Intérêt de l’échelle de grimace féline lors de douleur aiguë - La Semaine Vétérinaire n° 1923 du 03/12/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1923 du 03/12/2021

Feline grimace scale

FORMATION CANINE

Auteur(s) : Laurent Masson

Conférenciers

Beatriz Monteiro, membre de l’International Veterinary Academy of Pain Management, assistante de recherche à l’Université de Montréal

Paulo Steagall, diplômé de l’American College of Veterinary Anesthesia and Analgesia, professeur à l’Université de Montréal

Article rédigé d’après un webinaire organisé par Elanco le 15 octobre 2020.

Pour comprendre la douleur féline, il convient d’en connaître les causes et les conséquences. Bien qu’il n’existe pas de données épidémiologiques à grande échelle, il est raisonnable de penser que les trois principales causes de douleur chronique sont l’arthrose, les tumeurs et les affections oro-faciales (gingivite notamment). Viennent ensuite les douleurs post-chirurgicales, l’alopécie extensive féline, la douleur oculaire et l’onychectomie lorsqu’elle est encore pratiquée.

Mécanismes de la douleur

Le mécanisme de la douleur présente une composante sensorielle désagréable et une composante émotionnelle associées, ou semblant associées, à un traumatisme tissulaire présent ou potentiel. La douleur est un mécanisme de défense de l’organisme. Mais elle peut persister au-delà de la cicatrisation et sans cause existante. La fonction protectrice disparaît et elle est alors considérée comme chronique.

Une douleur aiguë peut persister et devenir récurrente lors de douleur neuropathique (après une amputation par exemple) ou lorsqu'elle n'a pas été gérée correctement au moment du traumatisme initial.

La douleur est perçue par des nocicepteurs et transmis par les fibres Ab, Ad et C selon le type de stimulus (mécanique, chimique, chaleur…) aux ganglions sensoriels puis aux neurones de la racine dorsale dans la matière grise de la moelle épinière. Ce signal peut être modulé par des neurotransmetteurs : inhibé par la noadrénaline, la sérotonine, le système endocannabinoïde, le GABA et la prise d'opioïdes, ou amplifié par le glutamate, la substance P ou la glycine. Le système de gate control peut également moduler sa perception : une action non douloureuse (un massage ou une friction par exemple) peut diminuer le stimulus. À l’inverse, le message nociceptif peut être amplifié par activation de nocicepteurs « silencieux » au niveau de la corne dorsale de la moelle épinière, par une réorganisation neuronale (neuroplasticité) augmentant le nombre de neurones stimulant le neurone de deuxième ordre ou encore par la perte d’interneurones inhibiteurs. Enfin, la douleur est interprétée par le cortex cérébral et éventuellement modulée en fonction de facteurs psychologiques et socio-environnementaux, d'expériences passées et d'activités fonctionnelles.

La perception de la douleur chronique est extrêmement complexe, subjective et individuelle sous l’influence de facteurs exogènes (cognitifs, émotionnels, comportementaux et sociaux) et endogènes (neurobiologie).

Comment la douleur est perçue

Lors de dommage tissulaire, une inflammation apparaît avec la libération de médiateurs de l’inflammation (prostaglandines, facteur de croissance nerveuse [NGF], interleukines, bradykinine). Les nocirécepteurs périphériques deviennent alors sensibilisés et hyperexcitables. Lors d’hyperalgésie primaire, les médiateurs de l’inflammation diminuent le seuil de dépolarisation des neurones de premier ordre. Lors de douleur chronique, les nocirécepteurs « silencieux » sont activés et la zone sensibilisée est étendue aux tissus sains voisins, conduisant à une hyperalgésie secondaire. Enfin, l’allodynie est une douleur provoquée par un stimulus habituellement indolore à cause de la mise en jeu des fibres sensitives. La douleur peut ainsi être ressentie même après guérison du trauma initial. Par ailleurs, le système d’inhibition de la douleur fonctionne moins bien lors de sensibilisation nerveuse centrale liée à des stimuli permanents au niveau de la moelle épinière.

L’état émotionnel peut influencer positivement ou négativement la perception de la douleur. Ainsi la peur, la frustration et l’anxiété affectent le comportement, réduisent la socialisation, l’attention et le comportement cognitif. Inversement, des émotions positives, relaxantes diminuent son ressenti. Quand elle devient chronique, il est donc important de favoriser le jeu, l’interaction sociale et le bien être du chat, en adaptant par exemple son environnement.

Évaluation de la douleur aiguë grâce à l’échelle de grimace féline

Les expressions faciales comme outil d’évaluation de la douleur ont été étudiées dans différentes espèces. Après une validation rigoureuse, l’échelle de grimaces faciales guide les vétérinaires dans leur prise de décisions cliniques et oriente sur l’opportunité d’un traitement antalgique.

L’échelle de grimace féline (feline grimace scale, FGS) élaboré par l’Université de Montréal en 20191 se base sur cinq points : la position des oreilles, l’ouverture palpébrale, la tension du museau, la position des moustaches et la position de la tête. Chaque point est noté entre 0 (absence), 1 (apparence modérée ou douteuse) et 2 (aspect évident). Si la notation n’est pas possible, l’option « impossible à noter » est prévue. Plus la somme des notes est élevée, plus la douleur est marquée, avec une note maximale de 10. Pour la position de la tête, il faut visualiser une ligne imaginaire à hauteur des épaules et déterminer la position des yeux par rapport à cette ligne.

Le chat est observé au calme pendant 30 secondes avant de commencer la notation. S’il est en train de se toiletter, de manger ou de vocaliser, voire de dormir, il convient d’attendre la fin de ces activités. Une note globale ≥ 4 suggère que le vétérinaire devrait envisager l’administration de médicaments analgésiques en tenant compte de la condition physique de l’animal et des traitements déjà administrés. En cas de doute, malgré la note seuil atteinte, le vétérinaire peut choisir de réévaluer le chat après une dizaine de minutes.

Il peut être intéressant de filmer ou de prendre en photo le chat pour procéder à la notation. L’évaluation en temps réel surestime légèrement le résultat, avec toutefois un impact clinique minimal.

L’étude menée à la Faculté vétérinaire de l’Université de Montréal a montré une capacité discriminatoire excellente entre douloureux et indolore (elle permet de savoir si le chat a mal ou non), une très bonne corrélation entre le score de douleur de Glasgow et l’échelle des grimaces de chat, avec une répétabilité inter et intra-examinateur respectivement bonne et excellente.

Cet outil est particulièrement intéressant pour évaluer la douleur après une chirurgie oro-faciale, notamment les extractions dentaires, même si l’inflammation et l’œdème peuvent modifier la notation de la FGS.

Néanmoins, la FGS présente potentiellement des limites. Le port d’une collerette, un museau écrasé chez le chat brachycéphale, la morphologie des oreilles dans certaines races, la peur et les chirurgies oculaires peuvent modifier l’expression faciale. L’utilisation de la FGS ne doit pas remplacer le jugement clinique. En cas de doute, un analgésique peut être prescrit. La comparaison des expressions faciales avant et après permettra d’évaluer la réponse à l’administration analgésique.

  • 1. Evangelista, M.C., Watanabe, R., Leung, V.S.Y. et al. Facial expressions of pain in cats : the development and validation of a Feline Grimace Scale. Sci Rep 9, 19128 (2019). https://doi.org/10.1038/s41598-019-55693-8.
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