Les aspirations professionnelles des jeunes praticiens - La Semaine Vétérinaire n° 1920 du 12/11/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1920 du 12/11/2021

DOSSIER

Auteur(s) : Par Chantal Béraud

Dans un contexte fréquent de difficultés de recrutement, quels sont les desiderata des étudiants et jeunes diplômés ? Panorama de leurs attentes et conseils sur la meilleure façon d'« apprivoiser » de potentielles nouvelles recrues.

« Durant les entretiens d’embauche des jeunes vétérinaires auxquels j’assiste, voici les questions qu’ils nous posent en premier : en quoi va consister mon travail ? Ferai-je des week-ends et combien de gardes ? », témoigne Élodie Crestey, l’ASV manager de proximité et membre du plateau technique de chirurgie à AniCura Saint-Roch de La Rochelle (Charente-Maritime). Et d'ajouter : « Ils montrent aussi de l’intérêt sur la façon dont nous gérons les réseaux sociaux et la possibilité de suivre des formations. Ce sont des questions qui intéressent de même beaucoup les nouvelles jeunes ASV. C’est pourquoi je pense que l’on peut effectivement parler d’aspirations générationnelles. »

Clairement, il apparaît qu’une bonne partie des étudiants dès leur sortie d’école aspirent à pouvoir équilibrer vie professionnelle et vie privée, sans passer comme les générations précédentes par une « phase de galère » que nombre de leurs aînés ont, eux, implicitement acceptée comme étant « normale » pour parvenir à s’insérer dans le monde du travail. Dans sa thèse parue fin 2019, Anne Bertoliatti-Fontana a réalisé des enquêtes auprès d’étudiantes et de de femmes vétérinaires qui confirment ce fait. Elle tire les conclusions suivantes : « Majoritairement, les répondantes rejettent l’idée de la profession vétérinaire comme sacerdoce […] L’augmentation de la flexibilité dans les plannings, la facilitation des temps partiels ou la diminution du temps de travail sont des souhaits grandement évoqués […] Une mauvaise conciliation vie professionnelle/vie privée est le premier motif de reconversion de l’effectif. »

La sélection, une partie des solutions ?

Directeur des formations à l’École nationale vétérinaire d’Alfort (ENVA), Henry Chateau rebondit sur ces analyses : « Nous portons bien évidemment attention à ces questions puisque notre rôle est notamment de former de jeunes praticiens libéraux qui correspondent aux besoins du marché. Effectivement, les conflits “générationnels” semblent essentiellement porter sur les horaires, les gardes, les urgences. Ce phénomène se trouve aujourd’hui amplifié en raison de la pénurie de jeunes vétérinaires qui existe dans de nombreux endroits. »

Et de poursuivre sa réflexion : « Pour essayer de mieux faire correspondre les attentes des uns aux aspirations des autres, nous utilisons déjà plusieurs leviers. Le premier réside dans le processus de sélection des étudiants car l’inadéquation entre une projection idéalisée du métier de vétérinaire à l’entrée des écoles et la réalité du terrain peut être source de grandes désillusions. Pour le concours BCPST [biologie, chimie, physique et sciences de la Terre, NDLR], les écoles vétérinaires ont obtenu qu’a minima un entretien de motivation soit mis en place pour que la sélection ne soit pas exclusivement basée sur des critères académiques. » Par ailleurs, l’arrivée, depuis la rentrée 2021, de la nouvelle voie post-bac permet de renforcer cette approche avec l’organisation d’un concours pour lequel les écoles vétérinaires ont la maîtrise totale du processus de sélection. « L’introduction de mini-entretiens multiples permet de mieux appréhender le niveau de maturité des candidats et leur compréhension du métier, avec ses indéniables avantages mais aussi ses difficultés et contraintes, commente Henry Chateau. En bref et de façon un peu caricaturale, il ne suffit plus d’être brillant en mathématiques et de n’avoir comme seule motivation que celle d’aimer les animaux. »

Henry Chateau souligne également « la qualité des échanges » qui ont déjà eu lieu entre ces étudiants nouvellement recrutés par la voie post-bac et un panel de vétérinaires en exercice, invités à discuter avec eux durant la semaine organisée en commun entre les 4 écoles nationales vétérinaires françaises (ENVF) à Limoges, lors de la dernière rentrée scolaire. En effet, malgré leur jeune âge – certains sont encore mineurs –, ces nouveaux étudiants semblaient témoigner, selon lui, « d’un niveau élevé de compréhension des enjeux du métier ».

Une formation axée sur la pratique

Par ailleurs, la formation des étudiants comprend plusieurs autres volets qui ont pour objectif de les habituer progressivement à la réalité des contraintes d’un exercice en clientèle. Dont celle de la permanence et continuité de soins (PCS), qui leur est enseignée très tôt. « Dès la seconde année actuelle, nos élèves ont des astreintes dans les hôpitaux, nuits, week-ends et jours fériés, indique Henry Chateau. Les tâches qui leur y sont demandées et le temps total qu’ils y passent évoluent bien sûr avec leur niveau d’étude mais, dans tous les cas, ces exercices sont bien envisagés comme une préparation à la notion de continuité de soin. Notion qui est donc bien intégrée à leur cursus et qui fait l’objet d’une unité d’enseignement à part entière. » Les stages ont été aussi renforcés : « Durant la première nouvelle année, il y a désormais un stage en clientèle à faire. De plus, dans la nouvelle sixième année, concernant la dominante des animaux de compagnie, il y a un autre stage qui est rendu obligatoire au sein d’une structure de soins de première intention. Enfin, très prochainement, en collaboration avec le SNVEL [Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral, NDLR], nous allons mettre en place une application numérique qui permettra de mettre en relation les étudiants et les cliniques vétérinaires qui proposent justement des stages. »

Un « déficit de confiance » ?

Il n’en demeure pas moins qu’à la sortie des écoles, les jeunes diplômés attendent encore de leurs employeurs « un accompagnement bienveillant en début de carrière », s’accordent à dire tant Henry Chateau que Pierre Sans, directeur de l’École nationale vétérinaire de Toulouse. Cette mise « sous pression » est par ailleurs devenue actuellement plus difficile car chacun s’accorde dans le même temps à reconnaître que la société française est davantage procédurière qu’autrefois, qu’il y a également plus d’exigence et moins de reconnaissance de la part de certains clients. Et les jeunes vétérinaires semblent plus soucieux que leurs aînés des commentaires qu’on laisse sur eux sur les réseaux sociaux. « Certaines situations donnent l’impression qu’ils doutent de leurs capacités, estime Pierre Sans. Même si ce n’est pas spécifique à notre profession, le fait qu’un certain nombre de jeunes diplômés allongent encore leur cursus d’une année ou deux après leur sortie des écoles peut être interprété comme un indicateur de ce déficit de confiance. Vu la durée du cursus vétérinaire, leur entrée sur le marché du travail frôle alors les 30 ans ! Effectivement, à certains d’entre eux, on doit un peu leur dire de “sauter dans la piscine”. »

Plus globalement, les jeunes générations attendent visiblement de leurs premiers employeurs un encadrement sur différentes questions. « Employeurs et jeunes recrues doivent apprendre à se parler, commente Pierre Sans. Tant sur des questions techniques que relationnelles : relations aux clients, aux ASV, etc. Il faut qu’ils puissent évoquer ensemble tous les sujets où le jeune diplômé se sentirait mal à l’aise. Intégrer, rassurer, poser des balises, donner du feed-back à ce que le jeune vit durant son exercice fait assurément désormais partie du rôle de l’employeur. Ce dernier doit aussi dire au jeune quand cela va bien, ce n’est pas implicite ni tacite. Le jeune diplômé osera alors ensuite prendre davantage d’initiatives. » Enfin, il revient à l’employeur d’accepter qu’un jeune qui sort de l’école doive forcément continuer à apprendre, puisqu’il n’est naturellement pas encore parvenu à son maximum de compétences.

D’autres facteurs d’attractivité

Le lieu d’exercice géographique, les possibilités d’évolution et de formation, le niveau de salaire, la possibilité de travailler avec un bon plateau technique, surtout en canine, constituent autant d’autres facteurs d’attractivité qui motivent évidemment les jeunes recrues. À cet égard, il est d’ailleurs intéressant de noter « que les jeunes valorisent aussi beaucoup les bonnes ambiances de travail », remarque Pierre Sans. Une observation que vient d’ailleurs corréler une enquête dernièrement réalisée par le SNVEL en partenariat avec le laboratoire MSD Santé animale auprès de 580 étudiants, de quatrième, cinquième et sixième années plus quelques internes, originaires des quatre ENVF, de la faculté belge de Liège et de l’université roumaine de Cluj-Napoca. Lors de sa présentation au cours d’une table ronde en mars 2021, l’un des participants, Louis Jeanton, étudiant en deuxième année à Alfort, a ainsi affirmé que « pour les étudiants, désormais, la qualité de vie dans la structure l’emporte sur son plateau technique. Les jeunes ont aussi besoin de donner du sens à leur travail, ce qui explique le succès dans l’enquête de problématiques telles que la médecine préventive ou le développement durable. »

ENTRETIEN AVEC UN JEUNE ÉTUDIANT

MAXIME FAUL (25 ans)

Étudiant de A6, à l’École nationale vétérinaire d’Alfort

« Travailler dans un esprit d’amitié serait le top ! »

Quels seraient vos critères pour choisir une clinique ?

Avant tout, je voudrais une bonne ambiance de travail. J’entends par cela un endroit où l’on n’est pas constamment dans le reproche et ou bien au contraire on cherche même à se fréquenter parfois en dehors du cadre du travail. Pour passer notamment de temps en temps un repas ensemble. Je ne suis en effet pas particulièrement favorable à une coupure complète entre vie privée et vie professionnelle. Oui, décidément, j’aimerais même pouvoir partager des moments d’amitié avec mes collègues. Car quand on s’apprécie, cela ne peut être que bénéfique pour l’ambiance de travail, non ?

Quels seraient les autres points importants pour vous ?

J’aimerais exercer au minimum dans une structure de taille moyenne, comportant six ou sept vétérinaires. Le top serait que l’équipe soit plurigénérationnelle, mais ce n’est pas un impératif du tout. D’un point de vue social et moral, j’aurais du mal à travailler en solo, même si d’autres préfèrent exercer ainsi. Car pour le travail en lui-même, j’espère avoir des consœurs ou des confrères experts dans un ou plusieurs domaines capables de me faire progresser. Enfin, le niveau de salaire a aussi pour moi de l’importance même si c’est largement secondaire par rapport aux points précédents. C’est vrai qu’il est un peu singulier de se dire qu’un vétérinaire débutant gagne moins, en taux horaire bien sûr, qu’un étudiant de première année qui donne des cours particuliers à des lycéens !

On dit que votre génération adore se former, qu’en pensez-vous ?

Je pense que c’est vrai. Je ne sais pas si « les anciens » aiment moins se former mais je pense que les possibilités de formation et de spécialisation étaient bien moins présentes et nombreuses qu’aujourd’hui. C’est cette diversité et ce nombre de formations existantes qui incitent une importante partie des vétérinaires débutants à vouloir se former davantage. À l’école, on a souvent ce sentiment de ne connaître qu’une infime partie des connaissances existantes dans chaque domaine. Et quand on a soif d’apprendre, on a toujours envie d’aller plus loin et d’approfondir les choses.

Quel est votre souhait d’orientation ?

J’aimerais pouvoir pousser ma formation dans un ou plusieurs domaines. J’envisage donc de faire d’abord un internat. J’adore la chirurgie, être au bloc opératoire. C’est pourquoi je m’imaginais postuler pour un poste d’assistant en chirurgie avant – si j’en ai la chance – pourquoi pas d’envisager une spécialisation en chirurgie canine. Toutefois, actuellement, je me découvre de plus en plus de passions pour d’autres disciplines, comme la médecine interne ! J’ai donc besoin d’un peu de temps avant de trancher, même si je penche toujours pour la chirurgie.

Les étudiants de votre promotion s’intéressent-ils à la rurale ?

Oui. On dit même de nous que nous formons une promotion de sixième année un peu « atypique », car une partie importante d’entre nous a choisi un approfondissement en bovine.

CYRILLE NICOLAS

Directeur adjoint à AniCura LorraineVet, à Ludres (Meurthe-et-Moselle)

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Le recrutement : un vrai challenge !

Une partie de mon travail concerne le recrutement de jeunes recrues vétérinaires. Dès 25 ans, l’objectif est effectivement de pouvoir équilibrer vie professionnelle et vie personnelle. Durant les entretiens, nous jouons donc sur des facteurs d’attractivité tels que l’organisation des plannings, l’accompagnement de nos équipes, l’attractivité de notre zone géographique, la mise à disposition de logements ou encore les possibilités futures de formations en interne et au sein du réseau AniCura. Mais il reste vrai que nous avons temporairement dû fermer notre service d’urgence d’avril à début septembre, le temps de recruter trois nouveaux urgentistes ! Nous sommes d’ailleurs toujours à la recherche d’un ou d'une quatrième urgentiste afin de renforcer l’équipe.

ÉLODIE CRESTEY

ASV du plateau chirurgie et manager de proximité à AniCura Saint-Roch, à La Rochelle (Charente-Maritime).

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Les jeunes ont soif d’apprendre

Pour devenir manager de proximité de l’équipe des ASV, j’ai notamment suivi une formation en management concernant les nouvelles générations. Depuis environ dix ans, j’observe que les nouvelles jeunes ASV préfèrent dorénavant souvent se spécialiser d’un point de vue technique (en chirurgie ou ailleurs), alors que dans ma génération – j’ai 35 ans – nous souhaitions souvent à l’inverse plutôt être polyvalentes. Du coup, la possibilité de se former, même à distance (lors de webinaires ou en e-learning), est un véritable atout pour les recruter, et également pour les garder ! Ainsi, une de nos ASV est en train de se former en physiothérapie. C’est un très bon élément que nous ne voulions pas voir partir et nous projetons prochainement d’ouvrir ce nouveau service à la clinique. Du côté des jeunes recrues vétérinaires, j’observe ce même désir de continuer à apprendre sans cesse. Dès qu'un objectif est atteint, il faut leur en fixer un autre. Oui, et c’est normal, les jeunes ne sont pas identiques à leurs aînés. C’est pourquoi il ne faut pas les « aborder » de la même façon que des professionnels plus âgés du point de vue du management.

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