Entretien avec Christophe Hugnet (vétérinaire, membre du conseil régional de l’Ordre d’Auvergne-Rhône-Alpes)
ANALYSE MIXTE
Auteur(s) : Lorenza Richard
L’arrêt de l’activité rurale de deux structures vétérinaires en Ardèche après leur rachat par un groupe a suscité de nombreuses inquiétudes dans la profession. Ce fait a été observé dans plusieurs régions. Si le rachat n'est pas la cause de ces cessations d'activité, il amplifie le phénomène, lié en premier lieu à un problème de recrutement. Christophe Hugnet, membre du conseil régional de l’Ordre d’Auvergne-Rhône-Alpes, nous aide à faire le point sur ce phénomène et les enjeux qu’il soulève.
Les structures qui cessent leur activité rurale à la suite de leur rachat par un groupe le font-elles sous la pression de ce groupe ?
Les groupes ne sont pas la cause de la cessation d’activité rurale, car ils maintiennent la pratique mixte des structures qu’ils rachètent dès lors qu’elle est rentable, dans des zones où elle est encore conséquente, et qu’il reste suffisamment de vétérinaires après le rachat pour la faire tourner. Cependant, ce n’est pas la majorité. Dans de nombreuses structures, le chiffre d’affaires de l’activité rurale est largement minoritaire par rapport à celui lié aux animaux de compagnie, alors que les contraintes sont bien plus nombreuses : matériel, déplacements qui nécessitent un véhicule, stocks, gardes moins partageables car moins de vétérinaires ont une activité mixte, etc. De plus, souvent, les vétérinaires les plus âgés de la structure s’en vont, alors qu'ils avaient en charge l’activité mixte. La difficulté rencontrée est le recrutement de jeunes qui accepteraient d’intégrer rapidement ces structures pour exercer la rurale. Dans certains endroits, comme il n’y a pas de candidats, les groupes ne cherchent alors pas toujours à maintenir absolument une activité rurale peu ou pas rentable ou trop contraignante, en considérant que l’activité animaux de compagnie est suffisante pour faire tourner la structure. Le rachat par un groupe est ainsi associé au départ programmé d’un ou plusieurs confrères qui pratiquaient la rurale et qui ne sont pas remplacés. La véritable problématique n’est ainsi pas la pression que pourraient mettre certains groupes, mais celle de la non attractivité des zones rurales pour les jeunes et de la non rentabilité des activités rurales.
Ces cessations d’activité lors de rachats pourraient-elles aggraver la désertification de certaines zones en vétérinaires ruraux ?
S’il n’est pas la cause de la disparition de vétérinaires ruraux, le rachat par les groupes entraîne une amplification du phénomène, et même son accélération dans certains endroits. En effet, s’il y a abandon de l’activité rurale dans une structure, le poids des contraintes se reporte sur celles qui sont alentour. Cela aggrave le problème, car les vétérinaires qui restent, et qui sont déjà au taquet, ne peuvent pas faire plus que ce qu’ils font déjà. Ils sont sans cesse sollicités, et ils subissent, en plus, la pression d’éleveurs mécontents, la situation devenant catastrophique en termes de bien-être animal par endroits. Cette pression peut devenir rapidement intenable pour eux et un phénomène de dominos est à craindre.
Une solution a été trouvée en urgence en Ardèche pour assurer les prophylaxies dans les élevages sans vétérinaire. Comment cela a-t-il été possible et est-ce que cela sera nécessaire ailleurs ?
La solution de dépannage en Ardèche a été réfléchie en coordonnant les efforts du Syndicat régional des vétérinaires d’exercice libéral, de l’Ordre régional des vétérinaires, de la DDETSPP 1 et d’autres acteurs locaux, pour activer tous les réseaux et essayer de trouver la possibilité d’assurer, au moins, la prophylaxie. Une vétérinaire, que nous pouvons remercier d’avoir accepté cette mission, a été recrutée pour quelques semaines et cela s’est bien passé. Cela a résolu une problématique du maintien des certifications vis-à-vis de la rhinotrachéite infectieuse bovine, notamment. Toutefois, cela ne change pas le quotidien des éleveurs pour la gestion des maladies. Ici comme ailleurs, les structures qui restent essaient de recruter mais elles se retrouvent face à la difficulté de trouver des candidats. De plus, celles qui en trouvent ne sont pas dimensionnées pour accueillir plusieurs vétérinaires. Des solutions d’extension ou de déménagement rapide doivent être trouvées, et c’est le travail des collectivités territoriales locales. Par exemple, en Ardèche, l’intercommunalité et les communes concernées ont déjà trouvé des locaux temporaires pour les structures qui doivent déménager et ont des propositions pour loger des personnes qui viendraient travailler. Il reste à trouver des confrères et consœurs afin que l’économie de la structure ainsi recomposée fonctionne. Nous devons aider les vétérinaires encore en place à s’organiser entre eux, à se regrouper pour les moyens ou pour les gardes, pour que ce soit vivable pour tout le monde dans des zones où les temps de trajet sont longs. Et en règle générale, partout en France, il faut du monde pour assurer le maillage.
Ce phénomène mettrait donc en lumière un problème de fond plus général ?
Pour le coup, c’est un service que rendent les groupements : ils font prendre conscience que la réalité économique peut prendre le pas sur l’envie de maintenir une activité non rentable. L’État et les collectivités territoriales sont alertés depuis de nombreuses années sur le fait que la rentabilité de certaines structures vétérinaires mixtes repose uniquement sur l’activité canine, et que c’est cette dernière qui permet de maintenir la rurale. La loi DDADUE arrive trop tard pour les structures qui ont suspendu leur pratique rurale, et il est extrêmement urgent que l’État mette en place de façon effective les mesures d’aide prévues 3. Les promesses ne suffisent plus. Les paramètres économiques doivent en effet permettre aux structures de surmonter les contraintes et le désir d’arrêter la rurale, et même tenter de donner envie de la pratiquer.