LOI DE SANTÉ ANIMALE : DES CONSÉQUENCES POUR LES VÉTÉRINAIRES - La Semaine Vétérinaire n° 1905 du 25/06/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1905 du 25/06/2021

DOSSIER

Auteur(s) : LORENZA RICHARD

LA LOI DE SANTÉ ANIMALE (LSA), ADAPTÉE AU DROIT EUROPÉEN, ÉTABLIT UNE NOUVELLE CATÉGORISATION DES MALADIES ANIMALES TRANSMISSIBLES ET MODIFIE LES CONDITIONS DE DÉPLACEMENTS DES ANIMAUX ENTRE ÉTATS MEMBRES. QUELS CHANGEMENTS CONCRETS CETTE ÉVOLUTION IMPLIQUE-T-ELLE POUR LES VÉTÉRINAIRES

Exit les dangers sanitaires de première, deuxième et troisième catégories. La nouvelle classification de la loi de santé animale (LSA)1, qui s’applique à tous les États membres, est entrée en vigueur le 21 avril dernier. Les 63 maladies animales transmissibles sont réparties en cinq catégories qui reposent sur des systèmes de gestion nouveaux. Les agents pathogènes, les espèces sensibles et les espèces vectrices constituent des classes différentes et, pour une même maladie, la catégorisation attribuée peut également différer suivant l’espèce animale considérée. Toutes ces maladies sont à déclaration obligatoire et font a minima l’objet d’une surveillance événementielle. Déjà réglementées en droit national ou nouvellement listées, certaines de ces maladies voient leur dispositif d’encadrement s’alléger tandis que, pour d’autres, il s’alourdit. Ainsi, toutes les maladies catégorisées ADE par la LSA font l’objet d’un plan d’intervention sanitaire d’urgence. De plus, lorsque le droit européen est moins-disant que le droit national, la LSA prévoit un principe de subsidiarité : chaque État membre peut décider de mettre en œuvre des mesures nationales supplémentaires en termes de surveillance, de prévention et de lutte. Ces dernières ne doivent toutefois pas entraver les échanges et un État membre ne peut donc pas les imposer aux animaux qui arrivent sur son territoire. De fait, elles pourraient être source de distorsions de concurrence entre les éleveurs de l’Union européenne.

Décisions de la France

Dans ce contexte, la France a décidé d’appliquer les nouvelles mesures de gestion imposées par la classification sensu stricto, après avoir réalisé une étude d’impact coûts bénéfices. La volonté est de limiter les surréglementations à leur strict minimum pour réduire les impacts sur les éleveurs, les filières et l’État. Néanmoins, pour les maladies qui ont le plus d’enjeux sanitaires et économiques, l’État conserve sa responsabilité et maintient les mesures de gestion actuellement en œuvre. En effet, les maladies pour lesquelles la France est indemne et qui, sont soit des zoonoses (encéphalites équines, par exemple), soit s’inscrivent dans une dynamique One Health (notamment certaines maladies des abeilles), font l’objet d’un diagnostic différentiel d’une maladie à plan d’urgence (stomatite vésiculeuse, par exemple). La réglementation nationale actuelle, plus stricte que la LSA, est alors conservée. Pour les autres maladies (C, D et E), la gestion revient aux professionnels qui, dans le cadre d’un dispositif de gouvernance rénové, se voient dotés d’outils pour ce faire.

Surveillance et échanges en pratique

En pratique, la LSA offre plus de flexibilité par rapport aux directives antérieures abrogées. En effet, pour certaines maladies, elle permet aux États membres de tenir compte de l’analyse de risque (situation épidémiologique, nombre d’années sans foyer, mesures de biosécurité, etc.) pour adapter les protocoles de surveillance (fréquence du dépistage, population cible). Des travaux sont d’ailleurs en cours avec la plateforme d’épidémiosurveillance en santé animale (ESA) pour déterminer et optimiser ces protocoles (maladie d’Aujezsky ou sérotypes exotiques de la fièvre catarrhale ovine par exemple). Concernant les prophylaxies, la liste des maladies concernées n’évolue pas : tuberculose, brucellose, leucose bovine enzootique, rhinotrachéite infectieuse bovine, maladie d’Aujezsky et peste porcine classique. Toutefois, de nouvelles modalités de dépistage peuvent être mises en œuvre. La LSA reconnaît par exemple l’utilisation du test interféron gamma pour la tuberculose bovine. Par ailleurs, de nouvelles maladies entrent dans le champ de la certification aux échanges, tels la rage et le surra pour les bovins. Les certificateurs devront alors disposer des informations nécessaires pour certifier, mais les principes généraux restent les mêmes et ils ne devraient pas rencontrer de réelles difficultés.

Des textes à finaliser

Une période de transition est prévue pour la certification aux échanges, dont les nouvelles modalités entreront en application effective au 15 octobre prochain2. Une exception est faite pour la FCO, pour laquelle des conditions dérogatoires sont prévues pour les échanges vers l’Italie et l’Espagne et pour le remplacement de certains textes réglementaires3. Concernant la surveillance de certaines maladies nouvellement listées, ou pour lesquelles la LSA prévoit des mesures nouvelles, un certain nombre d’éléments techniques restent à finaliser avec les experts et avec les autres États membres afin d’assurer une mise en œuvre harmonisée. Des travaux sont ainsi en cours pour adapter le Code rural et de la pêche maritime (CRPM) aux nouvelles règles communautaires. Les arrêtés et instructions techniques seront publiés dès que possible, au fur et à mesure des modifications. Enfin, des projets territoriaux peuvent être proposés, mais il conviendra de s’assurer de leur homogénéité sur le territoire national.

1. Règlement 2016/429 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016, publié au Journal officiel de l’Union européenne le 31 mars 2016 : www.bit.ly/3iSkZES

2. Instruction du comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et de l’alimentation animale (Scopaff pour Standing committee on plants, animals, food and feed)

3. Instruction technique DGAL/SDSPA/2021-289 du 19 avril 2021 : www.bit.ly/3gua7vn

Une relation vétérinaire-éleveur renforcée

TÉMOIGNAGE

CLAIRE LE BIGOT

Sous-directrice de la santé et du bien-être animal à la direction générale de l’alimentation (DGAL) auprès du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation

La LSA impose une montée en puissance des responsabilités des opérateurs, c’est-à-dire des éleveurs, négociants, transporteurs, responsables de centres d’insémination, etc. Le principe général est le même que pour le paquet hygiène : la responsabilité revient à celui qui met le produit sur le marché. Les opérateurs sont ainsi responsables de la surveillance de l’état sanitaire des animaux et il leur incombe d’appliquer les mesures de prévention et de lutte contre la propagation des maladies. Ils doivent signaler toute hausse anormale de mortalité ou tout signe de maladie grave chez leurs animaux. Pour les vétérinaires, la LSA prévoit plus de prévention : plus de maladies à surveiller, plus de maladies à certifier, avec un certificat sanitaire qui s’allonge et qui se précise et passe, par exemple, de 3 à 12 pages en filière bovine. Les praticiens ont la responsabilité de prendre toutes les mesures appropriées pour prévenir l’introduction, le développement et la propagation de l’ensemble des maladies listées par la LSA (certaines étant nouvelles par rapport au droit national), en coopération avec l’autorité compétente et les opérateurs. Ils sont également tenus de prendre les dispositions nécessaires à la détection précoce des maladies (diagnostic correct, prélèvements pour analyses permettant de confirmer ou d’infirmer la présence d’une maladie, etc.). L’objectif est de promouvoir une relation plus étroite entre éleveur et vétérinaire pour agir en amont tout en impliquant les praticiens dans l’organisation et dans la gouvernance à venir. En effet, la LSA prévoit que les vétérinaires jouent un rôle actif dans la sensibilisation à la santé animale et au bien-être animal, dans la prévention et la détection précoce des maladies et dans la sensibilisation à la résistance aux traitements, en s’appuyant notamment sur les visites sanitaires. Au sens de la LSA, les visites sanitaires, à visée de surveillance et de prévention, entérinent le rôle de conseiller du vétérinaire et une réflexion collective doit être menée pour la révision de leur format. Les praticiens seront informés des évolutions de cette réglementation et de ses modalités d’application sur le terrain via les Directions départementales de la protection des populations et les groupements techniques vétérinaires.

UNE NOUVELLE CATÉGORISATION DES MALADIES

- ADE : déclaration obligatoire, surveillance événementielle, mesures de prévention, certification et plan d’intervention sanitaire d’urgence (PISU) en vue d’une éradication immédiate ;

- BDE : déclaration obligatoire, surveillance, mesures de prévention, certification et éradication obligatoire ;

- CDE : déclaration obligatoire, surveillance, mesures de prévention, certification et éradication facultative. Les États membres ont la possibilité de faire reconnaître par la Commission leur programme d’éradication, leur permettant par la suite d’imposer des garanties aux échanges. En l’absence de programmes d’éradication reconnus, une maladie catégorisée CDE s’apparente à une maladie classée DE ;

- DE : déclaration obligatoire, surveillance et certification ;

- E : uniquement déclaration obligatoire et surveillance (a minima événementielle).

Des changements pratiques à prévoir

TÉMOIGNAGE

CHRISTOPHE BRARD

Président de la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV)

Ce qui va essentiellement changer pour le praticien est la gestion des nouvelles maladies à surveillance obligatoire (fièvre Q et paratuberculose, par exemple, chez les ruminants). Le vétérinaire devra disposer d’éléments pour déterminer, en pratique, ce qu’est un cas suspect, un cas confirmé, ainsi que le statut sanitaire d’un troupeau et les analyses à réaliser (rythme et nombre d’animaux). Des travaux sont menés actuellement pour mettre en place ces plans de surveillance, en lien avec la Plateforme ESA. Ces éléments seront également indispensables pour les vétérinaires officiels qui vont faire des certificats aux échanges intra-européens. De plus, la nature des visites sanitaires obligatoires va évoluer. À ce jour, elles n’ont pas d’objectif de contrôle, mais leur contenu pourrait intégrer des recueils d’informations et des remontées de données. Enfin, le rôle de conseil du vétérinaire auprès de l’éleveur, sur les mesures à mettre en place vis-à-vis des maladies réglementées, est confirmé par la LSA. Cela change peu en pratique car l’éleveur s’appuie déjà sur son vétérinaire pour la démarche diagnostique et les conseils, mais un accent plus fort est désormais mis sur la biosécurité.

Une philosophie « mieux vaut prévenir que guérir »

TÉMOIGNAGE

ALAIN CANTALOUBE

Chargé de mission aux affaires européennes et internationales à Groupements de défense sanitaire (GDS) France, coordinateur du groupe technique des organisations professionnelles agricoles sur la loi santé animale et secrétaire général de la Fédération européenne pour la santé animale et la sécurité sanitaire (Fesass)

La directive 64/432 qui réglementait depuis 1964 les mesures de police sanitaire aux échanges pour les bovins et les porcins, disparaît au profit des règlements de la LSA, et une période transitoire est accordée pour les dispositions administratives de la certification aux échanges jusqu’au 15 octobre. Cependant, pour la fièvre catarrhale ovine (FCO), un système dérogatoire se substitue aux accords bilatéraux. La France a négocié avec l’Italie et l’Espagne des dérogations proches des accords bilatéraux qui étaient en vigueur jusqu’au 21 avril, et qui vont également s’appliquer pour les expéditions depuis les autres États membres vers ces deux pays. Pour les maladies surclassées, comme la fièvre Q ou la paratuberculose, des réflexions sont à mener. Par ailleurs, la surveillance de la rhinotrachéite infectieuse bovine devra être renforcée dès la campagne 2021-2022, même si le GDS France a obtenu l’accord d’éviter de faire requalifier avec les nouvelles exigences tous les élevages déjà qualifiés. En revanche, pour les maladies que la LSA classe dans des catégories inférieures, notre combat est de conserver des dispositions qui soient mieux-disantes que la LSA pour ne pas perdre l’acquis. Ainsi, l’anémie infectieuse des équidés passe de danger sanitaire de première catégorie à classes D et E, mais doit pouvoir continuer à faire l’objet de police sanitaire et d’indemnisation de la part de l’État. Il convient toutefois de vérifier qu’une surréglementation ne crée pas une distorsion de concurrence et ne pose pas des problèmes d’échanges pour nos productions nationales. Enfin, la gestion des maladies de catégories C, D et E par les organisations professionnelles pourrait s’appuyer sur des accords sanitaires d’intérêt collectif (ASIC), remplaçant les programmes collectifs volontaires, afin de permettre à une région de s’investir sur un problème, en veillant toutefois à garantir la cohérence nationale. L’objectif de la LSA est de mettre en place un dispositif préventif individuel et collectif contre les dangers sanitaires, notamment devant l’évolution des menaces, et nous devons tous être mobilisés pour réussir cette nouvelle approche de la santé animale, jusqu’à présent davantage basée sur le curatif. Les vétérinaires jouent un rôle majeur dans la prévention individuelle, et un partenariat va devoir se renforcer, tant en matière de formation que d’accompagnement pratique sur le terrain entre les GDS et les vétérinaires praticiens, en s’inspirant des formations « éleveurs infirmiers » ou des bilans sanitaires d’élevage.

DES PARTICULARITÉS FRANÇAISES

Certaines maladies ont été surclassées par rapport à la LSA et d’autres ont été listées dans une liste d’intérêt national (non listées par la LSA). Elles feront toutes l’objet de mesures de gestion de catégorie A ou B avec des arrêtés de surveillance et de lutte spécifique. Les voici :

- Abeilles : infection Aethina tumida, infestation à Tropilaelaps ;

- Équidés : encéphalite japonaise, encéphalomyélite équine de l’Est ou de l’Ouest, encéphalomyélite équine vénézuélienne, stomatite vésiculeuse ;

- Ruminants : stomatite vésiculeuse ;

- Porcs : stomatite vésiculeuse, maladie vésiculeuse du porc, maladie de Teschen, encéphalite à virus Nipah, encéphalite japonaise.

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