IAHP : vers une stratégie vaccinale ? - La Semaine Vétérinaire n° 1929 du 25/01/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1929 du 25/01/2022

Maladies réglementées

ANALYSE MIXTE

Auteur(s) : Tanit Halfon

Selon un récent rapport du Conseil régional de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), la vaccination contre l’influenza aviaire hautement pathogène est un outil qui pourrait avoir sa place dans les stratégies futures de lutte contre la maladie. Le ministre de l’Agriculture a annoncé le lancement d’une expérimentation à ce sujet.

Vaccinera, vaccinera pas ? Au vu du contexte sanitaire européen et français vis-à-vis de l’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) de ces dernières années, la question de la stratégie vaccinale est ouverte. Le 7 janvier dernier, le ministre de l’Agriculture, en déplacement dans les Landes, a déclaré qu’il n’y avait pas d’autre solution à terme que de se doter de la vaccination, et que le sujet devait être défendu auprès des partenaires européens.

Pour y arriver, il a acté le lancement d’une expérimentation pour tester le rapport bénéfice/risque de deux solutions vaccinales potentielles contre les virus H5HP de clade 2.3.4.4b chez le canard. Cette expérimentation évaluera les performances des vaccins dans des conditions proches du terrain. Cette annonce du ministre va dans le sens des professionnels qui ont appelé collectivement, via l’interprofession du foie gras, le Cifog, à avancer sur une solution vaccinale… Cette solution est toutefois loin d’être opérationnelle, eu égard à un récent rapport1 du CGAAER à ce sujet. Ce rapport avait été demandé en avril 2021 par le cabinet du ministre.

Plusieurs arguments plaident en faveur d’une vaccination. « L’IAHP due au virus H5N8 clade 2.3.4.4b est devenue enzootique dans l’avifaune sauvage en Eurasie, sans doute pour plusieurs années », indiquent ainsi les auteurs du rapport, ce qui fait peser un risque sanitaire à chaque migration. En cas de crise, il faut faire face à des coûts « considérables pour les filières et l’État ». De plus, « les abattages massifs, notamment préventifs, seront tôt ou tard remis en question par la société ». Enfin, aussi minimal soit-il, le risque de zoonose n’est pas à exclure.

Face à ces enjeux, il y a plusieurs vaccins existants et potentiels candidats. Actuellement, les pays qui vaccinent utilisent principalement des vaccins inactivés. En Europe, seul le vaccin Nobilis influenza H5N2 du laboratoire MSD est autorisé ; il vise les galliformes. Des vaccins recombinants vectorisés (insertion du gène H5 dans un virus vecteur non pathogène) existent aussi mais ne sont pas disponibles en Europe, et là encore, visent les galliformes. Ces deux premiers types de vaccins sont les principaux utilisés dans le monde. Les autres types sont des vaccins de nouvelle génération, qui pourraient intéresser le marché européen. Il y a des vaccins à base de protéines recombinantes : un seul type est disponible, basé sur l’hémagglutinine recombinante de sous-type H5 pour les galliformes. Enfin, il y a des vaccins à ARN : un a obtenu une licence conditionnelle d’exploitation aux États-Unis en 2015 (laboratoire MSD) pour la vaccination des galliformes.

Chaque type de solution vaccinale présente des limites. Pour les vaccins inactivés, la principale est que son efficacité dépend de la correspondance entre la souche vaccinale et la souche circulante sur le terrain. Si les technologies de production de ces vaccins sont maîtrisées, avec des coûts modérés, selon le rapport, « aucun vaccin contre le virus H5N8 de clade 2.3.4.4b n’est actuellement commercialisé en Europe, et les firmes pharmaceutiques consultées par mission n’ont pas exprimé d’intérêt pour développer des vaccins ».

Pour les vaccins vectorisés, les données montrent une bonne réponse contre des virus H5 de différents clades, associée à une forte baisse de l’excrétion virale. Mais les vecteurs utilisés actuellement ne se répliquent pas chez les palmipèdes. En revanche, ces vaccins peuvent être adaptés plus rapidement que les vaccins inactivés à la souche virale circulante, en quelques mois. Pour les vaccins à base de protéines recombinantes, des données montrent des résultats prometteurs pour les canards mais elles sont à compléter, et il apparaît aussi des contraintes de production de masse.

Pour les vaccins à ARN, il y a à la fois des résultats prometteurs et mitigés, mais ces vaccins seraient plus faciles à produire massivement, et susceptibles aussi d’obtenir une AMM européenne. De plus, ils sont adaptables en quelques semaines à la souche circulante. De manière générale, il apparaît que la vaccination des palmipèdes serait à envisager avec les vaccins de nouvelle génération, mais d’autres essais, en conditions expérimentales et sur le terrain, sont nécessaires pour répondre à toutes les questions. La praticité doit aussi entrer en ligne de compte sachant que les données disponibles pour les canards montrent à ce stade une plus grande efficacité des vaccins administrés en deux injections par rapport à une injection, avec le bémol des anticorps maternels lorsque les reproducteurs sont vaccinés. Il y a aussi des progrès techniques à faire pour différencier les animaux vaccinés des animaux infectés (stratégie DIVA pour « differentiating infected from vaccinated animals »).

Pour les auteurs, si stratégie vaccinale il y a, il s’agirait d’une vaccination préventive à envisager en début d’automne les années à risque, sur la base de signaux d’alerte. Elle devrait être ciblée tant pour l’espèce animale que pour la zone : les palmipèdes du Sud-Ouest, et plus particulièrement de la Chalosse, seraient les cibles prioritaires de la stratégie. Elle devra être obligatoirement associée à un plan de surveillance, en post-vaccinal pour prouver l’absence de circulation virale, et surveiller la dérive antigénique du virus ciblé et l’apparition de souches résistantes au vaccin.

Les auteurs recommandent aussi d’avoir des stocks de vaccins, qui seront à adapter en fonction des souches circulantes. Les vaccins ne supprimant pas totalement l’excrétion virale, c’est l’association entre une forte réduction de l’excrétion et une large couverture vaccinale dans les populations ciblées (70-80%), qui permettra d’avoir un niveau élevé d’immunité de la population et d’empêcher la circulation virale. De fait, il faudra avoir l’adhésion des professionnels. Au-delà des garanties techniques, cette adhésion ne sera possible que s’il y a des garanties économiques.

Pour ces garanties économiques, la question est de savoir si une stratégie vaccinale coûtera plus cher à la filière et à l'État, que de s’en passer. La réponse dépend en grande partie du maintien du marché de l’export. Actuellement, beaucoup de pays tiers refusent les importations de pays vaccinant contre l’IAHP. Selon le rapport, en cas de stratégie vaccinale et sans changement de position de ces pays, les pertes seraient de près de 250 millions d’euros pour les filières.

À cela peut s’ajouter une remise en cause des accords de zonage. Il s’agira donc de pouvoir négocier avec les pays tiers. Cette négociation pourrait être facilitée par un travail de communication de l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) auprès des pays tiers, et aussi par l'adoption d'un cadre commun européen « sur lequel pourra s’appuyer chaque État membre lors des négociations bilatérales avec les pays tiers importateurs ».

La présidence française de l’Union européenne est une bonne opportunité pour plaider en sa faveur, d’autant que d’autres pays semblent intéressés : les Pays-Bas, l’Allemagne, la Suède, le Danemark, la Pologne et la Hongrie. Et que la nouvelle loi de santé animale autorise la vaccination sous conditions. Ces négociations sont d’autant plus essentielles que le secteur pharmaceutique aura besoin d’assurance sur les orientations des politiques publiques sanitaires pour investir dans la recherche et développement de vaccins pour les ansériformes.

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