RAISONNER LA STÉRILISATION DU CHIEN MÂLE - La Semaine Vétérinaire n° 1903 du 11/06/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1903 du 11/06/2021

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PRATIQUE CANINE FÉLINE NAC

Auteur(s) : MYLÈNE PANIZO

Les données récentes de la science montrent que la castration n’est pas un acte anodin. Elle s’inscrit dans une approche personnalisée de l’animal, en fonction de sa race, de son âge et de son comportement.

Le taux de castration des chiens mâles varie considérablement en fonction des régions. Dans les pays anglo-saxons, la castration est fréquemment pratiquée, tandis que les pays scandinaves ne castrent plus pour des raisons de convenance - cela est même interdit en Norvège. En effet, des données récentes montrent que la castration a des impacts sur la santé. De leur côté, les propriétaires de chiens mâles sont de plus en plus demandeurs d’alternatives à la stérilisation chirurgicale. Ce sujet a été abordé lors d’une web conférence organisée par le laboratoire Virbac, le 18 mai dernier, par deux spécialistes européens en reproduction animale (ECAR, European college of animal reproduction) : Sylvie Chastant-Maillard, responsable du centre NeoCare à l’École nationale vétérinaire de Toulouse (ENVT), et Alain Fontbonne2, professeur au Centre d’étude en reproduction des carnivores (CERCA, unité de médecine de l’élevage et du sport, UMES, École nationale vétérinaire d’Alfort, ENVA).

Des effets avérés sur la santé

Les animaux castrés décèdent moins de causes traumatiques et infectieuses que les chiens entiers (moins de fugues et de bagarres chez les mâles castrés). Cependant, rappelle Sylvie Chastant-Maillard, il a été constaté chez les mâles castrés une augmentation de la prévalence des maladies immunitaires - dermatite atopique, hypoadrénocorticisme, anémie hémolytique - et tumorales - notamment hémangiosarcomes, lymphomes, carcinomes. Cette hausse significative n’est pas liée à un allongement de l’espérance de vie. Ce phénomène, inexpliqué à ce jour, serait probablement lié à l’augmentation de la concentration circulante en hormone lutéinisante (LH) après une gonadectomie, de façon similaire à l’apparition des tumeurs surrénaliennes après castration chez le furet.

D’autres conséquences ont été observées : préjudice esthétique (risque de développement de poils juvéniles), risque de surpoids et augmentation des affections orthopédiques (rupture des ligaments croisés, signes cliniques de dysplasie de la hanche et du coude).

Une donnée plus surprenante a été publiée : si aucune hyperplasie de la prostate n’a été décrite chez les mâles castrés, une incidence augmentée des carcinomes prostatiques chez le bouvier des Flandres a été constatée. « Cette donnée doit être confirmée par d’autres études dans d’autres races », précise la conférencière.

Race et âge

Il existe une nette différence de sensibilité aux effets de la castration selon les races. À titre d’exemple, le risque de tumeur est augmenté chez le lhassa apso et le yorkshire terrier, alors qu’il est diminué chez le shih tzu ou le scottish terrier. Le type de cancer dépend aussi de la race : la prévalence des ostéosarcomes et des hémangiosarcomes est augmentée chez le golden retriever et le rottweiler.

L’âge lors de la castration a également un impact sur l’augmentation du risque cancéreux. En 2020, une étude1 a été réalisée sur l’influence de la castration et de l’âge au moment de la gonadectomie et sur les effets négatifs de celle-ci, en fonction de la race (35 races étudiées). Son but : apporter une aide décisionnelle au praticien, afin qu’il puisse déterminer l’âge optimal de la castration en fonction de la race du chien. Chez le golden retriever, la castration avant l’âge d’un an induit une forte augmentation des troubles articulaires (développement de signes cliniques liés à la dysplasie de la hanche, indépendamment du surpoids éventuel) et des maladies tumorales. Il est donc conseillé, pour cette race, d’attendre au moins l’âge d’un an pour la castration. Chez le bouvier bernois et le boxer, il est recommandé d’attendre l’âge de 2 ans, alors que chez le teckel l’âge ne semble pas avoir d’incidence particulière. Dans cette étude, les auteurs déconseillent la castration du dobermann. « Quelle que soit la race, et contrairement à une idée reçue, la stérilisation précoce n’entraîne pas de retard de croissance », précise Sylvie Chastant-Maillard.

Les comportements dits gênants

Les propriétaires sont généralement réticents à parler des comportements gênants potentiellement liés à la testostérone, ou ils les considèrent comme étant normaux et inévitables chez un chien mâle. « Il faut donc que le praticien aborde le sujet en consultation », estime Alain Fontbonne. Chez la majorité des chiens, la castration a un effet positif sur l’agressivité inter-mâles, notamment les bagarres, mais dans 2 à 4 % des cas il y a une aggravation ou une absence de changement. Il y a en revanche, en général, de bons effets sur le comportement de chevauchement et les fugues. Quant au marquage urinaire, il diminue la plupart du temps à l’intérieur du foyer avec la castration, mais cet effet est beaucoup moins net à l’extérieur de la maison.

Il est essentiel de savoir distinguer les comportements dits gênants, mais normaux, des troubles du comportement. Dans ce dernier cas, la première chose à faire est de conseiller au propriétaire de consulter un vétérinaire comportementaliste et de ne surtout pas castrer le chien en première intention. Une attention particulière doit être portée par rapport au risque d’agression envers les humains : selon une étude2 de 2018 portant sur plus de 13 000 chiens, la castration, notamment avant l’âge d’un an, pourrait aggraver certains comportements agressifs vis-à-vis des personnes, notamment celles étrangères au foyer (facteur, livreur, etc.). Selon le conférencier, « il ne faut donc jamais garantir une amélioration au propriétaire qui souhaite faire castrer son chien pour des raisons comportementales, et il semble préférable dans ce cas de ne pas le castrer avant la fin de la puberté ».

Les alternatives à la chirurgie

L’implant sous-cutané de desloréline relargue de façon continue (pour une durée de 6 ou 12 mois) un agoniste de la gonadolibérine (GnRH, gonadotropin releasing hormone), ce qui entraîne un arrêt de la sécrétion de FSH (hormone folliculo-stimulante) et de LH (hormone lutéinisante) en une quinzaine de jours. En cas de première implantation, il est conseillé de poser un implant de 4,7 mg. Les changements comportementaux obtenus sont très prédictifs de ceux attendus lors de la stérilisation chirurgicale. Il s’agit donc d’un bon test pour des chiens ayant des comportements gênants. Il n’est pas conseillé d’implanter avant la puberté, hors autorisation de mise sur le marché (AMM). Le retour de la fertilité est plus tardif dans ce cas, notamment chez les petites races.

Il existe une différence de fonctionnement dans le principe de l’implant par rapport à la castration : lors de gonadectomie, l’inhibition centrale de la testostérone sur l’hypophyse n’est plus active, d’où une augmentation de la concentration en FSH et LH. L’implant de desloréline entraîne une inhibition hypophysaire et donc un arrêt de la synthèse de la LH et de la FSH. « On pourrait penser que la pose de l’implant pour stériliser un chien n’a pas les mêmes effets sur la santé que la castration chirurgicale, mais on ne dispose pas de données sur le long terme à ce jour sur les conséquences éventuelles de l’implantation régulière de desloréline chez les chiens mâles », précise Alain Fontbonne. Et Sylvie Chastant-Maillard de rappeler : « Stériliser ne signifie pas castrer. » La vasectomie est un acte chirurgical simple qui empêche la reproduction mais qui ne modifie pas le comportement, et n’a pas d’effet sur la santé (absence de changements hormonaux). Elle est très utile pour les propriétaires qui ne veulent pas risquer une gestation, par exemple pour un chien vivant en liberté.

1. Hart B.L., Hart L.A., Thigpen A.P. et coll., Assisting decision-making on age of neutering for 35 breeds of dogs: associated joint disorders, cancers, and urinary incontinence, Front Vet Sci., 2020;7:388.

2. Farhoody P., Mallawaarachchi I., Tarwater P.M. et coll., Aggression toward familiar people, strangers, and conspecifics in gonadectomized and intact dogs, Front Vet Sci., 2018;5:18.

Autres sources :

Sundburg C.R., Belanger J.M., Bannasch D.L. et coll., Gonadectomy effects on the risk of immune disorders in the dog: a retrospective study, BMC Vet Res., 2016 Dec 8;12(1):278.

Maarschalkerweerd R.J., Endenburg N., Kirpensteijn J. et coll., Influence of orchiectomy on canine behaviour, Vet Rec., 1997;140(24):617-9.

De Gier J., Buijtels J.J.C.W.M., Albers-Wolthers C.H.J. et coll., Effects of gonadotropin-releasing hormone administration on the pituitary-gonadal axis in male and female dogs before and after gonadectomy, Theriogenology, 2011;77(5):967-78.

Bamberger M. et Houpt K.A., Signalment factors, comorbidity, and trends in behavior diagnoses in dogs: 1 644 cases (1991-2001), J Am Vet Med Assoc., 2006;229(10):1591-1601.

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