Fiscalité
ENTREPRISE
Auteur(s) : Par Jacques Nadel
L’abattement spécial retraite peut se dérober à la dernière minute si les conditions cumulatives de cet avantage n’ont pas été respectées, et les sociétés de participation financière de professions libérales (SPF-PL) recèlent de potentiels inconvénients en fin d’activité.
L’abattement de 500 000 euros dont bénéficie le dirigeant d’une société à l’impôt sur les sociétés (IS), lorsqu’il part en retraite, lui permet d’annuler en tout ou partie la plus-value de cession des titres. Sous réserve du respect de certaines conditions. Cet avantage fiscal bénéficie aux associés qui pendant les cinq années précédant la cession ont, sans interruption, exercé des fonctions de direction et détenu au moins 25 % du capital de la société cédée. Pour en bénéficier, le dirigeant-cédant doit cesser toute fonction dans la société et faire valoir ses droits à la retraite dans les deux années suivant ou précédant la cession.
Dans l’affaire suivante, l’administration a remis en cause le bénéfice de cet abattement, estimant que l’un des critères n’était pas rempli. Un couple a cédé les parts sociales qu’il détenait dans la société dont l’époux était le gérant. Pour le calcul de la plus-value imposable réalisée à cette occasion, il a demandé à bénéficier de l’abattement spécial retraite de 500 000 euros. L’administration fiscale l’a refusé au motif que le vendeur avait conservé pendant près de cinq ans une activité salariée au sein de la SARL (société à responsabilité limitée), après avoir cédé ses titres. Le juge considère que la condition tenant à la cessation des fonctions au sein de la société est d’application stricte et vise effectivement toute fonction, qu’il s’agisse ou non de fonctions de dirigeant. Il donne donc raison à l’administration fiscale qui a refusé à bon droit au couple le bénéfice de l’abattement.
Pas d’abattement pour durée de détention
Dans une autre affaire jugée, l’administration fiscale et les tribunaux ont une interprétation tout aussi stricte des textes sur l’application de l’abattement pour durée de détention correspondant à un autre régime d’imposition de la plus-value résultant de la cession de titres acquis avant le 1er janvier 2018. Un dirigeant et sa concubine, devenue entre-temps son épouse, vendent leurs titres de société afin de prendre leur retraite, et appliquent l’abattement pour durée de détention.
Mais l’administration fiscale, à la suite d’un contrôle sur pièces, a remis en cause le bénéfice de cet abattement dont les anciens concubins, alors mariés, s’étaient prévalus pour l’imposition de la plus-value résultant de la cession, le 31 mai 2010, des titres de la société. Et ce, au motif qu’un des critères à respecter au moment de la cession des parts, n’a pas été respecté. Le juge saisi du litige relève qu’à la date de la cession, le dirigeant ne détenait lui-même, depuis plus de cinq ans, que 75 parts, représentant 15 % du capital de la société, et que le reste des parts sociales était détenu par sa concubine, avec laquelle il n’était marié que depuis 2008. Or, le régime d’exonération suppose que le cédant ait détenu directement ou par personne interposée ou par l’intermédiaire de son conjoint ou de ses ascendants ou descendants ou de ses frères et sœurs, de manière continue pendant les cinq années précédant la cession, au moins 25 % du capital de la société dont les titres sont cédés. Et un concubin n’est pas un conjoint aux yeux du fisc ! Comme à la date de la cession, son mariage avec sa concubine datait de moins de cinq ans, le dirigeant ne pouvait se prévaloir de la détention des parts de cette dernière et que, par voie de conséquence, il ne pouvait être regardé comme ayant détenu au moins 25 % des droits dans la société pendant les cinq années ayant précédé la cession.
Constituer tôt une SPF-PL unipersonnelle
La société de participation financière de professions libérales (SPF-PL) présente des avantages évidents quand le vétérinaire souhaite acheter et revendre tout ou partie de ses parts. Mais des inconvénients peuvent se révéler si elle est utilisée à quelques années de la retraite, avec le risque d’une sortie de la SPF-PL complexe et onéreuse. Si les nouvelles règles applicables autorisent le recours à l’intégration fiscale en présence de plus d’un associé professionnel au sein d’une SPF-PL pluripersonnelle, celle-ci lie le destin professionnel des associés de manière déraisonnablement forte.
C’est au moment des séparations que se posent les vraies difficultés. Lors du départ à la retraite d’un des associés, il faudra envisager la scission de la SPF-PL commune. Un tel projet dont le caractère obligatoire est posé par l’article L. 236-6 du Code de commerce va se heurter à une difficulté d’ordre juridique. « Le projet doit contenir les motifs et le but de la scission, souligne Philippe Jaudon-Champrenault, avocat, conseil en droit commercial et des sociétés. Or la scission est motivée, en l’espèce, par des intérêts personnels. »
Par ailleurs, sur le plan fiscal, « une scission est définie par l’article 210-A du Code général des impôts comme l’opération par laquelle la société scindée transmet, par suite et au moment de sa dissolution sans liquidation, l’ensemble de son patrimoine à deux ou plusieurs sociétés préexistantes », précise-t-il. Ce qui n’est pas le cas dans les montages de SPF-PL de libéraux. « Pour que la scission bénéficie de plein droit du régime spécial des fusions, notamment du report de l’imposition sur les plus-values mises en évidence à cette occasion, deux conditions doivent être réunies, explique cet avocat. La société scindée doit comporter au moins deux branches complètes d’activité, et les sociétés bénéficiaires doivent recevoir chacune une ou plusieurs de ces branches d’activité. » La jurisprudence du Conseil d’État ne fait pas bon ménage avec le modèle des holdings des professionnels libéraux, il estime que des titres de participation ne caractérisent pas une branche complète d’activité. « La scission d’une société qui exerce une activité de holding ne relève donc pas de plein droit du régime spécial et il est impossible de caractériser un motif économique lors d’une telle opération. La scission d’une SPF-PL commune peut s’avérer coûteuse », met en garde cet avocat.
Pas d’apport/cession
Pour des titulaires souhaitant profiter des avantages de l’apport/cession, à quelques années de la retraite, un minimum de précautions s’impose : s’assurer de l’antériorité de trois ans de leur SPF-PL et avoir un autre projet professionnel avant de quitter la profession. Sinon, ils devront réinvestir sous la pression au moins 60 % du prix dans de nouvelles affaires. « Par ailleurs, ils feront vivre, avec des frais inhérents, une SPF-PL transformée le plus souvent en SAS (société à actions simplifiée) ad vitam », prévient Guillaume Varga, avocat du cabinet Havre Tronchet. Enfin, s’ils perçoivent entre-temps des revenus de celle-ci, ils seront imposés. Dans une telle situation, les inconvénients de la SPF-PL dépassent largement les avantages.
S’il ne s’est pas écoulé au moins deux ans entre l’opération d’apport des titres de la SEL à la SPF-PL et la cession de ces mêmes titres, la SPF-PL va dégager une plus-value intégralement taxable à l’IS et non sur une base limitée à 12 %.
Et si l’opération d’apport n’a pas 3 ans par rapport à la cession des titres de la SEL, le dirigeant doit réinvestir dans les 2 ans 60 % du prix. Soit la SPF-PL contrôle une nouvelle SEL, dans laquelle le dirigeant sera exploitant, à hauteur de 50 % au moins, par voie d’achat de titres. Soit elle souscrit au capital initial ou à une augmentation de capital d’une ou plusieurs sociétés sans que le contrôle à hauteur de 50 % au moins ne soit nécessaire.