FIÈVRE Q : DES RISQUES SOUS-ESTIMÉS - La Semaine Vétérinaire n° 1901 du 28/05/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1901 du 28/05/2021

CONFÉRENCE

PRATIQUE MIXTE

Auteur(s) : CLOTHILDE BARDE

À l’occasion d’une réunion du comité fièvre Q, le 18 mai dernier, les résultats d’une étude nationale menée en 2020 auprès de vétérinaires, médecins et éleveurs ont été présentés, révélant une perception atténuée de l’ampleur et de la gravité de la maladie.

Seuls 10 % des éleveurs de ruminants et 30 % des vétérinaires en France perçoivent la fièvre Q, zoonose bactérienne causée par Coxiella burnetii, comme une menace. Ces chiffres collectés par l’institut Viavoice ont été présentés le 18 mai lors d’une réunion du comité fièvre Q, présidée par Raphaël Guatteo, professeur en médecine bovine à Oniris, et Christophe Brard, président du conseil d’administration de la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV). Pour la première fois à la demande de ce comité d’experts1 créé en janvier 2020 avec le soutien institutionnel de Ceva Santé animale, la sous-estimation du risque associé à la maladie par les professionnels de santé (vétérinaires et médecins) et de l’élevage (éleveurs) a été objectivée dans une enquête de terrain. Celle-ci, qui décrit la perception du risque ainsi que les connaissances et les pratiques actuelles, a pour objectif de redonner une nouvelle dynamique à la lutte contre la fièvre Q en sensibilisant les publics professionnels. Pour cela, du 1er septembre au 7 octobre 2020, deux échantillons de professionnels de la santé (100 vétérinaires et 100 médecins généralistes) exerçant en milieu rural (moins de 20 000 habitants) ainsi qu’un échantillon de 375 éleveurs (134 ovins, 100 caprins, 198 bovins) ont réalisé des entretiens téléphoniques concernant leur vision de la maladie.

Une perception erronée

Premier constat, confirmant les craintes des membres du comité, la fièvre Q est une maladie connue par la majorité des éleveurs (76 %) mais dont le risque est minimisé car elle est peu expérimentée en pratique (12 % des éleveurs y ont été confrontés), a indiqué Amandine Messina, directrice d’études à l’institut Viavoice. De fait, interrogés sur le risque d’introduction de la fièvre Q dans les élevages, seuls 10 % des éleveurs et 30 % des vétérinaires jugent ce risque élevé. Parallèlement, 30 % des médecins exerçant en zone rurale estiment que la fièvre Q représente un danger important de santé publique. Cette vision erronée de la maladie s’explique, pour 36 % des vétérinaires interrogés, par le fait que les éleveurs ne sont pas suffisamment informés sur les risques et l’importance de la prévention. Ainsi, parmi les éleveurs, seul un tiers est sûr que la maladie est zoonotique et moins d’un sur deux sait que l’avortement est le principal signe clinique. 30 % des éleveurs et 20 % des vétérinaires ne se prononcent pas sur les symptômes de la fièvre Q chez l’animal. Néanmoins, la notion de maladie professionnelle semble être maîtrisée par la majorité des médecins. « Il existe donc un socle de connaissance mais, au vu du nombre notable de réponses “Ne me prononce pas” (> 10 %), elles doivent encore être solidifiées », selon Amandine Messina.

Des conséquences réelles

De plus, comme l’a ajouté Renée de Crémoux, cheffe de projet recherche et développement au département qualité des produits, bien-être et santé de l’Institut de l’élevage, cette méconnaissance des risques liés à la maladie est en décalage avec la réalité de l’infection, puisque les études de séroprévalence réalisées par les experts de la Plateforme d’épidémio-surveillance en santé animale (ESA) montrent que plus de la moitié des troupeaux caprins et ovins et près de 30 % des troupeaux bovins seraient exposés à la fièvre Q en France2. En outre, les informations recueillies dans le cadre du protocole Oscar (Observatoire et suivi des causes d’avortements chez les ruminants), sur des épisodes abortifs en fin de gestation entre 2017 et 2020, ont montré qu’il s’agit de la première maladie responsable d’avortements chez les caprins (25 %) et de la seconde chez les ovins et les bovins (respectivement 20 et 10 %). L’exposition de l’homme est également sous estimée car, comme l’a montré une récente enquête de prévalence, bien que des anticorps contre Coxiella burnetii ne sont détectés dans la population générale que chez 12 % des personnes, chez les professionnels de l’élevage 56 % des éleveurs et jusqu’à 90 % des vétérinaires possèdent des anticorps, marqueurs d’un contact direct avec la bactérie3 ! Par ailleurs, comme l’a indiqué Kristel Gache, épidémiologiste chez GDS France et animatrice du groupe d’investigation fièvre Q de la Plateforme ESA, les données actuelles sur la maladie montrent que l’infection peut être pénalisante pour les éleveurs par ses répercussions économiques (troubles de reproduction, jusqu’à 20 % de chute de la production laitière) et les risques de santé publique encourus.

Encourager détection et prévention

Malgré toutes ces conséquences, selon Raphaël Guatteo, la maladie est encore insuffisamment maîtrisée. Les résultats de l’enquête ont permis de montrer qu’il est difficile pour les vétérinaires de convaincre les éleveurs de déclarer leurs avortements (65 % des éleveurs) et la méthodologie du diagnostic lui-même pose souvent problème. « Chez les bovins, seul un avortement sur trois ferait l’objet d’une déclaration3. Quant aux avortements déclarés et investigués, le bilan 2020 du dispositif Oscar4 atteste que 6 % des résultats se révèlent non utilisables du fait de non-conformités sur les prélèvements », a précisé Kristel Gache. Concernant le volet biosécurité, outre le fait que les mesures envisagées par les éleveurs sont non spécifiques (isolement des animaux), ces derniers les mettent peu en pratique. Seul un éleveur sur deux, parmi les 12 % ayant connu un épisode de fièvre Q, a appliqué des mesures de protection (mesures d’hygiène et la vaccination n’a été réalisée que par 25 % de ces éleveurs). C’est pourquoi, comme l’a indiqué Éric Collin, président de la commission épidémiologie de la SNGTV, « les vétérinaires devront intervenir davantage pour que les éleveurs déclarent leurs avortements. De même, la vaccination, en collaboration entre éleveur et vétérinaire avec un suivi dans le temps, doit être promue pour assainir le troupeau de manière progressive. » À cet égard, le comité s’engage à objectiver le risque global lié à la fièvre Q avec des études complémentaires sur la fréquence et ses impacts réels, à former et informer les professionnels sur les impacts de la maladie, à promouvoir la déclaration des avortements auprès des éleveurs, à former les vétérinaires aux diagnostics, à informer sur les moyens de maîtrise et diffuser des informations consensuelles à l’aide de fiches techniques et, enfin, à favoriser la synergie dans le One Health, a conclu Raphaël Guatteo.

1. Les membres du comité sont Christophe Brard (SNGTV), Raphaël Guatteo (Oniris), Kristel Gache (GDS France), Renée de Crémoux (Institut de l’élevage), Éric Collin (SNGTV).

2. Gache K., Rousset E. Perrin J.B. et coll., Estimation of the frequency of Q fever in sheep, goat, and cattle herds in France: results of a 3-year study of seroprevalence of Q fever and excretion level of Coxiella Burnetii in abortive episodes, Epidemiol Infect., 2017;145(15):3131-3142.

3. Pouquet M., Moret L., Beaudeau F., Risque zoonotique : prévalence et déterminants de l’infection par Coxiella burnetii, agent de la fièvre Q, chez l’adulte dans le Grand-Ouest de la France, Médecine et Maladies Infectieuses. 2018;48(4);Supplement:S110.

4. www.bit.ly/3yqdf2t

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