mettre en péril le tissu mammaire et la production de lait. Selon les chercheurs, l’induction d’une réponse à médiation cellulaire pourrait permettre de protéger l’animal plus efficacement. Or, l’immunité de type 3 (immunité à médiation cellulaire), qui est particulièrement adaptée à la défense des épithéliums contre les bactéries extracellulaires, est exercée par des cellules qui produisent de l’IL-178. Par conséquent, il s'agit d'induire dans le tissu mammaire des lymphocytes T CD4+ produisant de l’IL-17 qui peuvent stimuler les défenses locales en agissant sur les cellules épithéliales mammaires et en déclenchant une inflammation neutrophilique9 par la vaccination. Pour cela, il faudra notamment déterminer la voie d’administration, systémique, locale (intramammaire) ou mucosale (nasale) la plus favorable, et l’adjuvant qui permettra d’orienter la réponse dans le sens voulu. Il apparaît donc nécessaire d’approfondir encore les connaissances en immunologie bovine pour compléter l’approche empirique du type essai-erreur, qui reste cependant d’actualité.

  • 1. Rainard P, Foucras G, Fitzgerald JR, Watts JL, Koop G, Middleton JR. Knowledge gaps and research priorities in Staphylococcus aureus mastitis control. Transboundary and emerging diseases, 2018;65(Suppl. 1):149-165.
  • 2. Prenafeta A, March R, Foix A, CasalsI, Costa L. Study of the humoral immunological response after vaccination with a Staphylococcus aureus biofilm-embedded bacterin in dairy cows: Possible role of the exopolysaccharide specific antibody production in the protection from Staphylococcus aureus induced mastitis. Vet. Immunol. Immunopathol.,2010;134:208-17.
  • 3. Côté-Gravel J, Brouillette E, Maouin F. Vaccination with a live-attenuated small-colony variant improves the humoral and cell-mediated responses against Staphylococcus aureus. PLoS ONE, 2019;14:e0227109.
  • 4. Misra N, Wines TF, Knopp CL, Hermann R, Bond L, Mitchell B, McGuire MA, Tinker JK. Immunogenicity of a Staphylococcus aureus-cholera toxin A(2)/B vaccine for bovine mastitis. Vaccine, 2018;36:3513-3521.
  • 5. Vrieling M, Boerhout EM, Van Wigcheren GF, Koymans KJ, Mols-Vorstemans TG, De Haas CJ, Aerts PC, Daemen IJ, et coll. LukMF’ is the major secreted leukocidin of bovine Staphylococcus aureus and is produced in vivo during bovine mastitis. Scientific reports, 2016;6:37759.
  • 6. Cha E, Hertl J, Schukken Y, Tauer L, Welcome F, Grohn Y. Evidence of no protection for a recurrent case of pathogen specific clinical mastitis from a previous case. J. Dairy Res., 2016;83:72-80.
  • 7. Poutrel B. Susceptibility to mastitis: a review of factors related to the cow. Ann.Rech.Vet.,  1982;13:85-99.8.
  • 8. Rainard P, Cunha P, Martins RP, Gilbert FB, Germon P, Foucras G. Type 3 immunity: a perspective for the defense of the mammary gland against infections. Vet. Res., 2020;51:129.
  • 9. Cebron N, Maman S, Walachowski S, Gausseres B, Cunha P, Rainard P, Foucras G. Mammary Th17-related immunity, but not high systemic Th1 response is associated with protection against E. coli mastitis. NPJ Vaccines, 2020;5:108.
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