LE PRINCIPE DU PERDANT/PERDANT - La Semaine Vétérinaire n° 1920 du 12/11/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1920 du 12/11/2021

Jurisprudence

ENTREPRISE

Auteur(s) : Par Christian Diaz

Un récent jugement illustre parfaitement le risque judiciaire et une suite de décisions qui ne profitent à personne.

FAITS

Mme E., éleveuse, vend à M. A., acheteur, un chiot de race bouledogue français pour la somme de 1 800 euros en avril 2018. Le certificat vétérinaire avant cession ne mentionne pas d’anomalie apparente.

En septembre 2018, le chiot souffrant de troubles digestifs récurrents, il est examiné dans un centre hospitalier vétérinaire. Lors de l’anesthésie pour la fibroscopie, le spécialiste constate un syndrome obstructif respiratoire des brachycéphales (SORB), susceptible de justifier une intervention chirurgicale. Le vendeur accepte de participer aux frais chirurgicaux à condition que le chien soit réellement opéré (principe du préjudice certain).

L’acheteur, ne désirant pas faire opérer son chien, mais faire payer le vendeur, l’assigne en avril 2019. Par suite de renvois successifs, l’affaire n’est audiencée qu’en avril 2021. Pendant ce temps, le chien voit une multitude de spécialistes, subit une castration et de multiples examens sous anesthésie, mais sans traitement chirurgical du SORB. Les parties, au fil des résultats des consultations, sollicitent de nombreux experts chargés de donner un avis sur pièces, leurs contradictions ajoutant à la confusion. Il est utile de rappeler la conclusion des derniers spécialistes consultés en mars 2021 : « troubles respiratoires modérés (…), troubles digestifs quasiment absents ce jour sous traitement médical ».

RÉCLAMATION

L’acheteur réclame au vendeur : la réduction du prix du chien, conservé par l’acheteur (1 200 euros) ; les frais médicaux et chirurgicaux effectivement payés (4 957 euros) ; un préjudice moral (3 000 euros) ; et la somme hallucinante – pudiquement qualifiée d’inusitée par le juge – de 14 500 euros pour les honoraires de l’avocat et des experts (article 700). Soit un total de 23 657 euros.

JUGEMENT

Le juge écarte les avis contradictoires des experts, ne s’appuie que sur les consultations des vétérinaires ayant examiné le chien et en déduit un défaut de conformité ouvrant droit à garantie en vertu des dispositions du code de la consommation. En conséquence, il accorde une réduction de prix de 1 200 euros et non le remboursement des soins, l’acheteur ayant opté pour la première alternative.

Compte tenu de la publicité du vendeur sur la bonne santé de ses produits, le juge fait droit à la demande de 3 000 euros de dommages et intérêts pour préjudice moral et trouble de jouissance « d’un chien gravement malade », qualificatif discutable eu égard aux dernières consultations spécialisées.

Concernant l’article 700, le juge conclut qu’il n’est pas équitable de mettre à la charge du vendeur des frais excessifs d’avocat et d’experts, l‘enlisement des débats relevant des choix de la partie demanderesse, peu compréhensibles eu égard à la stabilité de l’état du chien. Il accorde cependant la somme de 2 500 euros, déjà très importante en première instance, ce que ne peut ignorer l’avocat.

BILAN

Les parties ont renoncé à faire appel, usées par la procédure. L’analyse du jugement met en évidence des perdants et un seul véritable gagnant, dont la prestation intellectuelle a été rémunérée à hauteur de 13 000 euros.

Le chien est bien entendu la première victime de la frénésie procédurière de la partie demanderesse, l’un des experts ayant évoqué la notion de maltraitance. Le vendeur, partie perdante au procès, perd environ 10 000 euros, incluant les frais d’avocat, d’experts et les dépens. L’acheteur, pourtant gagnant au procès, perd en réalité beaucoup plus que 10 000 euros, le juge n’ayant pas imputé à la partie perdante les soins et la totalité des honoraires payés par le demandeur aux experts et à son avocat, seul vainqueur financier du match. Rappelons que le vendeur avait proposé de participer à l’intervention chirurgicale, si elle était nécessaire.

Ce jugement illustre le malaise de la justice qui se conclut trop souvent par un résultat perdant/perdant au mépris de l’équité, qui constitue une des raisons, mais pas la seule, de la perte de confiance dans l’autorité judiciaire et du recours grandissant aux modes alternatifs de règlement des conflits, dont l’arbitrage par un juge privé choisi par les parties.

Ces réclamations hors de proportion avec l’objet du litige, accueillies favorablement par des magistrats ouvertement proconsommateurs, au risque de mettre en péril la survie économique des professionnels, sont également une des raisons de la suppression de la garantie de conformité dans les ventes d’animaux domestiques à compter du 1er janvier 20221.

  • Source : Tribunal judiciaire de Brive du 4 juin 2021
  • 1. Lire l'article “Les animaux bientôt « non conformes »” de ce numéro.
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