La responsabilité éthique de la profession vétérinaire - La Semaine Vétérinaire n° 1919 du 05/11/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1919 du 05/11/2021

Comité d’éthique Animal, environnement, santé

ANALYSE GENERALE

Auteur(s) : Par Tanit Halfon

Le Comité d’éthique créé par l’Ordre des vétérinaires poursuit son travail avec deux nouveaux avis, dévoilés lors d’une conférence de presse le 28 octobre. Il donne ainsi aux praticiens, et à la profession dans son ensemble, des orientations sur la médecine vétérinaire solidaire et sur les limites des soins. Avec en toile de fond, l’intérêt de l’animal, qui reste central.

« La médecine vétérinaire n’est pas la médecine humaine », a déclaré Jacques Guérin, président du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires (Cnov), en préambule de la présentation des nouveaux avis du Comité d’éthique animal, environnement, santé, lors d’une conférence de presse le 28 octobre 2021, à Paris. Mais comme pour elle, les questions éthiques y sont prégnantes. Les deux derniers avis du Comité se proposent d’analyser les questions de la médecine vétérinaire solidaire et des limites des soins vétérinaires. « La profession vétérinaire commettrait une erreur d’interprétation majeure si elle se mettait en situation d’exclure une partie de la population de l’accès aux soins vétérinaires, a affirmé le président du Cnov dans son introduction. Il s’agit d’un enjeu de santé globale. » De plus, l’animal de compagnie est désormais considéré comme un membre de la famille, quand en parallèle « la technique médicale n’est plus ou est moins un élément limitant. Cette nouvelle relation à l’animal est une évolution sociétale indéniable, il convient de s’en féliciter mais il convient aussi d’assumer en posant les repères éthiques indispensables pour canaliser les demandes des détenteurs, voire canaliser les extravagances », a-t-il souligné.

Une évidence de principe

Pour la médecine solidaire, Louis Schweitzer, le président du Comité, a souligné que l’activité vétérinaire était plus qu’une profession de services. Elle revêt à la fois « un caractère responsable et social. Les vétérinaires ne sont pas seulement des commerçants, l’objectif n’est pas que gagner de l’argent », a-t-il insisté. En effet, l’animal a « une utilité sociale indéniable », ce qui fait de la médecine vétérinaire solidaire un enjeu éthique et de justice sociale. Pour le Comité, la médecine solidaire apparaît donc comme « une évidence de principe mais c’est aussi une réalité factuelle », puisque les vétérinaires en font tous les jours, de manière individuelle ou collective. La médecine vétérinaire solidaire relève, de plus, forcément du modèle de l’assistance, étant non concevable aujourd’hui de disposer d’un système obligatoire d’assurance collective. Cet avis concerne uniquement les animaux de compagnie et de compétition, les contraintes économiques étant intrinsèquement liées à la médecine des animaux de rente. Pour le praticien, Louis Schweitzer a souligné l’importance du dialogue, entre le propriétaire, qui reste le décideur ultime de la décision, et le vétérinaire, qui apparaît comme son conseiller éclairé. Ce dernier peut passer en revue une liste de questions pour faciliter sa prise de décision pour une médecine solidaire : ces soins permettront-ils d’améliorer la vie de l’animal à long terme ? Cette pratique solidaire pourrait-elle compromettre l’équilibre économique de ma structure ? Si je suis salarié, y a-t-il accord sur ma pratique solidaire ?

Définir un cadre 

La prise de décision, aussi réfléchie soit-elle, n’est rien sans des actes médicaux aussi consciencieux que pour des soins non solidaires. Toutefois, un acte solidaire pourra amener à exclure certaines techniques, et à privilégier celles de moindre technicité, et donc de moindre coût : « La probité et la conscience professionnelle conduisent normalement, dans des situations difficiles, à ne pas utiliser des soins aux coûts les plus élevés. » En outre, le praticien ne doit pas déroger au secret professionnel, sauf si consentement des propriétaires. Au-delà des pratiques individuelles, le Comité a listé les principes qu’il juge nécessaire pour construire un dispositif de médecine solidaire. Le premier est que chacun est libre de faire, ou de ne pas faire, de la médecine solidaire. Déjà évoquée, la qualité des soins solidaires n’est pas secondaire, avec des soins toujours orientés vers le bien-être animal. L’enjeu est aussi d’être le plus objectif possible sur les critères d’acceptation pour la prise en charge des soins. Le dialogue est de plus primordial pour bien expliquer les limites de la prise en charge solidaire, qui pourra être une réduction des coûts dans certains cas, voire aller jusqu’à la gratuité pour d’autres. Pour le Comité, il s’agirait de pouvoir lister les actes éligibles à une prise en charge, pour avoir un « consentement éclairé encadré ». Enfin, la prévention reste un outil central de solidarité, car « prévenir, c’est moins cher que guérir », comme l’a formulé Louis Schweitzer. La vaccination et la stérilisation apparaissent ainsi pour le Comité comme deux axes majeurs de travail pour un dispositif de médecine solidaire.

L’intérêt de l’animal « prépondérant »

« Tout ce qui est médicalement ou techniquement faisable doit-il être fait, y compris lorsqu’il s’agit d’éviter la mort à un animal ? », interroge le second avis, qui se limite, encore, aux animaux de compagnie et de compétition. Cet avis analyse deux sujets : d’une part, celui de l’acharnement thérapeutique ; d’autre part, celui des pratiques vétérinaires innovantes et très coûteuses, comme la greffe d’organe. Pour le Comité, les aspects financiers n’entrent pas en jeu pour répondre à la question posée : « Si le propriétaire souhaite soigner un animal avec une thérapeutique coûteuse, ce n’est pas un sujet. De plus, nous disons qu’il n’y a pas conflit entre les soins donnés aux animaux et ceux donnés aux humains. » Si dans le triptyque vétérinaire-détenteur-animal, le détenteur reste le décideur ultime, le Comité souligne bien que l’intérêt de l’animal « doit être prépondérant ». « Souvent l'intérêt affectif du propriétaire peut le conduire à ignorer l’intérêt de l’animal. C’est le cas de l’acharnement thérapeutique, c’est le cas de certaines pratiques chirurgicales douloureuses, a précisé Louis Schweitzer. Le vétérinaire doit mesurer l’espérance de vie en bonne santé, gagnée grâce à ces soins. Si ce n’est pas le cas, il doit les déconseiller. » Cela vaut aussi pour l’animal de sport, qui ne devrait pas faire l’objet de pratiques ayant un effet négatif sur son bien-être. Dans cette optique, le dialogue avec le détenteur de l’animal est central, pour bien expliquer tous les contours de la question, que ce soit les incertitudes, les risques de complication et les conséquences sur les conditions de vie pour l’animal. Il y a aussi le cas particulier de la transplantation d’organe, notamment de la greffe rénale. Cette greffe implique de prendre en considération les intérêts de deux animaux : le donneur et le receveur. Si pour ce dernier, la greffe permet d’améliorer sa vie, ce n’est pas acquis pour le donneur.

Une réflexion collective

Pour le Comité, aussi délicate cette question soit-elle, la pratique n’est toutefois pas à écarter. Sa recommandation est de fixer un cadre déontologique sur la transplantation d’organe en médecine vétérinaire, mais aussi un cadre technique en définissant des normes minimales à respecter pour les structures qui souhaitent pratiquer ce genre d’intervention. L’appel du Comité a déjà été entendu par l’Ordre qui a annoncé, lors de la conférence de presse, entamer une réflexion sur ce cadre, l’objectif étant d’aboutir à des recommandations applicables sur le terrain. L’Ordre a également confirmé avoir acté la création d’un conseil éthique de la médecine vétérinaire, comme cela avait été recommandé dans l’avis sur l’euthanasie1, et aussi dans le présent avis sur les limites des soins vétérinaires. Son objectif sera d’aider les praticiens dans leur prise de décision, face à une situation complexe, qu’elle concerne une euthanasie ou une greffe d’organe. À ce stade, rien n’a cependant encore été décidé quant à la composition de ce conseil. Le praticien ne doit pas uniquement compter sur l’Ordre, mais aussi sur ses confrères et consœurs. « Être seul face au problème, c’est toujours une difficulté supplémentaire », a déclaré Louis Schweitzer, la réflexion collective devant être ainsi menée au sein de chaque établissement de soins.

Une obligation déontologique de soins

Face à une situation d’urgence, le Comité rappelle que le praticien a l’obligation déontologique de prodiguer des soins pour soulager un animal en souffrance, ou de prendre en charge un animal présentant un danger pour la santé publique. Autrement dit : on ne demande pas des garanties de paiement avant de prodiguer les premiers soins d’urgence. Le Comité indique aussi dans son avis qu’en cas « d’impossibilité totale de prise en charge de toutes les alternatives thérapeutiques par le propriétaire, le Comité d’éthique conseille au vétérinaire de prendre à sa charge le coût des soins en cas de danger pour la santé publique ou de souffrance de l’animal, qu’il s’agisse de soins ou d’accompagnement vers la fin de vie de l’animal ».

Viser plus haut

Pour le Comité, la question animale doit aller bien au-delà de la profession. Dans l’avis sur les limites des soins vétérinaires, il appelle à nommer un défenseur du droit aux animaux, ou un délégué interministériel à la protection animale, dont le rôle serait de coordonner les politiques publiques en faveur de la condition animale. Ce délégué pourrait aussi siéger au conseil éthique prévu par l’Ordre.

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