La faune sauvage : des évolutions nécessaires - La Semaine Vétérinaire n° 1926 du 04/01/2022
La Semaine Vétérinaire n° 1926 du 04/01/2022

Biodiversité

ANALYSE GENERALE

Auteur(s) : Par Marine Neveux

À l'occasion de son colloque « Préserver et protéger les animaux sauvages en liberté » le 16 novembre 2021, la Fondation droit animal, éthique et sciences a ouvert des pistes de réflexion sur la protection juridique des animaux sauvages en liberté. Un sujet d'actualité alors que l'attention portée au vivant et aux écosystèmes se développe. Les vétérinaires y ont leur place.

Comment préserver la biodiversité, l'harmonie du vivant, à l'heure où elle est menacée, mais où elle nous rappelle aussi qu'elle est l'une des solutions pour prévenir les pandémies ? Notre consœur Hélène Soubelet, directrice de la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB) tente de faire comprendre les résultats des recherches scientifiques afin que la décision politique puisse s'appuyer sur ces connaissances. La Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) a publié en 2019 un rapport sur l’état de la biodiversité, les pressions qui s’y exercent et les actions que l’humanité peut mettre en place pour pallier l'érosion. Ce rapport annonce un million d’espèces menacées sur les 8 à 20 millions d’espèces existantes. L'effondrement touche tous les milieux. « Pour enrayer ce phénomène, il faut considérer le vivant comme ayant autant le droit que nous à vivre sur cette planète. Un petit nombre d’humains est capable de détruire une grande part de biodiversité. Les animaux ont besoin d’espace et quand on occupe cet espace, on les empêche de poursuivre leur cycle correctement. »

Il y a trois principales pressions au niveau des animaux : - 1. Le changement d’usage des terres et des écosystèmes pour créer une niche écologique humaine qui soit favorable à son bien-être et sa survie, mais sans considérer les autres êtres vivants.

- 2. Le prélèvement de biomasse à l'avantage de l'humain : « En faisant cela, on prive les autres êtres vivants de cette même biomasse » et les équilibres se modifient.

- 3. Le changement climatique dont l'humain est en partie responsable et qui bouleverse les écosystèmes.

« Si on était dans un monde idéal, la science devrait être à l’appui des décisions en permanence », poursuit Hélène Soubelet. À la Fondation, notre consœur tente de définir des enjeux et des solutions communs. « On a des solutions pour changer l’agriculture. (...) Il y a un moment où il faut commencer et s’y mettre. Cette transition agricole est très emblématique de ce que l’on ne fait pas. La PAC va majoritairement subventionner une agriculture qui détruit les sols, qui utilise des pesticides et a finalement une incidence sur la biodiversité mais aussi sur notre santé. L’alimentation est aussi cruciale. Il faut arriver à se détacher des intérêts particuliers pour revenir au bien commun, à l’intérêt collectif de la nation qui sont liés à la biodiversité. »

Autre grand sujet de préoccupation, celui du statut juridique de l'animal sauvage. Muriel Falaise, enseignante à l'Université de Lyon explique que l’animal sauvage n’est pas considéré en sa qualité d’être sensible. Selon elle, trois raisons devraient justifier une évolution de cette situation juridique. Premièrement, la science apporte constamment des preuves de l’existence d’une individualité de l’animal sauvage libre. Ensuite, on ne peut pas rester insensible aux images des atteintes portées aux animaux sauvages. « Il faut aussi que les juges se donnent les moyens pour agir en faveur de la protection animale. Par exemple, sur les coups portés aux blaireaux, les juges ont la possibilité de considérer que l’animal était captif au moment où les coups lui ont été portés, ce qui relève alors de l’article 521-1 du Code pénal. » Enfin, rien ne peut justifier qu’au cours de sa vie, un animal puisse passer d’une catégorie juridique à une autre, et donc recevoir une protection différente. 

En Europe, l’animal est protégé, selon les pays, par des mesures soit de nature constitutionnelle, soit législatives, explique Muriel Falaise. L’Allemagne, l’Autriche, le Luxembourg et la Suisse ont ainsi intégré dans leur Constitution un principe général de protection des animaux. « Plusieurs États de l’Union européenne possèdent une législation qui ne s’applique non pas aux seuls animaux domestiques, sauvages captifs ou apprivoisés, mais à l’ensemble des animaux, donc également à l’égard des animaux sauvages vivant à l’état de liberté. » C'est le cas de Chypre, de l'Irlande, de la Finlande. Une législation intéressante est celle du Luxembourg. En 2018, ce pays s’est doté d’une nouvelle législation, qui a pour objectif d’assurer la dignité, la protection de la vie, la sécurité et le bien-être des animaux. Cette loi s’applique à tous les animaux vertébrés ainsi qu'aux céphalopodes.

Le législateur français pourrait s’inspirer de ces exemples. Plusieurs voies sont possibles. D'une part, un nouvel article pourrait être inséré dans le Code de l’environnement stipulant que les animaux sauvages ne peuvent pas être intentionnellement tués, capturés, torturés. D'autre part, le Code pénal pourrait être modifié. La LFDA souhaite que le droit protège les animaux sauvages en liberté de la cruauté humaine. Le premier paragraphe de l’article 521-1 du Code pénal devrait donc stipuler : « Le fait, publiquement ou non, d’exercer des sévices graves, ou de nature sexuelle, ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité, ou sauvage, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. » 

« La législation est parfois absurde et schizophrène », témoigne notre confrère et député Loïc Dombreval, porteur de la loi visant à lutter contre la maltraitance animale (promulguée le 30 novembre 2021). Il déplore cette incohérence sur la faune sauvage libre et non protégée. « La prévention et l’éducation sont des éléments indispensables, essentiels, surtout dans les zones de tension. » Il aborde aussi le cas des "ESOD" (Espèces susceptibles d’occasionner des dégâts). « Ces animaux sont détruits, sans que l’on ne mesure l’impact des destructions. Aucune méthode alternative à la méthode léthale n'est proposée par les arrêtés préfectoraux. Là aussi, il y a matière à mieux réglementer pour qu’avant d’engager des processus d’exécution, il y ait évaluation des destructions. » Il pointe aussi les chasses traditionnelles, comme celle à la glu, non sélective avec des atteintes à la biodiversité. « De même, l’élevage des gibiers de chasse, qui est une absurdité et doit s’achever en France dans les délais les plus brefs. »

Le sujet est politique, il sera dans la campagne présidentielle !

Les difficultés des centres de soins

Notre confrère Jean-François Courreau, du Réseau des centres de soins de la faune sauvage, témoigne de la souffrance, de la détresse et de la mort de l'animal sauvage auxquels il est confronté. « L’humain est bien souvent à la source des causes d’accueil : par les constructions, nos véhicules, la pollution, etc. » Barbara Pompili, secrétaire d'État chargée de la biodiversité, a dit « que l’on allait travailler pour que les centres de soins sortent de la précarité qu’ils connaissent. Ce sont des animaux sauvages qui n’appartiennent à personne, c’est donc la générosité qui finance. 20 à 30 % d’apport des collectivités locales (parfois seulement 5 à 10 %), c’est insuffisant. Or, nous apportons un service éminent car nous sommes les seuls à pouvoir assurer cette prise en charge de la faune en détresse. » Ce réseau est un remarquable observatoire de ce qui impacte la faune sauvage en matière de maladies. Dans un contexte où le risque zoonotique est important, cet observatoire paraît précieux.

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