TÉLÉMÉDECINE : UN LENT DÉMARRAGE - La Semaine Vétérinaire n° 1901 du 28/05/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1901 du 28/05/2021

E-SANTÉ

ANALYSE

Auteur(s) : TANIT HALFON

Avec seulement un millier de vétérinaires inscrits, l’expérimentation de la télémédecine vétérinaire n’a pas eu le succès escompté. Les instances professionnelles travaillent malgré tout sur le bilan.

À six mois de la fin de l’expérimentation de la télémédecine qui a commencé début mai 2020 pour une période de 18 mois, le compte n’y est pas. Au mois d’avril, seuls 1 050 vétérinaires et 350 établissements étaient inscrits sur le listing tenu par le Conseil national de l’Ordre des vétérinaires (CNOV). Avec un total d’environ 600 actes déclarés. Un constat très décevant, pour Denis Avignon, vice-président du CNOV, en charge du dossier pour l’Ordre. « Il ressort qu’une minorité de vétérinaires inscrits à l’expérimentation ont déclaré une majorité d’actes », précise-t-il. Comment l’expliquer ? On ne peut que faire des hypothèses. Ce qui est certain en revanche est que le bilan que doit rédiger le comité de pilotage - CNOV, Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL) et organismes techniques - doit être présenté au ministère de tutelle d’ici la fin de l’année. Et qu’il « sera surtout qualitatif, sur la base d’enquêtes auprès des praticiens ayant participé à l’expérimentation. Nous allons aussi exploiter des données issues de quelques plateformes dédiées à la télémédecine, avec lesquelles nous entretenons de bonnes relations », détaille Denis Avignon. En complément, une enquête a été lancée, via la Fédération des vétérinaires d’Europe (FVE), sur l’usage de la télémédecine dans les pays membres de la Fédération. L’enquête est close et son dépouillement en cours. En parallèle aussi, le SNVEL a mis en place un groupe de travail pour réfléchir sur les usages et mésusages de la télémédecine, précise David Quint, vice-président du syndicat.

Des modifications à la marge

Malgré la faible participation des vétérinaires, il est peu probable que la télémédecine ne soit pas autorisée au-delà de l’expérimentation, soutient Denis Avignon. Mais cela ne nuira-t-il pas à l’adaptation du décret, en n’identifiant pas toutes les problématiques posées par la pratique ? Les modifications resteront à la marge, car il n’y a quasiment aucune remontée de dérives du terrain, ou minimes, explique à ce sujet Denis Avignon. « Cela a été par exemple un site qui proposait de la téléconsultation, sans s’assurer que le demandeur avait bien un contrat de soins avec le praticien qui effectuait l’acte. Ou encore des sites proposant du téléconseil qui s’avérait être de la téléconsultation. Cela a été vite résolu ou est en voie de résolution. » La notion de téléconseil ne sera pas précisée dans le décret, car il ne s’agit pas d’un acte vétérinaire1. Pas d’inquiétude non plus sur la prescription. « La télémédecine ne modifie en rien les conditions de délivrance des médicaments vétérinaires. Elle ne crée pas de nouvelles opportunités de prescription. Tant que le dossier du suivi sanitaire permanent ne sera pas résolu, nous aurons droit à ce type d’affirmations fausses qui nuisent à la mise en œuvre de la télémédecine dans les établissements de soins », souligne-t-il.

Trouver le bon équilibre

Parmi les modifications envisagées, « nous réfléchissons à la définition de la régulation médicale, qui est, et ça doit être dit avec force, un acte vétérinaire, afin d’éviter que des sociétés non vétérinaires s’y engouffrent ». Il y a aussi des discussions pour certaines spécialités vétérinaires, qui pourraient éventuellement être dispensées d’une consultation physique au préalable « mais l’usage de la téléassistance dans ces cas est également une piste ». Il reste aussi à préciser s’il convient de certifier les plateformes dédiées à la téléconsultation, et interdire les outils généralistes, et si oui pour quels motifs. Pour David Quint, l’objectif maintenant est de trouver un équilibre dans le décret : d’un côté, être le plus précis possible pour sécuriser la pratique, dans l’intérêt des patients et des praticiens, et limiter les risques de dérives ; de l’autre, laisser suffisamment de souplesse pour ne pas freiner d’éventuelles opportunités. Toutefois, il précise qu’il y a des limites à la modification du texte : « Nous l’avons vu lors des discussions concernant le décret d’expérimentation, il existe des “impossibilités” juridiques en raison de l’existence d’autres textes, par exemple nous avions fait la demande de limiter la télémédecine aux vétérinaires traitants en élevage, mais il nous a été répondu que cela allait au-delà du décret prescription-délivrance. Pour ce point, il faudra travailler sur l’ensemble des textes réglementaires. » Il rappelle également que le Conseil d’État « tiendra aussi compte de l’aspect utilisateur, et pas uniquement du côté vétérinaire ». « Nous en sommes au stade du débat, il n’y a pas encore de position consensuelle. Il nous faudra trouver un dénominateur commun pour poser le cadre définitif de la télémédecine. »

1. Cette notion avait été définie lors de la session du CNOV de juin 2020 comme « l’échange d’informations d’ordre général, qui peut être en relation avec la santé animale, entre les détenteurs d’animaux et les intervenants d’un site internet dédié (ou une application smartphone). Cet échange ne peut en aucun cas être l’occasion d’un recueil de commémoratifs conduisant à la dispensation de conseils personnalisés, voire d’un diagnostic qui caractérisent un acte vétérinaire, la téléconsultation, définie par le décret relatif à l’expérimentation de la télémédecine. »

Collectif TLM : « Un manque de précision »

Le collectif TLM met en avant depuis plusieurs mois sur son site les problématiques soulevées par la télémédecine. Pour Thibaut Humbert, praticien canin dans la Marne, et membre du collectif, le texte n’est pas assez précis. « La régulation médicale est associée dans le décret à une “situation présumée d’urgence”. Mais la notion d’urgence est vague. On pourrait arguer qu’il s’agit d’une urgence à partir du moment où un propriétaire est inquiet. De fait, certains prestataires, sous couvert de régulation médicale, pourraient proposer un service de téléconsultation en ligne à des propriétaires inquiets pour leur animal. » Pouvoir certifier de l’identité du professionnel de santé serait aussi un point à préciser pour lutter contre les fausses ordonnances. Mais c’est la question de la téléprescription qui lui apparaît comme la plus délicate. « Le décret a été pensé avec l’actuelle règle du colisage. Or, cette pratique pourrait être contraire au nouveau règlement européen sur le médicament vétérinaire. L’article 104 interdit par défaut la vente de médicaments soumis à ordonnance au moyen des services de la société de l’information, dont la visio fait partie. Toutefois, il laisse la possibilité à un État membre d’autoriser cette vente à distance à la condition de disposer d’un système sécurisé. La France optera-t-elle pour cette option ? La France peut-elle disposer d’un système sécurisé sans garantir a minima l’identité du vétérinaire ? L’idéal serait d’écrire noir sur blanc les situations où une téléprescription est possible. »

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