IAHP : une grande marge de progression - La Semaine Vétérinaire n° 1906 du 02/07/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1906 du 02/07/2021

Retour d'expériences

ANALYSE MIXTE

Auteur(s) : Par Tanit Halfon

Dans un avis du 26 mai, l’Anses a présenté un premier retour d’expériences sur l’épizootie d’influenza aviaire hautement pathogène : l’accès au plein air couplé à la densité d’élevages apparaissent comme deux facteurs clés pour expliquer l’ampleur de la crise.

Sur demande de la direction générale de l’alimentation (DGAL), l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’​alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a rendu son analyse de la crise influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) 2020-2021, à travers un premier avis1 daté du 26 mai. Le bilan est très mitigé tant il y a de points à améliorer ou à revoir, que ce soit au niveau des pratiques d’élevages ou des modalités de gestion de crise. Sans surprise, la question de la dérogation à la claustration apparaît centrale. Pour rappel, l’arrêté du 8 février 2016 relatif aux mesures de biosécurité impose théoriquement une mise à l’abri obligatoire des volailles et autres oiseaux captifs, par claustration ou filets, dès lors que le niveau de risque est modéré sur les zones à risque particulier, ou élevé pour tout le territoire. Dans le cas d’utilisation de filets, une réduction des parcours pour éviter les zones humides est à faire. Des spécificités sont prévues pour la production de palmipèdes. Pour les animaux en phase de préparation au gavage, la règle de base est que seule la claustration (pas de filets) est obligatoire en cas de risque élevé. De plus, indépendamment du niveau de risque, les canards en phase de préparation au gavage ou les canards maigres doivent être nourris à l’intérieur des bâtiments chaque année, du 15 novembre au 15 mars. Ces règles de base sont toutefois valables lorsque le nombre cumulé de canards prêts à gaver (PAG) et maigres dans une exploitation est supérieur ou égal à 3200. En dessous, l’alimentation en bâtiment pendant la période à risque n’est pas obligatoire. Et en cas de risque élevé, des dérogations à la claustration sont possibles, mais en théorie sous certaines conditions (arrêté du 16 mars 2016).

Une diffusion de proche en proche

Dans les Landes, cette particularité réglementaire a abouti à 200 dérogations (sur 300 demandes). Dans la commune de Sort-en-Chalosse, deux tiers des élevages ont demandé une dérogation, aboutissant à 25000 canards prêts à gaver en plein air. Pour les experts, l’accès au plein air en période à risque représente d’une part un risque d’introduction en élevage via l’exposition à l’avifaune sauvage infectée, expliquant très probablement le tout premier foyer d’IAHP enregistré dans les Landes à Bénesse-Maremne, d’autant que le parcours des animaux était attractif pour la faune sauvage avec des zones humides. Mais plus que cela, l’accès au plein air en période à risque, couplé à une densité élevée d’élevages dans une zone donnée, est « sans aucun doute le point critique majeur qui a permis une diffusion de proche en proche de l’infection ». Des oiseaux infectés laissés en extérieur contaminent leur environnement et donc la faune fréquentant le parcours, y compris l’air ambiant avec l’aérosolisation des particules virales et les poussières porteuses de virus. Dans ces conditions, les experts estiment hautement probable que la diffusion dans le Sud-Ouest ait débuté de proche en proche.

Des failles de biosécurité

Pour comparaison, entre le 10 décembre 2020 et le 6 janvier 2021, seuls 3 foyers ont été enregistrés en Vendée et 1 dans les Deux-Sèvres: une bonne maîtrise sanitaire que les experts attribuent à une mise à l’abri mieux respectée (moins de 10 dérogations). Néanmoins, la claustration ne fait pas tout. En effet, dans ces deux départements, les analyses phylogéniques ont révélé qu’il y avait eu 3 souches distinctes introduites (2 foyers en Vendée + 1 foyer secondaire, 1 dans les Deux-Sèvres) dans des élevages de canards claustrés. Alors que dans les Landes qui comptaient un plus grand nombre d’élevages dérogatoires, il n’y a eu qu’une seule souche introduite. L’hypothèse retenue est celle d’une rupture de biosécurité ayant amené à un contact indirect avec un environnement fortement contaminé par l’avifaune sauvage. Ainsi, si les experts conviennent que des efforts en bio-sécurité ont été faits depuis les dernières crises, ils mettent aussi en avant un relâchement, lié à l’absence de risque IAHP pendant plusieurs années consécutives. Ils soulignent notamment que « les éleveurs sont moins vigilants en matière de biosécurité lorsque les canards ont accès à un parcours plein air ». Ce manque d’observance dans la biosécurité est d’autant plus dommageable quand il apparaît que l’excrétion virale pourrait avoir débuté jusqu’à 5 jours avant les signes cliniques, et donc une suspicion. Si plusieurs points critiques dans la biosécurité ont été relevés par les experts, il apparaît que la multiplicité des passages en élevage (flux de personnes, de véhicules) est une question centrale. Pour les experts, il s’agira de se demander « quels intervenants sont absolument incontournables, surtout en période de crise sanitaire, et quelles autres opérations pourraient être déléguées aux éleveurs ou à des intervenants incontournables, pour limiter la circulation entre les élevages ».

Un retard à l’abattage

Dans la continuité, les experts posent aussi la question de la pertinence des mouvements de PAG vers les salles de gavage en période de crise: l’analyse des données montre en effet qu’ils auraient joué un rôle dans les diffusions à longue ou moyenne distance dans les Hautes-Pyrénées et les Pyrénées-Atlantiques. D’autres facteurs non liés aux pratiques d’élevage pourraient avoir contribué à la diffusion. En particulier, pendant la crise, avaient été mises en avant une possible plus grande contagiosité et virulence du virus. À ce stade, les données manquent pour comparer l’évolution des virus H5N8 entre les crises de 2016-2017 et 2020-2021. À noter que des analyses plus poussées des données du terrain restent encore à faire pour mieux préciser le rôle des différents facteurs de diffusion du virus, ce qui donnera lieu à un avis complémentaire, dont la publication est prévue pour octobre.

Du côté du gestionnaire de risque, plusieurs points critiques ont aussi été identifiés, en premier lieu la possibilité réglementaire de dérogation à la claustration. Pour le reste, les données du terrain ont montré que le délai réglementaire de 10 jours maximum pour les autocontrôles avant mouvements est trop long pour maîtriser le risque de diffusion, et devrait être réduit à 48 heures avant mouvement au possible. En période de crise, il est apparu que le dépeuplement des foyers a pris du retard, dans les Landes, du fait d’une saturation des capacités d’abattage disponibles. Il faut tout de même dire qu’au pic de la crise, il y avait de 40 à 50 suspicions jour qui étaient déclarées dans le Sud-Ouest. Un retard dans la mise en œuvre du dépeuplement préventif est aussi déploré: il n’a en effet été envisagé « que 15 jours après la détection des premiers foyers, alors que la situation était déjà hors de contrôle ». Ce retard à l’allumage fait que l’abattage préventif « ne semble pas avoir joué de rôle pour empêcher la diffusion de l’épizootie ».

Faire évoluer la réglementation

Ce travail d’analyse a amené les experts à proposer plusieurs recommandations : sans surprise, la première indique que les mises en place d’oiseaux pour les productions d’hiver doivent être compatibles avec une éventuelle mise à l’abri; la deuxième estime nécessaire de supprimer toute possibilité réglementaire de dérogation à la claustration. Dans ce cadre, l’anticipation est le maître-mot, et les experts soulignent que « les signaux de veille internationale ne permettent pas de garantir 3 mois à l’avance l’arrivée ou non d’un virus ». De fait, la période de septembre à décembre, devrait être considérée comme une période à risque, « ce qui doit conduire les professionnels à systématiquement pouvoir prendre des mesures de protection renforcée des canards ». Entre autres mesures, citons la recommandation d’un dépeuplement préventif immédiat autour des foyers et a minima sur 1 km autour du foyer. Étant donné les contraintes inhérentes à la gestion d’une telle crise, il est aussi proposé la création d’un groupe d’intervention d’urgence pour épauler les parties prenantes si besoin.

Ces recommandations ne seraient rien sans une préparation en temps de paix, pour améliorer la gestion de crise, insistent les experts. Rien non plus sans des réflexions collégiales afin de faire évoluer au mieux les pratiques, étant entendu que la biosécurité ne pourra être un levier unique et suffisant pour lutter contre l’influenza. Ces réflexions apparaissent d’autant plus essentielles pour engager une réflexion sur la réduction nécessaire de la densité des élevages comme le préconisent les experts, notamment dans les zones ultra-denses du Sud-Ouest.

À voir donc de quelle manière se matérialiseront ces recommandations dans le nouveau plan de lutte influenza attendu théoriquement pour cet été. Et surtout en quoi sera-t-il différent du précédent2, déjà très complet. 

Une menace persistante ?

Les experts rappellent que le clade 2.3.4.4b H5N8 se maintient depuis 2015 au niveau mondial, ce qui « appelle à rester vigilant sur le risque de nouvelles introductions chaque année ». De plus, comme tout virus influenza, il existe un potentiel zoonotique, et cela s’est matérialisé en Russie qui a signalé des cas humains début 2021. Ce risque zoonotique est toutefois considéré comme très faible actuellement.

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