EXPRESSION
LA QUESTION EN DÉBAT
Auteur(s) : CHANTAL BÉRAUD
En janvier 2022 entrera en application un règlement européen autorisant les praticiens à proposer sur Internet un médicament vétérinaire non soumis à prescription. En France, un examen clinique est obligatoire pour toute vente de médicament, même sans ordonnance. Cette situation risque-t-elle d’augmenter la vente de faux médicaments ?
PHILIPPE DROUET (A 87)
Fondateur de la Compagnie des animaux, praticien canin à Viry-Châtillon (Essonne)
Une partie de la clientèle aspire à cette évolution sociétale. Le nouveau règlement prévoit que les sites légaux de vente en ligne seront repérables par un logo européen, ce qui offrira une solution sécurisée. Je ne pense pas que cela favorisera en France la multiplication de faux médicaments, car, contrairement à la santé humaine, le marché vétérinaire est trop restreint pour attirer quantité de faussaires. Des contrôles demeureront évidemment nécessaires. En définitive, le praticien en exercice français de demain devra davantage se recentrer sur son cœur de métier : la prestation de service. Ce sont les actes de médecine, de suivi et de conseil qui devraient assurer l’essentiel de son chiffre d’affaires. Cela permettra à cette profession de vivre de son métier en valorisant les actes, pour des clients qui auront alors tout intérêt à assurer leurs animaux. Et contribuera à diminuer les prix des médicaments.
GUILLAUME THOMAS GUINGAND (A 09)
Praticien mixte à Cressanges (Allier)
En canine, l’achat en ligne est une habitude en train de s’ancrer : les ventes par Internet de croquettes connaissent une croissance à deux chiffres ! Le grand risque, c’est que les clients se mettent à acheter en plus des médicaments, avec ou sans ordonnance. Ils courent le risque de s’approvisionner avec des médicaments falsifiés. Pour la santé des animaux, mieux vaudrait qu’ils fassent confiance à une filière vétérinaire d’approvisionnement fiable. En rurale, tout dépend du contexte de sa clientèle. J’explique aux éleveurs que nous pouvons facturer des actes « peu chers » en médecine car ils achètent leurs médicaments chez nous. En contrepartie, nous leur assurons une PCS [permanence et continuité des soins, NDLR] de qualité. Résultat, seule une minorité d’entre eux ne joue pas le jeu. Une concurrence sur le terrain existe déjà, cet élargissement de la vente en ligne ne devrait pas entraîner de pression concurrentielle supplémentaire forte pour nous, du moins en rurale.
JACQUES DEVOS (LIÈGE 86)
Praticien mixte à Panissières (Loire)
Je crains que cette mesure n’entraîne une hausse de médicaments falsifiés, car c’est un secteur encore plus « juteux » que le trafic de drogue ! Ayant eu l’occasion de me rendre dans différents pays et de discuter avec des confrères locaux, nous constatons déjà que l’un des problèmes majeurs est l’usage de faux médicaments vétérinaires - en Afrique et en Asie essentiellement. Cette possibilité de vente en ligne élargie en Europe aura des répercussions sur la France : nombre de praticiens indépendants y subiront une concurrence déloyale, car ils continueront à se consacrer aux soins, sans avoir de temps pour promouvoir par du marketing leurs propres ventes en ligne. Seules les grosses structures vétérinaires pourront s’organiser pour éventuellement en tirer avantage. Enfin, je crains que cette mesure ne contribue à accélérer encore plus le délitement du maillage vétérinaire. Seul point positif à cette nouvelle donne : elle contribuera sans doute à affaiblir le système des remises arrière.