Un plan qui serre la vis - La Semaine Vétérinaire n° 1914 du 01/10/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1914 du 01/10/2021

IAHP

ANALYSE MIXTE

Auteur(s) : Par Tanit Halfon

Validée en juillet dernier, la feuille de route Influenza aviaire du ministère de l’Agriculture a été analysée le 17 septembre lors d’une matinée de conférences organisée par l’Association mondiale vétérinaire d’aviculture. Au centre des discussions, la suppression des dérogations à la claustration en période à risque.

Anticiper, prévenir, adapter. Ce sont les trois grands axes de progrès de la nouvelle feuille de route Influenza aviaire, rendue publique cet été1, et décryptée le 17 septembre dernier lors d’une matinée de conférences organisée par le groupe français de l’Association mondiale vétérinaire d’aviculture (AMVA-WVPA). À l’image du processus de coconstruction mis en œuvre pour son élaboration2, Francis Geiger, inspecteur général de santé publique vétérinaire (ISPV) et coordinateur national de la feuille de route, et Maxime Quentin, directeur scientifique adjoint à l’Institut technique des filières avicole, cunicole et piscicole (Itavi), ont détaillé ensemble les points clés à retenir. Premier d’entre eux : l’urgence de supprimer les dérogations à la claustration. « Vous mettrez à l’abri quand il sera temps, et suivant votre espèce, type et mode d’élevage », a souligné Francis Geiger. En ce qui concerne le « quand », il s’agit d’être prêt à une mise à l’abri dès cet automne 2021 pour la période à risque définie du 15 novembre au 15 mars (son obligation dépendra du niveau de risque épizootique). Quant au « comment », toutes les situations d’élevage rencontrées sur le terrain ont été listées et associées à des conditions spécifiques de mise à l’abri.

Précision et pragmatisme

Du côté des palmipèdes, trois cas de figure sont pris en compte dans la feuille de route : pour les bâtiments fermés, la mise à l’abri est à prévoir dès la 5e semaine d’âge avec une densité de 6 animaux par m2 au maximum. Pour les exploitations avec abris légers fermés par grillage ou filet, les conditions idéales de ventilation n’étant pas possibles, la densité passe à 4 animaux par m2 au maximum. Pour les palmipèdes des circuits courts autarciques, la solution se veut pragmatique : « La mise à l’abri y est extrêmement complexe, le parcours réduit a été toléré sur une petite surface avec un minimum d’animaux. Même si c’est une immense discussion, il faut aussi savoir être pragmatique parfois. Les productions les plus organisées se sont mises en ligne de la mise à l’abri. Dans les circuits courts autarciques, qui peut-être sont moins sensibles ou ont un risque de diffusion plus faible, nous avons accepté une certaine forme de dérogation », a indiqué Maxime Quentin. Tolérance aussi pour un parcours réduit en plein air pour les pintades et dindes en petit bâtiment (<120 m2), et les gallinacés sous labels ou élevages bio, eu égard à leur moindre sensibilité au virus, et sur la base d’une autorisation pour des motifs de bien-être animal. Si ces conditions de mise à l’abri ont fait l’objet d’un consensus, plusieurs professionnels ont émis des réserves, notamment sur les filets.

Adapter la production

La Confédération paysanne et le Mouvement de défense des exploitants familiaux (Modef) sont plus critiques : dans une note associée à la feuille de route, ils prônent une analyse de risque au cas par cas, une prise en compte des besoins physiologiques des volailles pour les réductions de parcours et une reconnaissance d’autres solutions en plus du filet comme l’agroforesterie, les cultures protectrices, les effaroucheurs. Pour eux, « les mesures qui visent la suppression de la dérogation sont disproportionnées », car d’autres facteurs sont aussi impliqués dans la crise, les transports et la densité. Cette densité, et plus précisément sa baisse, est un autre axe fort de la feuille de route. L’exemple de la zone de production de la Chalosse dans les Landes, dans laquelle l’épizootie a flambé avec ses élevages situés côte à côte, a bien montré qu’il n’était plus tenable de conserver autant d’animaux sur un territoire donné, en période à risque. Cette problématique de maillage « a été un élément très discuté, a indiqué Maxime Quentin. Discutable aussi parce que sur le plan scientifique, on ne dispose pas encore d’éléments factuels qui permettent de définir un seuil d’élevages maximal à ne pas dépasser en période à risque. » Si ce seuil est en cours d’investigation par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), d’autres leviers permettent déjà de diminuer la densité d’animaux par atelier. « La mise à l’abri en elle-même est une réduction de densité, puisqu’elle va conduire à une perte de production de l’ordre de 30 à 40 % », a précisé Maxime Quentin. Il a été aussi acté une augmentation de la période de vide sanitaire pour les palmipèdes dans certaines zones, ce qui correspond à une réduction de la production de 5 %.

Des conséquences pour la filière

Mettre à l’abri et dédensifier les zones de production en période à risque impliquent d’adapter les calendriers de production pour anticiper la mise à l’abri des animaux, et ce très précocement : un exemple type de production de canards montre que les animaux rentrés en juillet sont susceptibles d’être mis à l’abri le 15 novembre. Voire plus tôt, étant donné les récentes, et très précoces, confirmations de deux foyers domestiques d’IAHP sur le territoire : un foyer a été confirmé le 9 septembre 2021 dans les Ardennes et un autre le 15 septembre dans l’Aisne. Tous ces ajustements de la production sont lourds de conséquences pour les filières. La réduction des densités d’animaux par atelier diminue de facto la production, et donc les revenus pour les producteurs, ce qui soulève la question de la durabilité des systèmes. Des investissements sont aussi nécessaires. « Pour les organisations de production, cela est une vraie remise en cause du fonctionnement de leurs ateliers, a souligné Maxime Quentin. Ainsi, un éleveur gaveur autarcique en circuit court, s’il veut produire de manière cohérente pendant cette période à risque, va avoir besoin d’investissements et d’une très forte réorganisation de sa structure, avec des moyens qu’il n’a pas dans la grande majorité des cas, et parfois la question peut se poser de totalement arrêter ce qui pourrait être malheureusement le cas pour un certain nombre. » Une désaisonnalité de la production pourrait toutefois être envisagée pour certains produits, notamment le foie gras, « mais c’est absolument impossible sur la volaille de chair, qui est un produit frais et qui doit être vendu le lendemain de son abattage ». Dans cette optique, sur le temps plus long, une réflexion devra être absolument engagée sur l’installation des futurs éleveurs.

Affiner l’analyse du risque de diffusion

Deux autres mesures « phares » sont à retenir. D’une part, l’obligation de télédéclarer et transmettre les données d’élevage et de mouvements de toutes les volailles. Pour faciliter les choses, il est prévu une base de données unique à échéance 2024. D’autre part, la définition de zones à risque de diffusion (ZRD). Ces zones sont à distinguer des zones à risque particulier (ZRP) lesquelles appréhendent le risque d’introduction du virus dans un territoire donné. En se basant sur les données de l’épizootie de 2016-2017 et 2020-2021, une équipe de chercheurs de la chaire biosécurité de l’ENVT en a caractérisé deux, une zone dans le Sud-Ouest (Chalosse) et l’autre dans les Pays de la Loire. Dans ces ZRD, « les modalités de production en période à risque seront adaptées, l’objectif étant de diminuer la densité d’animaux », a expliqué Francis Geiger. Cela passe par une diminution du nombre de lots en période à risque (accord interprofessionnel) et à une augmentation du vide sanitaire à un minimum de 3 semaines du 15 octobre au 15 février (et 2 semaines minimum sur le reste de l’année). Autre particularité pour les ZRD : un renforcement spécifique des mesures de biosécurité pendant la période à risque.

La définition des ZRD, et les mesures spécifiques associées, tout comme les nouvelles conditions générales de mise à l’abri en période à risque, sont deux mesures urgentes à appliquer dès maintenant. De plus, les indemnisations seront conditionnées au respect des mesures prescrites par la réglementation. En parallèle, d’autres mesures complémentaires liées à la biosécurité seront à mettre en œuvre sur le plus long terme : l’obligation de réaliser des audits annuels de biosécurité, une formation continue des éleveurs à l’observance des règles, l’application des règles à tous les maillons de la chaîne et des contrôles de second niveau par les services vétérinaires. Enfin, une réflexion est engagée sur la vaccination et un rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) est attendue à ce sujet.

Les vétérinaires alertent

Attention, les vétérinaires praticiens du secteur sont en surcharge et il y a un réel risque de saturation et d’implosion du système de surveillance sanitaire, a averti François Landais, vétérinaire praticien à Arzacq-Arraziguet, dans les Pyrénées-Atlantiques, lors de cette matinée de conférences. « La gestion de cette crise hors normes a été tenue à bout de bras par une dizaine de vétérinaires sanitaires, de deux cabinets », a-t-il souligné, parlant d’un afflux massif de tâches ingrates, répétitives et tournées exclusivement vers la crise, quand en parallèle, il fallait bien continuer le reste de l’activité du cabinet. Ces tâches se sont présentées par vagues à partir du mois de décembre et se sont étalées sur 8 à 10 mois. Pour illustrer leur profonde difficulté, il a égrené quelques chiffres : 947 visites et environ 40 000 écouvillons pour la gestion des laissez-passer sanitaires, 241 visites et environ 25 000 écouvillons pour la levée des arrêtés préfectoraux de mise sous surveillance (APMS) des anciens foyers, etc. Le travail d’un vétérinaire de son cabinet pendant cette crise a représenté 50 000 km, 14 000 écouvillons, 450 inspections cliniques, 23 suspicions cliniques et 22 volailles euthanasiées. À ses côtés, un confrère, Benoît Sraka, exerçant à Challans, en Vendée, a aussi mis en avant cette surcharge de travail : dans son secteur, un seul élevage touché a engendré 43 visites, 1 531 km dont 720 pour le dépôt des prélèvements aux laboratoires départementaux, 2 820 écouvillons, etc. « Est-ce un effort surhumain ou inhumain ? À mon avis, ça va très vite devenir inhumain si ça se doit se répéter de manière régulière, a alerté François Landais. Cela pose la question de la viabilité des structures vétérinaires et donc du maillage, avec un problème d’attractivité qu’on risque d’avoir (…) Je m’inquiète pour le maillage sanitaire dans le Sud-Ouest. Je souhaite fortement que l’hiver prochain se passe de manière plus paisible, même si les éléments dont on dispose sont franchement préoccupants. Et j’espère que les éleveurs auront pris conscience qu’il ne faut pas s’attendre à d’autres miracles que ceux qu’ils seront capables de faire dans leur élevage, à la mesure de ce qui a été fait dans la filière jusqu’à présent. »

  • 2. Six groupes de travail réunissaient professionnels, scientifiques, représentants de l’État.
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