Écotoxicité des médicaments vétérinaires - La Semaine Vétérinaire n° 1904 du 18/06/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1904 du 18/06/2021

DOSSIER

Auteur(s) : Par Lorenza Richard

De récentes publications sur l’écotoxicité de certains médicaments pour animaux de compagnie amènent à réfléchir à l’évolution de la réglementation sur l’évaluation avant autorisation de mise sur le marché. Dans ce contexte, quel est le rôle des laboratoires ? Et comment le vétérinaire peut-il s’impliquer dans cette démarche environnementale ?

« L’écotoxicité des médicaments vétérinaires est une préoccupation majeure à la fois de l’industrie des médicaments vétérinaires et des autorités règlementaires », déclare le Syndicat de l’industrie du médicament et diagnostic vétérinaires (SIMV) 1 – pour le SIMV, ont été interviewées Anne-Marie Imbs-Viallet, responsable des affaires techniques et réglementaires, et Marie-Anne Barthélemy, secrétaire générale. L’évaluation du risque pour l’environnement est réalisée dans les dossiers d’enregistrement des médicaments vétérinaires depuis 1992, et la surveillance des effets néfastes pour l’environnement est ensuite assurée grâce à la pharmacovigilance. Le SIMV ajoute que « la profession vétérinaire est naturellement amenée à faire de la pédagogie auprès des propriétaires d’animaux pour une bonne observance des traitements prescrits. La formation scientifique du praticien lui permet d’appréhender les enjeux d’une prescription raisonnée et l’importance de la déclaration des cas de pharmacovigilance. »

Ainsi, l’Agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV) délivre les autorisations de mise sur le marché (AMM) si la balance bénéfices/risques pour un médicament donné est positive. L’évaluation des risques comprend, outre l’évaluation du risque au regard de la santé animale et de la santé humaine, une évaluation du risque environnemental. Un médicament vétérinaire peut ainsi ne pas obtenir d’AMM s’il présente une menace pour l’environnement. « L’évaluation est effectuée selon des lignes directrices VICH1 internationales, applicables depuis 2001, en deux phases successives » explique Benoît Courty, chef d’unité expertise de l’ANMV et expert du groupe de travail sur l’évaluation du risque pour l’environnement (Erawp pour environmental risk assessment working party) de l’Agence européenne des médicaments (EMA).

Des alertes récentes

La première phase (phase I) consiste à estimer l’exposition de l’environnement à la substance active du médicament ; la seconde (phase II) à une évaluation poussée, renseignant notamment le devenir et les effets attendus dans les différents compartiments environnementaux. Cependant, si la phase II est enclenchée pour la plupart des médicaments destinés aux animaux de rente, ce n’est pas le cas pour les animaux de compagnie. « Il a en effet été considéré, lors de la rédaction de la partie dédiée à la première phase d’évaluation de ligne directrice, que pour ces animaux, s’agissant de traitements individuels, la quantité de médicaments était moindre dans l’environnement et permettait de considérer qu’elle n’était pas à risque », explique Benoît Courty.

Pourtant, une récente publication met en évidence une mortalité d’oisillons dans des nids construits avec des poils d’animaux domestiques aux Pays-Bas2. De plus, une étude de 20203 montre la présence d’imidaclopride et de fipronil dans les rivières en Angleterre. Ces molécules étaient encore autorisées pour d’autres usages au moment des prélèvements, et une autre publication4 est moins alarmiste, cependant, même si « la première approche est de dire que l’impact d’un spot on sur un chien est négligeable, ce genre de publication a tendance à montrer qu’une contamination est possible » constate Jean-Pierre Orand, directeur de l’ANMV. « Les dernières études menées dans le cadre du Plan National Santé Environnement et le rapport de l’académie de pharmacie de 2019 indiquent que le risque sanitaire est estimé négligeable. Il convient toutefois de promouvoir la recherche et la surveillance » précise le SIMV.

Des réflexions en cours

Ainsi, « l’ERAWP est mandaté par le Comité des médicaments à usage vétérinaire pour travailler sur une réflexion autour de l’utilisation des médicaments vétérinaires chez les animaux de compagnie, en prenant en compte les données nouvelles apportées par ces publications scientifiques récentes, et en visant en particulier les antiparasitaires, annonce Benoît Courty. Celles-ci pourraient remettre en cause la décision qui a été prise concernant la non-réalisation de la phase II de l’évaluation pour les animaux de compagnie. Une proposition est attendue pour fin 2021, qui doit juger de la pertinence du système actuel. » Dans le cadre de ce travail, un premier document de cadrage a été finalisé courant 20205 via l’EMA.

Ce groupe « va discuter de l’usage prudent des antiparasitaires (dont la plupart ne font pas l’objet de prescription en France), déterminer si les mesures de gestion des risques sont appropriées et suffisantes, et envisager l’usage d’alternatives efficaces si le cas de figure le permet » précise-t-il. De plus, « le Réseau français de santé animale a créé un groupe dédié à la résistance aux antiparasitaires, et le SIMV un groupe de travail qui a dans sa feuille de route d’analyser les publications traitant de l’impact des antiparasitaires sur l’environnement et d’accompagner les évolutions réglementaires », ajoute le SIMV.

Rôle des vétérinaires : RCP et observance

Enfin, une mise à jour de certains vieux dossiers d’AMM est nécessaire, car « ils comprennent peu d’informations concernant la protection de l’environnement. Ainsi l’ANMV s’est autosaisie sur les risques liés à l’usage des antiparasitaires externes sous forme de bains, douches et pulvérisations chez les ruminants afin de voir s’il convient de réviser les AMM pour mieux prendre en compte risque pour l’environnement », précise Jean-Pierre Orand.

Les cas de pharmacovigilance6 peuvent également, si le risque est avéré, mener au retrait d’une AMM ou à la modification de la rubrique relative aux effets indésirables ou aux précautions d’utilisation dans le résumé des caractéristiques du produit (RCP). Ils sont cependant rares, « car il est souvent compliqué de relier un effet observé à un médicament précis dans le cadre de son utilisation normale », constate Jean-Pierre Orand. Il précise ainsi qu’il est important, « que le vétérinaire lise bien les RCP, car c’est son rôle à part entière, lors de la prescription, de choisir le médicament le plus adapté à la situation sanitaire de l’animal, au risque exposé, et à la capacité d’une bonne observance du traitement par le propriétaire de l’animal. Il doit insister sur les risques et les mesures de sécurité auprès du propriétaire, même si le médicament paraît anodin. » Pour lui, avec la part croissante du One Health, « il y a une sensibilisation croissante des vétérinaires sur l’écotoxicité des médicaments, et ils ont une place à part entière dans la protection de l’environnement. Ils ne doivent pas louper le tournant, car ce rôle majeur participe à l’amélioration de l’image de la profession. » Enfin, dans le cadre du Green Deal européen7, Jean-Pierre Orand conseille « de mieux organiser l’élimination des déchets de soins et les médicaments périmés ou non utilisés en médecine vétérinaire, et de faire des recommandations auprès des propriétaires pour éviter qu’ils les jettent dans la nature ».

Jacques Devos

Commission parasitologie de la SNGTV

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Des formations nécessaires

La prise de conscience par les praticiens de l’impact des antiparasitaires sur la faune non cible et l’écologie de la pâture, et la nécessitée de protéger l’environnement, a augmenté. Elle est liée aux communications et formations sur le sujet et aux recommandations environnementales des autorisations de mise sur le marché des médicaments. De plus, la visite sanitaire bovine de 2020, qui portait sur le sujet des antiparasitaires, a été l’occasion de rappeler qu’il importe de tenir compte de leur impact au moment de la prescription (moment, produit, mode d’administration selon le bénéfice attendu). Les retours des questionnaires montrent que les vétérinaires sont concernés et soucieux de conseiller les éleveurs à ce sujet. Les commissions environnement et parasitologie de la SNGTV souhaitent mettre en place des formations pour les vétérinaires sur la reconnaissance de la faune non cible, les résidus des traitements et la gestion des effluents. La moxidectine par exemple est moins toxique pour les bousiers, mais plus pour les poissons, et son effet cumulatif dans l’environnement est plus important. Les lactones macrocycliques ont un impact important, mais les organophosphorés ou les pyréthrynoïdes en aspersion sont problématiques en raison du ruissellement, de même que les traitements acaricides réalisés en baignoire chez les ovins. Ainsi, des connaissances approfondies et objectives sur l’impact réel des traitements permettront aux vétérinaires de choisir en pondérant les différentes informations.

Hervé Pouliquen et Martine Kammerer

Professeurs à Oniris

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Une évolution souhaitée par les étudiants

La formation sur l’impact des médicaments vétérinaires sur l’environnement est une problématique centrale et elle prend de l’importance dans l’enseignement vétérinaire. Depuis une dizaine d’années, ce sujet fait partie intégrante de l’enseignement à Oniris, et, en deuxième année, une séance de travaux dirigés de deux heures porte sur l’évaluation de l’innocuité d’un médicament à partir de ses données écotoxicologiques. Il serait toutefois nécessaire qu’il ne soit pas abordé qu’en pharmacologie et toxicologie, mais également dans les autres disciplines, notamment au moment de traiter une affection. Bien que l’arsenal thérapeutique soit restreint pour les vétérinaires, il nous semble important aujourd’hui de prendre en compte l’impact sur l’environnement parmi les critères de choix d’un médicament. C’est important pour les étudiants, plus sensibilisés à ces questions depuis quelques années, à l’image de la société. À Oniris, ils organisent des conférences en fin de journée, sur des sujets divers, et ils nous ont sollicités à deux reprises pour intervenir sur l’écotoxicité des médicaments, notamment des antiparasitaires. De plus, une étudiante, qui ne comprenait pas pourquoi l’écotoxicité des médicaments pour les chiens et chats n’est pas prise en compte à ce jour, a commencé une thèse sur ce sujet, à son initiative. L’évolution vers une plus grande prise en compte de ce sujet est ainsi une vraie demande des étudiants.

Christophe Roy

Praticien rural et apicole à Riom-ès-Montagnes (Cantal)

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Appliquer davantage un principe de précautions

Je suis sensible à l’impact environnemental des médicaments, surtout depuis que je m’intéresse aux abeilles et que j’entends les plaintes des apiculteurs. Certains relient les intoxications des abeilles aux traitements d’élevages environnants1, notamment par les antiparasitaires. Je ne sais pas s’ils ont raison mais c’est une problématique à prendre en compte. Les vétérinaires en sont conscients et montent des initiatives locales2. Cependant ils manquent d’éclairages sur le devenir des résidus de médicaments. Les laboratoires sortent des produits efficaces, qui répondent au besoin du marché et à toutes les normes en vigueur en termes d’écotoxicité. Mais les informations sont parfois insuffisantes sur la rémanence réelle des résidus à moyen et long termes. Cela n’est bon ni pour l’environnement, ni pour le prescripteur qui peut perdre la confiance du détenteur des animaux traités, ni pour le laboratoire, à qui cela peut être reproché – commercialement ce n’est pas pertinent pour lui. Ainsi, si nous avons un devoir de prescription éclairée, en privilégiant les produits les moins écotoxiques et rémanents, les laboratoires ont également un rôle d’informations et devraient, dans certains cas, aller plus loin que les exigences réglementaires demandées. Ainsi, de nombreux tests portent sur des insectes référents, comme les collemboles, mais sont-ils représentatifs de l’entomofaune ? Ce problème ne concerne pas que les animaux de rente, et des coproscopies devraient être proposées pour des vermifugations raisonnées des animaux de compagnie, même s’il y a des enjeux économiques.

  • 1. Ce programme trilatéral entre l’Union européenne, le Japon et les États-Unis, vise à harmoniser les exigences techniques pour l’enregistrement des produits vétérinaires. Son intitulé complet est : Coopération internationale pour l’harmonisation des exigences techniques pour l’enregistrement des médicaments vétérinaires (International Cooperation on Harmonisation of Technical Requirements for Registration of Veterinary Medicinal Products).
  • 2. Guldemond A., Gommer R., Leendertse P. et coll., Koolmezensterfte en buxusmotbestrijding, Pesticidenbelasting bij jonge koolmezen, CLM, 2019, rapport 998.
  • 3. Perkins R., Whitehead M., Civil W. et coll., Potential role of veterinary flea products in widespread pesticide contamination of English rivers, Science Total Environment. 2020 ; 755 (pt 1) : 143560.
  • 4. Anthe M., Valles-Ebeling B., Achtenhagen J. et coll., Development of an aquatic exposure assessment model for Imidacloprid in sewage treatment plant discharges arising from use of veterinary medicinal products, Environ Sci Eur., 2020 ; 32 (1) : 147.
  • 5. Concept paper for the development of a reflection paper on the environmental risk assessment for parasiticide veterinary medicinal products used in companion animals : http://www.bit.ly/3v7PXLZ
  • 6. Le nouveau règlement 2019/6 accentue la prise en compte dans la pharmacovigilance des publications parues dans les revues scientifiques.
  • Voir aussi :
  • Rapports Anses Campagne nationale d’occurrence des résidus de médicaments dans les eaux destinées à la consommation humaine, mars 2011, et Campagne nationale de mesure de l’occurrence de composés émergents dans les eaux conditionnées, juillet 2018.
  • Quelques initiatives (non exhaustives) :
  • - L’Ordre des vétérinaires a mis en ligne des fiches pratiques sur la destruction des médicaments stupéfiants périmés ou altérés, le regroupement par le vétérinaire des médicaments non utilisés, la gestion raisonnée des déchets d’activité de soins et la méthode de tri des déchets médicamenteux, ainsi qu’un guide technique sur l’élimination des déchets vétérinaires, téléchargeables sur http://www.veterinaire.fr
  • - Ouvrages édités par la Société nationale des groupements techniques vétérinaires :
  • Guide de bonnes pratiques pour un usage raisonné des insecticides et des acaricides dans la lutte contre les acariens ou les insectes, SNGTV, Unaf, Afvac, 2020.
  • Référentiel de gestion raisonnée et durable du parasitisme bovin au pâturage en zones humides, ministère de la Transition écologique et SNGTV, 2020, 103 pages.
  • - L’association Eco Véto souhaite promouvoir et développer une pratique vétérinaire respectueuse de l’environnement, à travers des écogestes, notamment concernant les médicaments. Une initiative à suivre sur http://www.ecoveto.org
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