En finir avec les réactions transfusionnelles  - La Semaine Vétérinaire n° 1911 du 10/09/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1911 du 10/09/2021

Consensus

ANALYSE CANINE

Auteur(s) : Par Tanit Halfon

Une série de trois articles de synthèse, parue en mars dernier dans le Journal of Veterinary Emergency and Critical Care, propose aux vétérinaires praticiens des « guidelines » basés sur les dernières données de la littérature, pour la gestion des réactions transfusionnelles chez le chat et le chien.

Un consensus1 récent met en avant la démarche clinique à adopter face au risque de réactions transfusionnelles dans les espèces canine et féline. Isabelle Goy-Thollot (Ph. D, Dipl. European College of Veterinary Emergency and Critical Care, DECVECC), une des expertes ayant participé à son élaboration, fait le point.

Pourquoi ce travail de consensus a-t-il été réalisé ?

Si en médecine humaine, un consensus avait été réalisé en 2009 par l’agence américaine Centers for disease control and prevention, en association avec l’American association of blood banks, cela manquait pour la médecine vétérinaire. En outre, les données de la littérature relatives aux réactions transfusionnelles en médecine vétérinaire sont généralistes, souvent théoriques et rarement actualisées par des données cliniques. Ainsi, il nous est paru intéressant d’entreprendre un travail de synthèse à ce sujet, et notamment de pouvoir proposer une conduite à tenir pour éviter une réaction. Il a fallu deux années de travail à l’Association of veterinary hematology and transfusion (AVHTM) pour aboutir à ce consensus.

Il est indiqué que la prévalence des réactions transfusionnelles varie de 0 à 38 %, suivant l’espèce animale concernée, le type de réaction, et le produit sanguin utilisé. Quelles réactions s’avèrent les plus fréquentes et les plus graves ?

Le premier article liste et définit 11 réactions transfusionnelles rencontrées chez les chiens et chats. Il est important de proposer des définitions précises et adaptées à la médecine vétérinaire car tout n’est pas transposable de la médecine humaine. Pour chacune d’entre elles, nous indiquons les incidences lorsqu’elles sont décrites dans la littérature vétérinaire, nous proposons des critères d’imputabilité pour cette réaction, et nous précisons les manques identifiés. De plus, nous proposons une nouvelle classification des réactions transfusionnelles. Au lieu de parler de réactions hémolytiques vs non hémolytiques, nous les présentons suivant leur incidence, car la première distinction n’est souvent pas claire durant l’évaluation clinique initiale du patient. Il ressort que la réaction fébrile non hémolytique est la plus fréquente, mais pas la plus grave. Suivent les réactions de type respiratoire qui, elles, au contraire, présentent des critères de gravité. En humaine, ces réactions font partie des principales causes de mortalité des patients transfusés. En troisième position, se trouvent les réactions allergiques qui sont assez fréquentes aux États-Unis, mais semblent l'être beaucoup moins en Europe, peut-être en lien avec une plus grande prévalence d’animaux atopiques. Outre un apport indéniable pour le vétérinaire praticien, cette partie du travail va permettre d’appuyer la recherche : en effet, la standardisation des définitions des réactions transfusionnelles permettra de comparer les études, un passage obligé pour l’élaboration de conduites à tenir.

Certaines modalités diagnostiques sont-elles à revoir ?

Nous avons abordé la partie diagnostic par grand syndrome clinique, et non en listant les symptômes associés à chaque type de réactions transfusionnelles sous forme de catalogue. Cette présentation correspond plus à la démarche clinique du praticien. Nous décrivons ainsi les réactions de type respiratoire d’une part, et les réactions de type fébrile d’autre part. Pour les réactions de type respiratoire, il est intéressant de noter qu’elles sont souvent sous-diagnostiquées. Des difficultés respiratoires observées pendant ou immédiatement après la transfusion alertent le clinicien sur une surcharge volémique. En revanche, en cas d’apparition plus tardive, ces signes ne seront pas forcément associés par le praticien à la transfusion. Dans le consensus, nous indiquons que tout signe respiratoire qui apparaît dans les 6 heures suivant une transfusion doit faire suspecter une réaction transfusionnelle. Il est également important de rappeler la démarche clinique vis-à-vis d’une hyperthermie. Cette dernière est un des signes cliniques les plus communs aux réactions transfusionnelles chez les chats et les chiens. Dans ce cadre, il faut réaliser un suivi strict de la température de l’animal avant, pendant et après une transfusion, afin de pouvoir différencier une hyperthermie associée à une réaction transfusionnelle d’une hyperthermie liée à la maladie sous-jacente. On considère qu’une température supérieure à 39 °C, associée à une augmentation de la température de 1° après le début de la transfusion, pendant ou dans les 4 heures suivant la transfusion, est anormale, et doit motiver l’arrêt de la transfusion. À partir de là, il est indispensable d’adopter une démarche raisonnée pour identifier la réaction transfusionnelle à l’origine de cette hyperthermie, certaines étant plus graves que d’autres. Ainsi, une réaction de type sepsis peut être suspectée chez les animaux transfusés présentant une hyperthermie, associée à des vomissements, diarrhées, troubles respiratoires, tachycardie et hypotension.

Y a-t-il des grandes différences suivant le type de produits de transfusion ?

La transfusion de culot globulaire est davantage responsable d’hémolyse chez les chiens transfusés que chez ceux transfusés avec du sang total frais. Il est recommandé de préférer les produits sanguins les plus frais possibles lors de sepsis ou d’anémie hémolytique chez le chien. Des recherches supplémentaires sont nécessaires afin de préciser l’influence de l’âge des globules rouges sur les réactions transfusionnelles chez le chat.

Quels seraient les points clés à retenir pour la thérapeutique ?

Le premier message à faire passer est d’arrêter la transfusion devant toute suspicion de réaction transfusionnelle. Ensuite, il sera possible de la reprendre suivant le diagnostic. Il est aussi à noter que l’usage des corticostéroïdes est à éviter tant en prévention qu’en traitement. Enfin, soulignons qu’il est tout à fait envisageable d’injecter une première dose de furosémide pour différencier la réaction de type inflammatoire de la surcharge volémique. Cela n’aura pas de conséquence clinique néfaste pour l’animal.

Une approche pratique pour le praticien

Le consensus met à disposition des praticiens des « guidelines » (articles 2 et 3) sous la forme de questions/réponses très courtes, considérées comme les plus pertinentes pour la médecine vétérinaire. Les auteurs y différencient les recommandations (« we recommend »), qui s’appuient sur des données robustes de la littérature, des suggestions (« we suggest »). En cas de données insuffisantes, les auteurs indiquent qu’il n’est pas possible de conclure à une conduite à tenir. Le vétérinaire pourra ainsi directement s’y référer sans forcément avoir à lire le reste de l’analyse.

De plus, plusieurs arbres décisionnels sont disponibles (article 3), pour guider le praticien confronté à un animal en détresse respiratoire, en hyperthermie, avec une tachycardie et/ou une hypotension, et présentant des vomissements.

Enfin, le praticien pourra y trouver une fiche de suivi transfusionnel (article 2), facilement utilisable en clinique. C’est la première fois qu’il est proposé une standardisation pour le suivi d’un animal transfusé.

  • L’analyse est limitée aux réactions secondaires à la transfusion de sang, plasma et plaquettes.
Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr