« La mise à l’épreuve de l’homéopathie est possible » - La Semaine Vétérinaire n° 1906 du 02/07/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1906 du 02/07/2021

Thérapie

ANALYSE GENERALE

Dans son dernier avis1, adopté à l’unanimité lors de son AG, l’Académie vétérinaire de France a mis en avant le manque d’évidences scientifiques de l’homéopathie vétérinaire. Dans ces conditions, quel avenir possible pour cette pratique ? Rencontre avec François Valon, membre de l’Académie désigné rapporteur.

Comme toute thérapeutique médicale, l’homéopathie vétérinaire ne peut se dispenser d’une évaluation rigoureuse, souligne François Valon, académicien et membre du groupe de travail sur l’homéopathie vétérinaire.

Y a-t-il eu une construction des savoirs homéopathiques en médecine humaine et vétérinaire, confortant le développement de la pratique médicale et la commercialisation de médicaments ?

Les principes homéopathiques ne reposent que sur des théories érigées en principes définis par son inventeur Samuel Hahnemann à la fin du XVIIIe siècle. Ce dernier n’était pas satisfait des pratiques médicales de l’époque, et des résultats obtenus sur les patients. En développant les principes de l’homéopathie, il s’est finalement inscrit dans une démarche médicale sans nuisance par rapport à ce qui existait, et plus à l’écoute des malades, ce qui peut expliquer l’engouement de départ pour cette pratique. Ces théories n’ont ni évolué, ni été remises en question depuis par leurs utilisateurs et en particulier n’ont pas bénéficié, au XIXe siècle, de l’application de la méthode scientifique à la recherche médicale. Aujourd’hui, des théories sont avancées par les homéopathes pour tenter d’expliquer comment une substance diluée à l’extrême peut malgré tout avoir un effet biologique. Elles font l’objet de débats et de controverses au sein de la communauté scientifique. De plus, ces théories se basent sur des propriétés hypothétiques de l’eau qui conserverait l’information initiale de la substance homéopathique, ce qui pose question quant aux présentations sous forme de granules homéopathiques ou préparations alcooliques. À mon sens, le point fondamental n’est pas tant de pouvoir expliquer les mécanismes d’action, mais d’évaluer en toute rigueur scientifique l’efficacité des préparations homéopathiques.

Cette mise à l’épreuve est-elle possible alors qu’un traitement homéopathique ne suit pas les principes de la pharmacologie générale ?

L’AVF est très attentive à toute évolution des connaissances dans tous les domaines y compris l’homéopathie. Les principes « mécanistiques » ne sont pas toujours complètement élucidés y compris pour certains médicaments non homéopathiques, ce qui n’empêche pas d’évaluer leurs effets lors d’études cliniques construites sur des modèles versus produit de référence ou versus placebo. La mise à l’épreuve de l’homéopathie est possible : plusieurs publications d’essais construits selon les modalités scientifiques des essais médicaux ont été analysées dans le rapport. Ces essais permettent d’éliminer de l’équation l’effet contextuel et l’évolution normale de la maladie, et donc d’évaluer l’efficacité intrinsèque de la thérapeutique testée. C’est primordial en tant que prescripteur d’utiliser une thérapeutique qui a fait les preuves de son efficacité, et au rapport bénéfice/risque favorable. En réponse à cela, les homéopathes arguent qu’il n’est pas possible de constituer des cohortes, étant donné qu’il s’agit d’une thérapeutique individuelle. À cela, nous répondons que des protocoles ont été développés en médecine humaine – les essais de taille ou N of 1 trial – qui permettent d’évaluer de manière rigoureuse une thérapeutique, à l’échelle d’un individu. Pour que l’homéopathie soit considérée comme une pratique médicale éthique, il faut en passer par cet effort d’évaluation.

Faudrait-il encourager la recherche dans les écoles nationales vétérinaires ?

La recherche implique une hiérarchisation des projets, des financements à trouver, ainsi que des candidats. Je pense que cela ne serait pas si simple.

Sur le terrain, l’homéopathie a fait ses preuves selon les vétérinaires qui l’utilisent, qui peuvent défendre une liberté de prescription. Que leur répondez-vous ?

Le testimonial, premier stade de la médecine par les preuves, mais de niveau faible, reste même s’il est limité, nécessaire à l’innovation et à la compréhension, dès lors qu’il ouvre à la mise en place d’essais cliniques soumis à l’évaluation par les pairs. Il est important concernant la preuve de l’efficacité, dans cette situation, de distinguer l’évolution clinique et l’efficacité de la préparation homéopathique ; de ce qui relève d’une corrélation et de ce qui relève d’une causalité. La liberté de prescription, toutefois très encadrée par la loi, est rappelée par le code de déontologie vétérinaire. Comme toute liberté, elle ne peut s’exercer qu’en pleine responsabilité puisqu’elle concerne autrui. Chaque vétérinaire est responsable de sa prescription, qui doit rendre le meilleur service possible pour le patient.

Et que dire d’un traitement homéopathique de première intention ?

Le prescripteur agit en responsabilité. Il est tenu à certaines obligations visant à protéger les utilisateurs de la profession vétérinaire : recueil du consentement éclairé, devoir d’information, tenir compte des données acquises de la science. Les notions de perte de chance font également partie des éléments à prendre en compte lors des prescriptions, quelle que soit l’option thérapeutique proposée. En respectant ces exigences, en responsabilité, un traitement homéopathique pourrait être administré en « première intention ».

Une réglementation particulière

Si un médicament homéopathique est bien considéré comme un médicament vétérinaire, il fait l’objet de particularités réglementaires pour sa mise sur le marché. Deux procédures sont possibles: l’obtention d’une autorisation de misesur le marché (AMM), comme les médicaments chimiques ou immunologiques (article L. 5141-9 du Code de la santé publique). Par exception, il peut passer par une procédure simplifiée d’enregistrement, sous conditions notamment ne pas mentionner d’indications thérapeutiques sur l’étiquetage (articles R. 5141-62 à 72). Cette procédure est surtout utilisée pour les dilutions unitaires type Arnica montana 5CH en humain. À ce jour, aucun médicament vétérinaire homéopathique n’a été enregistré en France, et on dénombre 34 AMM valides (dont 4 suspendues en raison de l’absence de déclaration d’un site de fabrication autorisé).

Un dossier simplifié

Par ailleurs, la réglementation (articles R. 5141-20 et 23) rend possible l’obtention de l’AMM si le demandeur peut « démontrer, par référence détaillée à la littérature publiée et reconnue dans la tradition
de la médecine homéopathique vétérinaire pratiquée en France que l’usage homéopathique du médicament ou des souches homéopathiques le composant est bien établi et présente toute garanties d’innocuité. »
Dans ces conditions, le demandeur n’est donc pas tenu de fournir les données pharmaceutiques, et les résultats des essais non cliniques et cliniques appropriés. Est mentionné alors dans le résumé des caractéristiques du produit (RCP) l’usage traditionnel du produit. Le nouveau règlement n° 2019/6 sur le médicament vétérinaire, qui entrera en vigueur le 28 janvier 2022, a conservé les deux types de procédures, AMM ou enregistrement. Il y est également laissé la possibilité d’avoir une demande fondée sur les données bibliographiques (sans qu’il ne soit fait référence spécifiquement au médicament homéopathique): l’article 22 dit que « le demandeur n’est pas tenu de fournir la documentation relative à la sécurité et à l’efficacité s’il démontre que les substances actives du médicament vétérinaire sont d’un usage vétérinaire bien établi dans l’Union depuis au moins dix ans
et qu’elles présentent une efficacité documentée ainsi qu’un niveau acceptable de sécurité. »

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