La cancérologie vétérinaire en pleine mutation - La Semaine Vétérinaire n° 1914 du 01/10/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1914 du 01/10/2021

DOSSIER

Auteur(s) : Par Amandine Clément

L’oncologie vétérinaire ne se résume plus aujourd’hui aux seules chirurgie et chimiothérapie. Elle bénéficie de nombreux progrès techniques et médicaux et les spécialistes, rares hier, sont désormais plus nombreux dans l’Hexagone, faisant évoluer la discipline. Aperçu non exhaustif des actualités et nouvelles pistes de traitement.

Chez l’humain, la pince du crabe intensifie sa menace sur la population mondiale. D’après le Global Cancer Observatory, le fardeau mondial du cancer s’alourdira de 47 % en 2040 par rapport à 2020. Il en va de même chez les animaux, faisant de la cancérologie vétérinaire une spécialité en plein essor en France. Ce sont désormais cinq spécialistes diplômés de l’European College of Veterinary Internal Medicine (ECVIM-CA, option oncologie) et un de l’American College of Veterinary Radiology-Radiology Oncology (ACVR-RO, radiothérapie) qui sont recensés dans l’Hexagone et plusieurs praticiens qui exercent en référé. La discipline évolue rapidement vers des thérapies spécifiques ciblées et une médecine personnalisée, la plus respectueuse possible de l’animal et de son propriétaire.

Vers des diagnostics non invasifs

Il est désormais possible de détecter des marqueurs tumoraux dans des liquides biologiques. C’est notamment le cas du test qui recherche la mutation BRAF V595E par une méthode de digital droplet PCR. Elle offre un moyen diagnostique non invasif et précoce du carcinome transitionnel de la vessie ou de la prostate, réalisable sur culot urinaire. « Lors de suspicion clinique, il est conseillé de pratiquer cet examen complémentaire dont la spécificité diagnostique est de 100 % avant de procéder, si besoin, à une analyse cytologique approfondie. La sensibilité pour la détection d’un carcinome urothélial avoisine 83 % chez les petites races, en particulier les terriers, mais elle est moindre chez les grandes races. La sensibilité pour la détection d’un carcinome prostatique avoisine 80 %. Enfin, ce test permet de détecter une rechute après chimiothérapie », indique Kristina Museux, vétérinaire conseil chez Cerba Vet. Ces prélèvements mini-invasifs, baptisés « biopsies liquides », incluront bientôt d’autres outils diagnostiques. L’ADN tumoral circulant (ADNtc) est notamment au centre des investigations menées par l’équipe « génétique du chien » de l’Institut génétique et développement de Rennes qui a montré qu’il était possible d’en détecter pour trois types de tumeurs canines : lymphome B multicentrique de haut grade, sarcome histiocytaire, mélanome buccal.

Typer précisément la tumeur

« À défaut d’être une nouveauté, l’intérêt des immunomarquages mérite d’être rappelé afin de les garder à l’esprit », indique Franck Floch, diplômé du Collège européen de médecine interne, option cancérologie (ECVIM-CA, oncology), praticien à AniCura TrioVet, Rennes (Ille-et-Vilaine). Trois techniques coexistent : l’immunohistochimie, sur la base d’une biopsie ou d’une pièce d’exérèse chirurgicale ; l’immunocytochimie appliquée aux lames de cytoponctions de lymphomes notamment ; et la cytométrie en flux pour le diagnostic exclusif des lymphomes et leucémies. « Principalement à visée diagnostique, ils permettent de préciser le type lésionnel d’une tumeur peu différenciée, voire indifférenciée dans le but de clarifier l’approche thérapeutique et le pronostic. Beaucoup de laboratoires français proposent un panel non exhaustif de marqueurs dont la pertinence doit être discutée avec l’anatomopathologiste », poursuit-il. David Sayag, également diplômé ECVIM-CA (oncologie), fondateur d’ONCOnseil basé à Toulouse, rapporte de son côté une avancée détenue par un laboratoire californien1, encore non accessible à l’Europe, mais l’espoir est grand d’y avoir accès à court terme. Grâce à un prélèvement à l’aiguille fine, un phénotypage moléculaire et génétique permet d’évaluer la réponse attendue au standard thérapeutique et à des protocoles alternatifs, ouvrant la voie à une médecine personnalisée.

La radiothérapie devient incontournable

La radio-oncologie reste un marché de niche, bien qu’en plein essor. Cette modalité reste marginalisée du fait de sa rareté – ainsi que de ses spécialistes – et du coût de ses équipements. « Or, aujourd’hui, faire de l’oncologie sans avoir accès à une radiothérapie n’est plus envisageable. Le bénéfice en termes de contrôle tumoral est indiscutable pour de nombreux cas en complément de la chirurgie et, souvent, il s’agit de la seule option locale de traitement pour des tumeurs inopérables ou radiosensibles. L’époque à laquelle l’oncologie se limitait à des exérèses larges ou répétées suivies de deux ou trois protocoles de chimiothérapie, souvent inadaptés, est révolue », explique Jérôme Benoit, diplômé de l’European Board of Veterinary Specialisation (EBVS), spécialiste en radio-oncologie, président de l’European Society of Veterinary Oncology (ESVONC), praticien à Oncovet, à Villeneuve-d’Ascq. À l’instar de la médecine humaine, la radiothérapie stéréotaxique, technique d’irradiation de haute précision, s’avère prometteuse. « Cette technique novatrice, basée sur des équipements particuliers, est amenée à se répandre ces prochaines années », précise Jérôme Benoit.

Des médicaments innovants

Si le contexte réglementaire de l’utilisation des anticancéreux n’a pas évolué depuis 2009, l’accès aux molécules est amené à changer2. En 2017, une réactualisation de cette liste a été demandée par les quatre écoles vétérinaires auprès de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) afin d’élargir l’arsenal thérapeutique, avec une demande d’accès à la bléomycine, l’étoposide, la vinorelbine, la dacabarzine, l’épirubicine et le 5-fluoro-uracile, dont la signature est attendue. Les laboratoires vétérinaires, de leur côté, commencent à investir ce domaine. Le dernier exemple en date est la mise sur le marché de Stelfonta3 par Virbac, une option thérapeutique innovante à intégrer dans le panel d’options déjà existant face aux mastocytomes canins. Il est indiqué dans le traitement des mastocytomes cutanés et sous-cutanés localisés et non opérables, selon un protocole thérapeutique strict. « Cette approche atypique consiste à injecter le tiglate de tigilanol par voie intratumorale. Une nécrose hémorragique est à l’origine de la chute de la tumeur qui survient dans les 4 à 7 jours. Une cicatrisation par seconde intention a lieu de manière spontanée sans prodiguer de soin, le chien peut même se lécher ! », explique Franck Floch. Le taux de rémission clinique complète se situe entre 80 et 90 % suite à une, voire deux injections pratiquées à 28 jours d’intervalle. Des données préliminaires évoquent un taux de récidive locale de 11 % dans la première année après le diagnostic et le traitement. « Les limites actuelles sont le peu de recul sur l’emploi de ce traitement à moyen et long termes et il est important de souligner qu’il ne doit pas devenir le traitement standard de tout mastocytome », ajoute Franck Floch. D’autres innovations médicales sont attendues, comme la première chimiothérapie entièrement développée par des vétérinaires qui a été mise sur le marché récemment en Amérique du Nord, le Tanovea (rabacfosadine), indiqué lors de lymphomes canins. Les inhibiteurs de tyrosine kinase (tocéranib, masitinib) restent aussi dans la course, avec des indications appelées à évoluer et de nouvelles molécules étudiées chez les animaux.

Des techniques minimalement invasives de haute précision

L’oncologie interventionnelle consiste à pratiquer des gestes, à visée diagnostique ou thérapeutique, guidés par l’imagerie. « L’objectif est de développer des traitements afin de lever les impasses thérapeutiques actuelles. Prenons le cas d’un chien présentant une lésion compatible avec un ostéosarcome. L’utilisation de la fluoroscopie pour réaliser une biopsie osseuse augmente la sensibilité du geste diagnostique et accroît les chances d’établir un diagnostic. En parallèle, des techniques novatrices à visée thérapeutique sont en cours de développement. L’ablation par micro-ondes en fait partie. Via un abord mini-invasif, des aiguilles sont implantées au cœur de la tumeur, ce qui permet de chauffer le site à 200 °C à l’aide de micro-ondes. Selon le temps d’exposition et la puissance appliqués, une zone d’ablation sphérique ou ovoïde est générée. Un tel acte, guidé par tomodensitométrie, a récemment été effectué sur un chien atteint d’un ostéosarcome distal du radius avant de procéder à une cimentoplastie », témoigne David Sayag, titulaire du diplôme inter-universitaire en radiologie interventionnelle oncologique. La France rattrape peu à peu les compétences des Américains en la matière et les actes novateurs ainsi que les travaux de recherche sont florissants – pose de chambre implantable, cas de chimiothérapie intra-artérielle sur les carcinomes de la prostate, développement de la chimio-embolisation, etc.

L’immunothérapie en quête de reconnaissance

L’immunothérapie est un domaine thérapeutique en plein boom qui bénéficie de l’essor observé en médecine humaine où elle a changé drastiquement le pronostic associé à certains cancers. « En médecine vétérinaire, les traitements disponibles consistent essentiellement à activer la réponse immunitaire effectrice. Chez le chien, le vaccin Oncept Melanoma était la première véritable immunothérapie commercialisée (malheureusement non disponible en France). La proportion de répondeurs avoisine les 30 %. Nous ne savons actuellement pas identifier les animaux susceptibles de répondre. Des recherches complémentaires seraient les bienvenues pour améliorer l’utilisation de ce médicament. Des arguments scientifiques manquent aussi pour définir l’efficacité et le champ d’application d’Oncept IL-2, une immunothérapie non spécifique indiquée dans la prise en charge des fibrosarcomes félins en complément de la chirurgie et de la radiothérapie. Enfin, un vaccin thérapeutique dirigé contre le gène HER2, surexprimé en cas d’ostéosarcome, est actuellement à l’étude aux États-Unis. Les résultats, prometteurs, pourraient aboutir à une prochaine commercialisation », détaille Gabriel Chamel, diplômé ECVIM-CA (oncologie), maître de conférences en cancérologie comparée à VetAgro Sup.  « La recherche en cancérologie vétérinaire, de par son coût et du relatif faible nombre d’acteurs impliqués, ne peut se calquer complètement et systématiquement sur le modèle de la recherche en cancérologie chez l’homme. Aussi, je pense qu’il faut être inventif à tous les échelons de la chaîne. Je crois notamment que les laboratoires pharmaceutiques devraient être à l’initiative de systèmes de suivi des données afin d’asseoir la pertinence des immunothérapies qu’ils commercialisent chez nos animaux », estime-t-il.

Sandra Bourdet- Laurent (N 12)

Praticienne en canine, à Maîche (Doubs).

Bien faire et faire du bien

Notre structure est éloignée des centres de référés qui témoignent d’une évolution importante de l’offre de traitements en oncologie. En 2019, après avoir été formée et encouragée par les cours présentés par l’équipe pédagogique responsable du CEAV en médecine interne, j’ai réalisé ma première chimiothérapie chez une chienne atteinte d’un lymphome multicentrique de haut grade. Depuis, j’endosse le rôle de référente en chimiothérapie : les propriétaires motivés me sont adressés par mes collègues afin d’obtenir leur consentement éclairé et je travaille avec une auxiliaire formée à l’aide du guide réglementaire sur les bonnes pratiques d’emploi des médicaments anticancéreux proposé par l’Ordre national des vétérinaires, notamment. La plupart du temps, la chimiothérapie est à visée palliative. Il s’agit de maintenir un animal en forme en gérant les effets secondaires, souvent simples à endiguer. Aujourd’hui, toujours dans le respect du bien-être de l’animal, je n’ai pas de limite, sauf l’accès aux molécules ou à certains types de soins.

Frédérique Ponce (L 87)

Diplômée ECVIM-CA (oncologie), professeure en cancérologie comparée à VetAgro Sup (Lyon)

Bientôt un diplôme d’école en chimiothérapie

Dans un contexte législatif toujours plus strict, la réalisation des chimiothérapies anticancéreuses nécessite de maîtriser les règles de prescription et de manipulation des médicaments cytotoxiques afin de garantir l’innocuité de cet acte et la sécurité des manipulateurs, des animaux et de leurs propriétaires. Il est du ressort d’un établissement universitaire de délivrer une formation continue à l’écoute du contexte médical, législatif et sécuritaire et de la certifier par un diplôme. VetAgro Sup est bien placé car il est le seul établissement français à avoir développé un programme de résidence européenne. J’ai proposé cet enseignement dont le but est de compléter les connaissances, dans un cadre règlementaire, sur le développement d’un cancer, pour mieux comprendre la place de la chimiothérapie dans la prise en charge thérapeutique multimodale, les principales molécules utilisées (conditions d’approvisionnement, de stockage, indications, effets secondaires), les modalités de suivi, la maîtrise du référé pour des protocoles combinés, séquentiels et multimodaux. Une formation théorique mettra en place les connaissances requises et une formation clinique permettra de les appliquer en conditions réelles.

David Sayag

Diplômé ECVIM-CA (oncologie), diplôme interuniversitaire en radiologie interventionnelle oncologique, président fondateur d’ONCOnseil, unité d’expertise en oncologie vétérinaire

La télémédecine gagne du terrain

À l’instar de la médecine humaine, le monde vétérinaire tend à mettre en place le concept de réunion de concertation pluridisciplinaire pour minimiser la perte de chances de l’animal atteint de cancer. Dans le système européen, formé au diagnostic et au traitement des cancers, le rôle de l'oncologue évolue vers celui de thérapeute. Il intervient surtout dans la mise en œuvre d’un programme personnalisé de soins via un travail d’équipe. Dans cette optique, malgré un éloignement géographique, la télé-expertise est une plus-value pour la patientèle du vétérinaire référent qui a accès à des conseils avisés et suivis tout en restant dans son champ de compétences. Le lancement de l’activité ONCOnseil1 lors du congrès Afvac 2020 s’inscrit dans l’expérimentation provisoire sur les télé-médecines, supervisée et soumise à validation par l’Ordre des vétérinaires jusqu’à la fin de l’année. Elle répond à une demande du terrain, le nombre de télé-expertises progressant constamment.

  • Pour plus de renseignements : où se former en cancérologie ? Lien des formations lien disponibles en cancérologie vétérinaire sur le lien http://www.bit.ly/39zLysP
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