Les ISPV, entre malaise et espoir - La Semaine Vétérinaire n° 1918 du 29/10/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1918 du 29/10/2021

Santé publique vétérinaire

ANALYSE GENERALE

Auteur(s) : Par Tanit Halfon

La dernière assemblée générale du Syndicat national des inspecteurs en santé publique vétérinaire, organisée les 30 septembre et 1er octobre à Tours, a été l’occasion d’exprimer les inquiétudes et revendications pour ce corps de métier qui souffre toujours d’un manque d’effectifs et de reconnaissance.

La santé publique vétérinaire fait face à un manque d’effectifs également du côté des services de l’État. Un constat rappelé lors de l’assemblée générale du Syndicat national des inspecteurs en santé publique vétérinaire (SNISPV) les 30 septembre et 1er octobre 2021 à Tours. Même s’il n’y a pas eu de baisse globale d’effectifs ces dernières années, et même une hausse pour les besoins du Brexit et la création de la force d’intervention en abattoir, « nous sommes toujours dans une insuffisance criante de moyens humains, plus que de moyens budgétaires », a affirmé Olivier Lapôtre, président du Syndicat, face à Bruno Ferreira, directeur général de l’alimentation au ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation (DGAL). Avec à la clé, le risque de fragiliser les missions régaliennes. Ce manque d’effectifs concerne aussi l’administration centrale : « Dans les SRAL, [services régionaux de l’Alimentation, NDLR], ou à la DGAL, des collègues sont aussi au bord de la rupture. »

Le recrutement des contractuels est de plus en plus difficile, en particulier en abattoir où, selon le Syndicat, la rémunération – environ 2 500 euros – est largement insuffisante pour attirer les candidats, eu égard aux responsabilités et aux risques potentiellement pénaux encourus. Le manque d'effectifs en abattoir devient un problème majeur dans plusieurs départements.

Une financiarisation qui pose question

En matière d’effectifs, les ISPV ont aussi besoin de l’appui des vétérinaires sanitaires ruraux. Mais l’évolution des modèles économiques des structures pourrait le mettre à mal. « Depuis peu, nous sommes confrontés à l’irruption de groupes financiers, qui arrivent à proposer trois fois le prix du chiffre d’affaires pour racheter des clientèles. Pour rentabiliser leur investissement, ils recentrent leur activité et arrêtent la rurale. On m’a signalé des vétérinaires réquisitionnés pour certaines missions de prophylaxie », a expliqué Olivier Lapôtre. Il s’agit aussi d’une question de protection animale. Selon lui, un risque à terme pourrait être que l’État ait à assumer, pour certaines zones défavorisées, la gestion des soins aux animaux de rente. Cette question est complexe comme l’a souligné Bruno Ferreira : « Effectivement, des sociétés dont le métier principal est de vendre de l’alimentation, et qui prennent des parts importantes, posent un vrai problème. On est dans une situation précontentieuse au niveau européen, car ces sociétés ont pré-attaqué la France pour faire évoluer notre droit. La position est difficile à tenir, même vis-à-vis de la Commission européenne ou au niveau interministériel, ce n’est pas acquis. »

Une réorganisation des services publics préoccupante

D’autres difficultés ont été évoquées, en particulier les conséquences de la réorganisation des directions départementales interministérielles (DDI). Avec le décret no 2020-99, les services déconcentrés ont perdu leurs fonctions supports en interne, au profit de secrétariats généraux communs départementaux. À cela s’ajoutent les fusions des services déconcentrés : un premier volet avait eu lieu en 2010 dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, entraînant la création des directions départementales de la protection des populations (DDPP) et, dans les départements les moins peuplés, des directions départementales de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP). Dans ces dernières, les regroupements de services sont plus importants aboutissant à davantage de missions et de personnel à gérer pour les directeurs. Au 1er avril 2021, une fusion supplémentaire a été faite entre les DDCSPP et d’autres unités pour former les directions départementales de l’emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations (DDETSPP). « Avec ce départ des personnels administratifs des fonctions supports et la recentralisation des services autour des préfets, les cadres ISPV bénéficient d’un appui moindre de leur directeur, et surtout en matière de fonctions supports (…) Dans une majorité de départements, nos collègues estiment qu’il y a une baisse de services. Sera-t-elle transitoire ? », s’est interrogé Olivier Lapôtre. Plusieurs témoignages de l’auditoire abondent dans ce sens, de chefs de service, de DDPP comme de DDETSPP, décrivant des procédures allongées, des tâches supplémentaires, un éloignement entre services déconcentrés et ministère, etc. « Tout est compliqué », a résumé une cheffe de service de DDETSPP.

Se recentrer sur l’essentiel

Comment améliorer la situation ? Pour Bruno Ferreira, il s’agirait de réussir à travailler autrement et se recentrer sur des sujets à fort enjeu. C’est toute l’ambition du nouveau plan stratégique de la DGAL. Sa mise en oeuvre fait l’objet de deux groupes de travail pilotés par des agents des services déconcentrés. Seulement 13 agents sont engagés dans ces actions, et le directeur général appelle à davantage s’y investir, la finalité étant « de gagner du temps sur le reste, d'être plus efficace globalement et de revenir à l’essentiel ». S’il reconnaît des difficultés avec les secrétaires généraux, il a souligné le fait que la réforme était récente : « Il faut laisser du temps pour voir la montée en compétences. » Pour les abattoirs, des discussions sont en cours avec le secrétaire général pour avancer sur le dossier.

De manière plus globale, l’amélioration des politiques publiques passe aussi par le One Health, a-t-il rappelé. « Quand il a fallu abattre des visons d’élevage, on a été confronté à une absence de base réglementaire face à un pathogène pour la santé humaine qui touche un animal, a-t-il cité en exemple. On a un vrai chantier législatif, réglementaire pour avoir cette gestion globale (…) On a une obligation d’avancer sur le sujet et d’assurer la continuité de l’action publique au bénéfice de la santé publique globale. » Le nouveau plan stratégique prend en compte l’approche transversale du One Health.

Repositionner le corps des ISPV

Au-delà des enjeux opérationnels pour l’efficacité des politiques publiques et le bien-être des agents, il y a aussi des enjeux inhérents au corps professionnel en tant que tel. Quel avenir pour le corps ? Pour Jean-Luc Angot, le chef de corps, le contexte de la réforme de la haute fonction publique est une opportunité à saisir pour valoriser les parcours de carrière des vétérinaires de l’administration. « Nous avons fait acte de candidature pour être dans le corps des administrateurs de l’État », a-t-il indiqué. L’objectif visé serait, pour ceux qui le souhaitent, d’accéder à des postes de hauts dirigeants de l’État, pas forcément dans le secteur vétérinaire. Ce repositionnement ne se fait pas sans difficulté et nécessite un travail permanent de lobbying. Dans ce contexte, l’École nationale des services vétérinaires (ENSV) a été retenue pour élaborer, en collaboration avec d’autres grandes écoles, un module de formation du tronc commun de formation pour l’Institut national du service public (INSP) – qui remplacera au 1er janvier 2022 l’École nationale d’administration (ENA) – sur la thématique « Rapports à la science ». Ce tronc commun sera suivi par les élèves de plusieurs écoles de service public, dont ceux de l’INSP donc, mais également ceux de l’ENSV.

Pour aller plus loin : http://www.bit.ly/2YNz6Uo

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