La santé de l’abeille ne se fera pas sans les vétérinaires - La Semaine Vétérinaire n° 1922 du 26/11/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1922 du 26/11/2021

Colloque

ANALYSE MIXTE

Auteur(s) : Tanit Halfon

Après 3 ans d’absence, les Journées vétérinaires apicoles ont retrouvé les locaux du campus vétérinaire d’Oniris (Nantes) pour 3 jours de conférences en octobre dernier. L’occasion de rappeler l’engagement des vétérinaires pour la bonne santé de l’abeille domestique et de la filière apicole.

Les vétérinaires sont désormais bien impliqués dans le suivi de la santé des abeilles, en témoigne la 5e édition des Journées vétérinaires apicoles, qui s'est déroulée du 6 au 8 octobre dernier à Oniris (Nantes). Ils sont environ 400 vétérinaires à être engagés en apiculture, 257 à être titulaire du diplôme inter-écoles (DIE) "apidologie-pathologie apicole" et 177 à être mandatés (pour 301 mandats délivrés), avec un réseau de vétérinaires mandatés qui continue de s’étoffer sur le territoire. 92 départements sont couverts, dont 3 territoires ultramarins (Guadeloupe, Martinique, Réunion), et on compte actuellement entre 1 à 6 vétérinaires mandatés par département. En parallèle, sont dénombrés 960 techniciens sanitaires apicoles (TSA), soit un moyenne de 10 TSA par département, pour assister les vétérinaires dans l’exercice de leurs missions. Ces dernières sont multiples, comme il a été rappelé au cours du colloque. Il y a les missions à la demande et à la charge de l’État1 : il s’agit de celles relatives aux mesures de police sanitaire lors de suspicion ou confirmation d’un danger sanitaire de 1ère catégorie (DS1) ; et de celles dédiées aux mortalités massives aiguës d’abeilles adultes (MMA) avec suspicion d’intoxication. Dans ce cas, les vétérinaires sont mandatés, et les servies publics s’appuient fortement sur le réseau de vétérinaires praticiens apicoles pour mener ces missions.

Il y a aussi les missions dans le cadre du programme sanitaire d’élevage (PSE) pour la lutte contre varroa. Enfin, celles à la demande et à la charge de l’apiculteur.

Plus de 60 vétérinaires dans l'OMAA

Ces missions évoluent. L’observatoire des mortalités et des affaiblissements de l’abeille mellifère (OMAA), lancé en 2017 pour une expérimentation dans les départements de la Bretagne et des Pays de la Loire, est désormais mis en place en Auvergne-Rhône-Alpes depuis 2019. Ce dispositif permet de déclarer à un guichet unique régional, géré par des vétérinaires répartiteurs, tout événement de santé sur un rucher. L’évènement fera ensuite l’objet d’une prise en charge spécifique suivant sa nature : soit par les dispositifs étatiques cités plus haut, soit par la voie « Autres troubles de santé », dont l’État finance désormais les analyses de laboratoire (incluant les analyses toxicologiques) à hauteur de 60 000 € par an pour les 3 régions. Au total, ce sont plus de 2200 déclarations qui ont été reçues depuis le lancement de l'OMAA, dont 450 pour le seul premier semestre 2021 (contre 380 à la même période l’an dernier). 11 % des déclarations sont orientées vers la surveillance des DS1, 10 % la surveillance des MMA, et 79 % vers « Autres troubles de santé ».

Plus de 60 vétérinaires (répartiteurs et enquêteurs) sont mobilisés – 13 en Bretagne, 6 aux Pays-de-la-Loire, et 45 pour l’Auvergne-Rhône-Alpes, et également plus de 60 TSA.

Il est prévu de déployer le dispositif sur l’ensemble du territoire national, ce qui pourrait structurer et renforcer le rôle du réseau des vétérinaires. Mais d’autres évolutions des missions apicoles, probablement majeures, sont aussi attendues avec la loi Santé animale (règlement UE 2016-429), qui rebat les cartes de la lutte contre les maladies règlementées.

Un tournant dans les missions ?

En effet, parmi les maladies apicoles répertoriées par le règlement européen, aucune n’a été considérée comme devant faire l’objet de mesures étatiques obligatoires de lutte. Toutes restent toutefois soumises à des restrictions aux mouvements entre États membres et à surveillance obligatoire (obligation de déclaration des suspicions et foyers à l’autorité compétente, et de notification européenne). Conséquence : la responsabilité de la lutte contre la loque américaine n’incombera plus à l’Etat, lequel mandatait des vétérinaires pour les actions de police sanitaire. Par contre, pour Aethina tumida et Troplilaelaps spp., le ministère de l’Agriculture a décidé d’aller au-delà de la réglementation - ce qui est rendu possible par le règlement européen - et de conserver les arrêtés ministériels de lutte, notamment car la France est indemne pour ces deux maladies. La nosémose et le frelon asiatique ne sont plus des maladies apicoles réglementés.

En matière apicole, on se dirige donc vers une responsabilisation renforcée des professionnels, lesquels sont incités par le ministère de l’Agriculture à mettre en place des programmes sanitaires d’intérêt collectif (PSIC). Ces PSIC peuvent être reconnus par l’autorité administrative, ce qui les rend obligatoires pour tous les détenteurs de ruches d’une zone donnée. Pour être reconnu, il faudra respecter plusieurs critères, dont le fait de confier des missions aux vétérinaires. A ce stade, la filière a annoncé travailler sur 3 plans : la loque américaine, Varroa destructor et le frelon asiatique2. En attendant leur finalisation, l’ancienne réglementation reste en vigueur.

Présent au colloque, Eric Lelong, le président de l’interprofession apicole Interapi, a affirmé avoir besoin des vétérinaires, en citant le triptyque vétérinaire/DGAL/GDS qui permet de faire progresser la filière. Il a toutefois aussi précisé que la filière apicole avait à gérer de forts enjeux financiers. Ainsi, pour l’OMAA, si son extension est souhaitée, sa prise en charge financière doit relever de l’État et non pas des apiculteurs. Côté ministère, le discours est clair : le vétérinaire est considéré comme un acteur sanitaire central pour la filière apicole, ce qui est conforté par la LSA et les conditions de reconnaissance des PSIC. De plus, comme le prévoit la LSA, des travaux sont aussi en cours pour enfin envisager la mise en œuvre d’une visite sanitaire apicole.

L’avenir nous dira quelle sera la place exacte du vétérinaire dans la filière apicole et si son rôle sanitaire sera renforcé. 

Un nouveau cadre pour la démarche clinique

Les investigations vétérinaires pour la voie des « Autres troubles de santé » sont désormais appuyées par des fiches cliniques élaborées par un groupe de travail composé de vétérinaires cliniciens, sur demande de la DGAL. En effet, l'OMAA vise aussi à récolter des données à des fins épidémiologiques, ce qui nécessite d’avoir des données de bonne qualité, et donc des pratiques harmonisées. Ces fiches permettent aussi de disposer d’un cadre technique qui appuie le déblocage de financements pour la voie « Autres troubles de santé ». Dix fiches, correspondant à 10 grands syndromes1, ont été élaborées. Toute la démarche clinique y est détaillée, incluant donc les hypothèses diagnostiques, mais aussi les examens complémentaires à envisager. L’interprétation des résultats est associée à un indice de confiance. Certaines fiches seront probablement amenées à évoluer suivant les retours terrain, et l’évolution des connaissances, et de la règlementation. Ces fiches peuvent aussi appuyer la montée en compétences et l’accomplissement des missions en apiculture des vétérinaires praticiens, qu’elles soient dans le cadre de leur mandat ou pas.

1. Anomalies morphologiques de l’abeilles adulte, anomalies comportementales de l’abeille adulte, anomalies du couvain ouvert, du couvain fermé, des nymphes, de la ponte, abeilles mortes, mortalité de la colonie (hors mortalité hivernale), mortalité hivernale et affaiblissement de la colonie

  • 2. Le frelon asiatique s’inscrit cependant toujours dans le règlement des espèces exotiques envahissantes
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