Feu vert pour les protéines animales transformées - La Semaine Vétérinaire n° 1911 du 10/09/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1911 du 10/09/2021

Réglementation

ANALYSE MIXTE

Auteur(s) : Tanit Halfon

Par un avis du 17 août, la Commission européenne vient d’alléger les règles relatives au contrôle des encéphalopathies spongiformes transmissibles, en autorisant l’utilisation de protéines animales transformées de porcs dans les aliments pour volailles, et vice versa.

Avec la crise de la vache folle, l’Europe a progressivement interdit les farines et certaines graisses animales dans l’alimentation de tous les animaux d’élevage dont les produits sont destinés à la consommation humaine, en association avec le retrait et la destruction des matériels à risques spécifiés. Puis, la situation vis-à-vis des encéphalopathies spongiformes transmissibles (EST) s’améliorant chez l’animal, un allègement progressif des mesures de contrôle a été entrepris. En 2021, l’Europe assouplit une nouvelle fois les règles : le règlement (UE) 2021/1372 du 17 août 2021 autorise les protéines animales transformées (PAT) de porcs dans l’alimentation des volailles, et vice versa. Les PAT d’insectes, la gélatine et le collagène de ruminants sont également autorisés pour ces deux espèces. Le principe de non-cannibalisme (recyclage intraspécifique) n’est pas remis en question.

Séparer les circuits de production

La règle de base est de séparer les circuits de production par espèce animale, pour éviter toute contamination croisée, que ce soit au niveau de l’abattoir, des usines de fabrication des PAT, des usines d’aliments ou lors des transports. Pour l’Europe, l’objectif principal reste d’éviter le risque d’infection de bovins par un agent d’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB). Cela serait possible si de la matière infectieuse d’un bovin contaminé se retrouvait accidentellement à l’abattoir dans des bacs contenant des sous-produits de non-ruminants (volailles, porcs) destinés au circuit des PAT. Ces derniers pourraient finir, encore de manière accidentelle, dans des aliments pour ruminants, aboutissant alors à un recyclage intra-espèces, et donc à un risque d’amplification1. Ce phénomène de contamination croisée serait à l’origine des cas d’ESB après l’interdiction des farines animales dans l’alimentation des bovins en 1990, ce qui avait amené à l’interdiction progressive des farines pour tous les animaux de rente, et pas uniquement les bovins.

Pas de barrière absolue à la transmission interspécifique

Pour la Commission européenne, le risque d’EST chez les non-ruminants est considéré comme négligeable, tant que le recyclage intraspécifique est évité. La position de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) est plus nuancée. Dans son avis2 de juin 2021, relatif à l’allègement annoncé de la réglementation, l’Anses explique en effet qu’il n’existe pas de barrière absolue à la transmission interspécifique des prions. Pour les porcs, des données expérimentales vont dans le sens d’une infection possible par des agents de l’ESB classique, de la maladie du dépérissement chronique des cervidés et de la tremblante classique. Le porc pourrait aussi développer des formes spontanées d’EST. Pour les volailles, le risque d’EST est très peu probable mais les études sont rares. De fait, l’Anses n’exclut pas la possibilité d’un phénomène d’infection initiale de porcs ou de volailles par des prions de ruminants, l’infection de volailles par des prions de porc (ou inversement), et l’apparition spontanée chez les porcs et volailles d’une EST spécifique (risques d’initiation d’une EST). Dans ces conditions, l’Anses appuie, comme la réglementation européenne, une spécialisation des filières : « Seule une séparation effective des sites et des circuits de productions (par espèces), de l’abattoir jusqu’à la livraison en élevage, associée à des moyens de contrôle et de traçabilité permettraient de limiter d’éventuels phénomènes d’amplification des EST. »

Des dérogations possibles

Le règlement européen est assorti de possibilités de dérogations : sous conditions de maîtrise, il est possible de ne pas respecter une séparation stricte des filières tout au long de la chaîne de production. À voir donc le choix que feront les filières par rapport aux nouvelles opportunités économiques, et les autorités sanitaires pour la gestion du risque.

En France, dans les faits, les filières ne sont pas hyper-spécialisées. Selon l’avis de l’Anses, une spécialisation des abattoirs et des fabricants d’aliments composés est peu probable. De plus, pour les fabricants d’aliments, il est impossible de garantir une absence totale de contamination croisée lors de la fabrication ou du transport d’aliments composés. Seul le maillon de fabrication des PAT serait « le plus susceptible de spécialiser ses outils et ses transports en amont et en aval ».

Deux questions à Charlotte Dunoyer, cheffe de l’unité d’évaluation des risques liés à la santé, à l’alimentation et au bien-être animal à l’Anses

Propos recueillis par Tanit Halfon

En 2011, l’Anses avait déjà rendu un avis sur les conséquences d’un allègement réglementaire. Vous aviez estimé que les garanties nécessaires pour contrôler le risque EST n’étaient pas réunies, à savoir une spécialisation des circuits de production et des méthodes d’analyse pour contrôler l’origine des protéines animales. Que conclure aujourd’hui ?

En 2011, un état des lieux assez complet des filières de production et d’utilisation des PAT avait pu être réalisé, cela n’a pas été le cas pour notre dernier avis. Toutefois, rien n’indique que de nouvelles organisations des circuits de production se soient mises en place. Dans ces conditions, nous avons affiné notre analyse afin d’identifier les principaux points critiques, utiles à connaître pour le gestionnaire de risques. Des points critiques sont présents à tous les niveaux des circuits de production. Le point critique majeur est l’abattoir multi-espèces, notamment volailles/ruminants. De plus, les méthodes d’analyse disponibles aujourd’hui sont uniquement qualitatives sur la reconnaissance de l’espèce animale : cela veut dire qu’un résultat positif ne permet pas de différencier les matières premières déjà autorisées, notamment le lait et les ovoproduits, des contaminations croisées. Ainsi, à la question « faut-il continuer à séparer ? », la réponse est oui.

Avec l’allègement de la réglementation, faudrait-il revoir les dispositifs de surveillance des EST ?

Si c’est à juste titre que les programmes de surveillance sont aujourd’hui allégés, il faut bien garder en tête qu’ils avaient permis de mettre en évidence des EST circulant à bas bruit (ESB atypique par exemple), qui n’auraient pas été détectées autrement. Le gestionnaire de risques doit donc prendre en compte la possibilité d’avoir des animaux infectés par une EST qui arrivent à l’abattoir sans détection. Une raison de plus pour viser une séparation des circuits de production permettant d’éviter qu’une initiation d’EST soit amplifiée par recyclages successifs.

Farines, PAT : les différences

Les PAT correspondent à des matières premières protéiques issues de sous-produits provenant d’animaux propres à la consommation humaine (sous-produits de catégorie 3). Les farines animales, avant l’interdiction de 2000, étaient constituées de tous types de sous-produits animaux, y compris d’animaux morts ou malades jusqu’en juin 1996 au moins. Progressivement, par l’évolution des règlements européens sur les sous-produits animaux, une séparation stricte des sous-produits par catégorie de risque (catégories 1, 2 ou 3) s’est mise en place, pour aboutir aux actuelles protéines animales transformées.

  • 1. Amplification : augmentation exponentielle du nombre d’animaux infectés par recyclage intraspécifique, conduisant à l’apparition d’un phénomène épizootique.
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