PPA : les Antilles françaises en alerte  - La Semaine Vétérinaire n° 1912 du 17/09/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1912 du 17/09/2021

Maladies réglementées

ANALYSE MIXTE

Auteur(s) : Par Tanit Halfon

Avec l’arrivée de la peste porcine africaine en République dominicaine, les autorités sanitaires françaises des Outre-mer mettent en place une série de mesures pour prévenir l’introduction du virus. La Guadeloupe est le territoire le plus à risque.

La France est confrontée à une nouvelle situation à risque d’introduction de peste porcine africaine (PPA) sur son territoire. La maladie a été confirmée fin juillet en République dominicaine. Au 31 août, 39 foyers domestiques étaient détectés, répartis sur tout le territoire, de la frontière haïtienne à l’extrémité est de l’île d’Hispaniola. La souche en cause est Georgia 2007 génotype II, qui circule en Europe de l’Est et en Asie. A ce stade, l'origine de l'introduction du virus est inconnue, mais la première trace d'infection remonterait au 10 avril dernier. Si, à vol d’oiseau, l’île d'Hispaniola se situe à près de 1000 km des premières îles des Antilles françaises, les liaisons aériennes les desservent en moins de deux heures. Avec le risque que des passagers introduisent dans leur bagage, de manière illégale, de la viande de porc contaminée1. « À ce stade, la Guadeloupe et Saint-Martin ont été identifiés comme les territoires les plus à risque d’introduction de la maladie », explique Véronique Bellemain, inspectrice générale de santé publique vétérinaire et directrice adjointe à la direction de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (Daaf) de Guadeloupe. En cause, l’intensité du trafic aérien : l’aéroport de Point-à-Pitre (PTP) concentre le plus grand nombre de vols directs en provenance de la République dominicaine et il est central pour les escales.

Des détentions de porcs non déclarées

Un autre paramètre est d’ordre social. À Saint-Martin et en Guadeloupe vivent d’importantes communautés dominicaine et haïtienne. Si l’île de Haïti n’a pas pour l’instant déclaré de foyers de PPA, les autorités sanitaires françaises préfèrent appréhender le risque de façon globale pour les deux pays de l'île d'Hispaniola. Comme partout dans le monde, il est courant que les voyageurs rapportent des denrées alimentaires de leur pays, tels des produits à base de porc, pour consommation familiale ou communautaire. Le risque est que des restes de produits contaminés ne soient donnés à des porcs, sachant que la détention de ces animaux, souvent non déclarée, est largement répandue, notamment pour la consommation familiale. « À Saint-Martin, il y a deux élevages enregistrés, et sans doute plusieurs dizaines de sites non déclarés de type basse-cour, dont les conditions de biosécurité ne sont pas forcément adaptées, explique Véronique Bellemain. Pour nous, le risque est clairement lié à ces porcs de basse-cour. ». En Guadeloupe, « il y aurait près de 900 détenteurs de porcs non déclarés. Il s’agit de particuliers, mais aussi de professionnels du domaine agricole. Il y a notamment une consommation traditionnelle de porcs à Noël, avec un partage de la viande avec la famille, les voisins, etc., et ces animaux ne sont pas forcément tués à l’abattoir. »

Des actions de prévention

Face au risque d’introduction de la maladie, plusieurs actions ont été mises en œuvre. D’abord, une sensibilisation des parties prenantes – professionnels de l’élevage, vétérinaires, etc. – et des professionnels des aéroports, des ports, des marinas, des comités des pêches, etc. Les bagages des passagers arrivant de République dominicaine et de Haïti sont systématiquement contrôlés à l’aéroport de PTP. « Les contrôles menés par les douanes à l’aéroport de Pointe-à-Pitre ont déjà permis de saisir plusieurs dizaines de kilos de viande de porc dans les bagages des passagers », précise Véronique Bellemain. Une campagne d’affichage à destination des voyageurs a été lancée, et les affiches ont été confiées aux compagnies aériennes desservant la République dominicaine. L’objectif est de diffuser l’information à un maximum de secteurs, tels les fabricants d’aliments pour le bétail qui peuvent la relayer auprès de leurs clients. L’information a aussi été diffusée via les réseaux des consulats de République dominicaine et de Haïti en Guadeloupe. « Des actions analogues ont été menées à Saint-Martin, mais avec des limites : l’île est divisée en deux, avec des voyageurs qui arrivent essentiellement par la partie néerlandaise. Entre les deux, il n’y a pas de contrôles douaniers, souligne Véronique Bellemain. Mais nous savons que les communautés sont bien informées pour la partie française. »

Des enjeux de filière en Guadeloupe

Quelles conséquences si la PPA arrivait ? À Saint-Martin, il n’y a pas de filière porcine organisée, et le nombre de porcs estimé en partie française est de l’ordre de 1000, et de 3000 en partie néerlandaise. Le vrai enjeu économique se situe en Guadeloupe, qui compte plus de trente éleveurs professionnels et deux coopératives spécialisées. Selon le mémento 2020 de la statistique agricole2, il y avait environ 13 000 porcs en 2019, ce qui place la filière porcine en deuxième position dans les productions animales organisées guadeloupéennes, derrière les bovins (cheptel de 37 000 bovins). La viande porcine représente 37,8 % de la production de viande (en tonne équivalent-carcasse), devant les bovins (35,8 %) et les volailles (25,5 %). Un secteur d’importance donc, d’autant que la viande de porc local contribue à l’autosuffisance alimentaire : la viande locale couvre 28,5 % des besoins en porc (hors viandes salées, séchées, fumées) et un peu plus de 90 % des besoins en viande de porc fraîche3. « Les conséquences d’une crise seraient dramatiques économiquement pour la filière guadeloupéenne et les perspectives de développement de l’autosuffisance alimentaire du territoire, mais cela ne fragiliserait pas la couverture des besoins alimentaires ; il serait toujours possible d’augmenter les flux commerciaux existants », précise Véronique Bellemain.

« Si le virus était introduit, l’enjeu serait de pouvoir le détecter le plus rapidement possible, insiste cette dernière. En cas de découverte précoce, on peut espérer pouvoir le contrôler. En effet, la PPA ne se propage pas forcément très vite, comparativement à d’autres maladies comme la fièvre aphteuse, et il n’existe pas de cycle faune sauvage ici du fait de l’absence de sangliers. De plus, il n’y a pas systématiquement de liens entre les petits détenteurs. En revanche, en cas de large diffusion sur l’île, se posera la question de l’acceptabilité sociale des mesures de gestion sanitaire, notamment au niveau des petits détenteurs. Il faudrait s’adapter. »

Des mesures en Martinique et en Guyane

Moins à risque, des mesures de prévention ont été mises en place en Martinique et en Guyane. Comme en Guadeloupe, de nombreux particuliers détiennent des porcs non déclarés, pouvant être un moyen de subsistance. En Guyane, il y a le cas particulier des orpailleurs qui font venir de la viande illégalement pour se nourrir. Dans ce territoire, il n’y a pas de flux direct depuis la République dominicaine ou Haïti, et le risque identifié vient des pays limitrophes, notamment du Suriname par lequel transite la majorité des flux déclarés et non déclarés de personnes et de marchandises, dont de la viande de porc et des porcs vivants.

  • 1. Il n’y a pas d’importations de porcs vivants de ces pays, ni de trafic de ce type répertorié.
  • 3. Résultats et références technico-économiques, 2020 (Odeadom). 
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