Vétérinaires et chercheurs, des atouts en partage - La Semaine Vétérinaire n° 1921 du 19/11/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1921 du 19/11/2021

DOSSIER

Auteur(s) : Par Clémentine Kervinio

Certains vétérinaires embrassent une carrière dans la recherche clinique, fondamentale, animale ou humaine, parfois en conservant leur activité de praticien. Quel parcours les a menés à ces postes à hautes responsabilités ? Quelles qualités inhérentes à leur formation leur permettent de devenir chercheur ?

Le diplôme de vétérinaire offre des débouchés variés, dont celui de la recherche. Leurs motivations à occuper de hauts postes dans la recherche fondamentale ou thérapeutique sont multiples et, au sein même de cette discipline, les carrières diffèrent. S'ils ont en commun un attrait pour la biologie et les animaux, leurs intentions initiales en choisissant des études vétérinaires sont différentes. Ainsi, lorsqu’il entre à l’école vétérinaire d'Alfort, Gilbert Lenoir souhaite « soigner des vaches et des cochons » et s’installer à la campagne. Après plusieurs stages et campagnes de vaccination en zone rurale, il constate que le praticien est limité dans ses diagnostics et doit ouvrir un parapluie thérapeutique pour soigner les animaux, en plus de pratiquer des actes purement techniques. Persuadé que cette activité lassera son tempérament de scientifique, il se tourne vers la recherche. Jean-Claude Manuguerra, quant à lui, découvre cette voie durant son stage de fin d’études à l’Institut Pasteur. Durant les années qui suivent sa sortie de l’école vétérinaire, il effectue un master II dans la même unité, tout en travaillant en tant que praticien canin (gardes et remplacements). Sa charge de travail s’intensifiant, il se résout à arrêter cette dernière activité. Éric Leroy et Sophie Brouard se lancent dans des études vétérinaires avec l’objectif affirmé de faire de la recherche, mais souhaitent emprunter un autre chemin que celle des études médicales. Serge Rosolen ambitionne lui très tôt d'améliorer les soins aux animaux grâce à la recherche thérapeutique. À la fin de ses études, il prend la voie de la recherche via un DESS (faculté de pharmacie), suivi d’un doctorat d’université et d’une habilitation à diriger des recherches (HDR).

Une vision globale du système

Les études en classe préparatoire apportent une bonne culture générale biologique, or la biologie cellulaire et la biochimie sont des domaines importants à connaître en recherche. Selon Jean-Claude Manuguerra, « le vétérinaire a aussi des connaissances dans le domaine de la médecine par exemple, comme le fonctionnement des antibiotiques appris durant les cours de pharmacologie à l’école ». Quant à Eric Leroy, il considère que les vétérinaires, comme les médecins, ont une vision globale du système et une plus grande facilité à lier l’expression clinique avec un phénomène de physiopathologie ou cellulaire. Ils ont la capacité de se représenter l’ensemble du phénomène infectieux, de la cellule à l’environnement et aux patients. La double formation est une plus-value indéniable dans la recherche autour de maladies infectieuses, ce qui explique que les centres de recherche en sciences de la santé sont souvent dirigés par des des médecins ou des vétérinaires chercheurs. Sophie Brouard confie d’ailleurs que sa formation a sûrement été un atout majeur pour rentrer au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), où le double diplôme est apprécié. En infectiologie, la formation médicale, humaine ou vétérinaire est une bonne chose car elle apporte une hauteur d’esprit permettant de lier les événements les uns aux autres. Pour ce qui est de l’épidémiologie, Gilbert Lenoir a constaté que « le vétérinaire est mieux formé que les médecins ».

D'après Serge Rosolen, les vétérinaires ont certaines spécificités : ils connaissent à la fois la physiologie et l’anatomie comparées et les maladies animales. Ils font de la médecine comparée. « Cette double compétence est essentielle en recherche thérapeutique afin de développer des stratégies spécifiques à chaque espèce animale », dit-il. Le vétérinaire développe un esprit critique ouvert : il a une « vision globale » de l’animal, en tant qu’individu, et des animaux dans leur environnement.

Les vétérinaires sont légitimes

Dès le début de leur parcours dans la recherche, les vétérinaires sont bien acceptés, notamment grâce à la renommée de leur diplôme. Une formation supplémentaire dans le domaine choisi est souvent nécessaire pour travailler dans cette voie et les compétences s’acquièrent progressivement. Les qualités de scientifiques finissent par prendre le pas sur la formation d’origine de la personne (médecin, vétérinaire, etc.).

« Le vétérinaire est bien accepté du moment qu’il a une thèse de sciences et qu’il se fait un nom au sein de la communauté internationale scientifique, sur la base de son parcours scientifique et de ses publications, explique Éric Leroy. Le corporatisme disparaît et les personnes avec qui on travaille oublient notre formation initiale. » Gilbert Lenoir, lui, constate qu’en France de nombreuses structures de recherche accueillent des vétérinaires, en particulier l’Institut Mérieux pour le privé et l’Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) et l’Institut Pasteur pour les structures académiques. Et Jean-Claude Manuguerra de confirmer : « Les vétérinaires présents aux cours dispensés à l’Institut Pasteur sont très performants, assure-t-il. Ils sont en revanche peu nombreux, probablement en raison d’un manque d’informations au sein des écoles vétérinaires. » Sophie Brouard aime panacher les compétences des chercheurs qu’elle recrute dans son équipe et remarque que les étudiants avec une double formation ont souvent plus de facilité au niveau rédactionnel et une plus grande maturité dans leur travail : « Lorsqu’on s’intéresse à un domaine, lance-t-elle, si on ne joue pas l’interdisciplinarité, on s’ennuie. »

Au cœur du One Health

Le One Health est ancien en recherche, mais son importance n’est révélée au grand public que depuis peu. Or, le vétérinaire a naturellement une culture d’approche globale : l’homme, l’animal et l’environnement sont liés. Plus que d’autres, il est légitime pour travailler sur les zoonoses. « La quasi-totalité des maladies infectieuses qui touchent les humains sont dues à des virus qui proviennent, à un moment plus ou moins lointain, de l’animal, explique Éric Leroy. Ce concept est très reconnu dans le milieu scientifique : les virus évoluent de manière permanente et peuvent se transmettre à tout moment, à la faveur de conditions favorables et spécifiques, d’une espèce animale à une autre ainsi qu’à l’humain. » Par ailleurs, la recherche humaine permet de faire évoluer la recherche animale et vice versa, en témoignent les travaux de Serge Rosolen, qui a développé l’ophtalmologie comparée en fédérant un Réseau européen d’ophtalmologie vétérinaire constitué de cliniques et d'hôpitaux vétérinaires qui collaborent, entre autres, avec l’Institut de la vision, le CNRS et l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).

L'effet Covid-19 

La crise du Covid-19 a révélé l’importance des vétérinaires au grand public, qui a notamment appris que les grandes pandémies affectant les humains étaient à l'origine des virus provenant des animaux. « Le rôle des vétérinaires n’a pas toujours été mis en valeur mais c’est en train de changer, se félicite Jean-Claude Manuguerra. La preuve avec l’intégration d’un vétérinaire dans le conseil scientifique. » Thierry Lefrançois en février 2021. Serge Rosolen explique avoir travaillé en interaction avec les médecins durant la crise, pour mettre en commun les compétences de chacun de façon synergique. Une confiance s’est installée, et les vétérinaires sont reconnus compétents et légitimes au niveau du risque zoonotique.

« Les études vétérinaires favorisent un caractère tenace, une pugnacité, un apprentissage de l’échec »

Christian Bussy (N 87). Chirurgien équin et chercheur à Saint Saturnin (72)

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Quels ont été vos débuts dans la recherche ?

Après un internat à Columbia-Missouri, aux États-Unis, et plusieurs années de pratique, nous avons ouvert la clinique du Grand Renaud, qui a une orientation chirurgicale forte et une activité de référé à 60 %. En 2010, nous avons débuté une activité de recherche et en 2013 j’ai passé mon DESV de chirurgie équine.

Pourquoi avoir une activité de recherche clinique ?

La recherche s’est imposée à moi pour plusieurs raisons. Je souhaitais booster mon activité de praticien, qui est parfois décevante lorsque les techniques existantes ont des limites. J’aime faire avancer la recherche pour trouver des solutions permettant de soigner plus vite, le mieux possible et pour moins cher, le prix final étant un facteur limitant dans les soins équins.
Par ailleurs, l’activité clinique de notre structure est saisonnière, le travail de recherche permet de conserver l’intégralité de notre équipe soignante toute l’année, en offrant du travail aux vétérinaires de façon continue.

Comment s’organisent vos travaux ?

Nous travaillons sur trois à quatre sujets de recherche par an dans le domaine chirurgical, qui avancent en parallèle. Notre activité de référés nous permet d’avoir de nombreux cas que nous compilons et de présenter des études réalisées sur un panel important.

Comment se déroule votre activité de recherche ?

Les sujets sont décidés grâce au travail d’équipe : lorsque nous nous heurtons à des murs avec les connaissances du moment, nous réfléchissons à de nouvelles solutions. Pour nos expérimentations, nous proposons à des clients qui n’ont pas les moyens de faire la chirurgie classique et à ceux qui doivent euthanasier leur animal d’essayer la technique en cours de recherche pour un coût limité.

Quelles avancées avez-vous permis ?

Nous pouvons citer deux travaux déjà présentés en congrès et publiés. Pour éviter les récidives de coliques, la fermeture de l’espace néphrosplénique peut être recommandée chez certains chevaux. Cette chirurgie est classiquement réalisée par cœlioscopie, or le matériel est coûteux, dur à utiliser et l’intervention est longue. Entre 2010 et 2015, nous avons mis au point le trocart Grand Renaud (GR) qui permet d’avoir un accès à l’abdomen du cheval. Il a depuis été amélioré et nous en avons commercialisé 50 unités dont 4 dans des universités américaines. Le GR2 a aussi vu le jour : il permet l’ablation des deux ovaires de jument grâce à une seule incision. À partir de 2010, nous avons travaillé sur les mycoses de poches gutturales, car nous étions face à la problématique suivante : le traitement classique est réalisé sous anesthésie générale et nous avions constaté des difficultés au réveil, nous avons alors travaillé sur une technique permettant de réaliser l’embolisation des artères carotides sur cheval vigile.

Votre activité de praticien est-elle un atout pour la recherche, et vice versa ?

Les études vétérinaires favorisent un caractère tenace, une pugnacité, un apprentissage de l’échec : ce sont de grandes qualités pour travailler dans la recherche. Mais notre activité recherche est aussi un atout pour notre pratique. Nos travaux permettent de donner une légitimité et d’asseoir la réputation de la clinique dans notre activité de référés. Travailler dans la recherche permet aussi d’échanger avec des cliniciens en médecine humaine, souvent bienveillants avec les vétérinaires. Ils nous envient la liberté, source d’innovation, que nous avons pu garder dans la réalisation de nos actes chirurgicaux.

Éric Bomassi (A 95)

Praticien canin spécialisé en cardiologie à Meaux (Seine-et-Marne)

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« Un niveau de compétences élevé »

Mon activité de recherche a débuté lorsque j’ai passé mon diplôme d’études spécialisées vétérinaires de cardiologie qui nécessite de rédiger des articles de recherche clinique. De plus, pour maintenir ce diplôme de spécialiste, une activité de recherche clinique doit être entretenue. Je travaille dans un centre hospitalier vétérinaire qui permet de recruter de nombreux cas, notamment des référés. L’environnement et l’équipement nécessaires aux études sont disponibles et nous avons la possibilité de mettre en place des protocoles pour des études prospectives et rétrospectives. Nous sommes aussi régulièrement sollicités par des laboratoires pour effectuer des essais cliniques. Mon diplôme de vétérinaire me donne la légitimité pour travailler dans la recherche, cependant cette activité nécessite un apprentissage. Un niveau de compétences élevé est indispensable, notamment pour les études cliniques.

Sophie Brouard (N 94)

Directrice de recherche au CNRS à Nantes (Loire-Atlantique)

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« Donner un sens à mes recherches »

Mon double diplôme de vétérinaire et de chercheuse m’aide beaucoup dans mon activité, car j’ai une approche clinique et je relis tout ce que je fais aux patients. Je fais essentiellement de la recherche translationnelle, qui est une application de la recherche fondamentale sur le lit du malade. Je pars des symptômes des patients, de leur douleur notamment, pour aborder la recherche dans l’ensemble du système de l’être humain. J’ai besoin de donner un sens à mes recherches et je m’interroge toujours sur l’avenir qu’elles auront : il est indispensable qu’elles servent concrètement.

Des vétérinaires exerçant dans la recherche fondamentale ou thérapeutique humaine

Derrière certains travaux de recherche ayant conduit à des découvertes fondamentales en médecine humaine, se cachent des vétérinaires.

Gilbert Lenoir (A 68), chercheur au Centre international de recherche sur le Cancer de l'OMS, professeur des universités en faculté de médecine et directeur adjoint de l’Institut Gustave-Roussy de Villejuif, premier centre de lutte contre le cancer, pendant 10 ans. Membre de l’Académie des sciences et de l’Académie vétérinaire.

Jean-Claude Manuguerra (A 86), virologue, directeur de recherches à l’Institut Pasteur, chef de l’unité de recherches et d’expertise "Environnement et risques infectieux" et responsable de la cellule d’intervention biologique d’urgence, membre correspondant de l’Académie vétérinaire de France, président du comité de pilotage du Réseau mondial d’alerte et de riposte aux épidémies de 2011 à 2013, président du groupe d’experts de la cellule de lutte contre la grippe de 2003 à 2013, secrétaire général de la Société française de microbiologie de 1998 à 2001.

Serges Rosolen (A 79), membre de l’Académie vétérinaire de France et de l’Académie nationale de médecine, membre fondateur de la Société française d’études et de recherches en ophtalmologie vétérinaire (SFEROV) et du Réseau européen en ophtalmologie vétérinaire et vision animale. Il est clinicien spécialisé en ophtalmologie vétérinaire (DESV en ophtalmologie) et chercheur associé à l’Institut de la vision.

Sophie Brouard (N 94), directrice de recherches du CNRS au Centre de recherche en transplantation et immunologie. Elle a reçu la médaille de l’innovation du CNRS en 2020.

Éric Leroy (A 90), virologue, spécialiste des zoonoses virales, directeur de recherches au sein d’une UMR à l'université de Montpellier-CNRS-IRD.

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