UNE CINQUIÈME ÉCOLE POUR ÉVITER UN HARA-KIRI COLLECTIF - La Semaine Vétérinaire n° 1900 du 21/05/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1900 du 21/05/2021

EXPRESSION

Auteur(s) : ROGER MELLINGER

La France fut la pionnière de l’enseignement vétérinaire. Bourgelat créa la première école, en 1761, à Lyon, pour fournir à notre pays des vétérinaires formés sur des bases scientifiques. Plusieurs vétérinaires français, issus de cette matrice, ont exporté notre modèle original dans d’autres pays : Liautard aux États-Unis, Daubigny au Canada, etc.

Aujourd’hui, deux changements menacent 260 ans de ce passé glorieux.

Le premier sera effectif dès cette rentrée scolaire qui verra intégrer, directement, dans les quatre ENV, 160 post-bac, sélectionnés sur la base d’une lettre de motivation, de leur dossier scolaire et de sept « mini-entretiens scénarisés ».

Le premier objectif recherché est d’augmenter la diversité sociale et territoriale. Le choix des bases de cette sélection est contestable. La lettre de motivation est un pur exercice de style. Le dossier scolaire, s’il reflète les performances du secondaire, ne préjuge en rien des capacités de l’étudiant à s’élever au niveau des exigences des classes préparatoires. Enfin, les sept mini-entretiens scénarisés s’apparentent à une audition d’école du spectacle. Les premiers résultats de cette sélection sont connus. Ils étaient 6 329 à postuler sur Parcoursup, 700 sont admissibles soit 11 %, reste à sélectionner 160 admis qui représenteront 2,53 % des dossiers présentés, une hécatombe… qui aura créé 97,47 % de frustrés. Mais, pire, ce recrutement est une injustice à l’égard des étudiants qui auront accepté de se soumettre à la sélection des classes préparatoires et aux multiples épreuves du concours. Ils verront leur nombre d’admis amputé de 160 places !

La réalité du recrutement post-bac est mise en évidence dans le rapport de l’Institut des politiques publiques qui signale le maintien des inégalités sociales et territoriales. Je pense, avec d’autres, que ce recrutement limitant les critères de sélection au dossier et à des mini-entretiens favorise les élèves issus de milieux informés, ceux qui auront bénéficié des bons conseils, des codes de l’expression orale, des réseaux.

Le deuxième objectif est de ramener le cursus des études à six années. Il était possible d’atteindre cet objectif en réduisant le passage en classes préparatoires à une seule année. Il n’est pas trop tard pour reconsidérer les modalités du regroupement agro-véto dans les classes préparatoires BCPST [biologie, chimie, physique et sciences de la Terre, NDLR]. Cette sélection sur une année a déjà été pratiquée avec succès. Cette réduction permettrait de concentrer les enseignants des classes préparatoires sur une seule année et d’ouvrir des classes supplémentaires sans augmenter les effectifs. Afin de favoriser la diversification sociale et territoriale, il est souhaitable de créer des classes préparatoires dans les villes de province. Cette décentralisation, hors des grandes villes, contribuera à améliorer l’égalité des chances.

Le second changement, en rupture totale avec deux siècles et demi d’histoire, propose la création d’une école vétérinaire privée. Cette proposition pose d’énormes problèmes, le principal étant la mise en concurrence de deux systèmes diamétralement opposés avec le risque de fracturer une formation, jusqu’ici homogène, mais capable de fournir à ses diplômés une plasticité intellectuelle qui leur a permis d’évoluer dans des domaines très variés.

La seule solution satisfaisante, celle de la continuité, consiste à construire une cinquième ENV, de préférence dans une région d’élevage, sur le modèle de ce qui fut réalisé, en 1979, avec la création de l’École nationale vétérinaire de Nantes (ENVN). Nos responsables de l’époque n’ont pas fait la même erreur que les médecins qui sont incapables d’anticiper les besoins actuels. L’école de Nantes a permis d’augmenter le nombre des vétérinaires français et de limiter l’appel de vétérinaires étrangers. Elle a permis de maintenir un recrutement par voie de concours garantissant ainsi un niveau d’égalité des chances qu’aucun autre mode de sélection ne peut offrir.

Les Anglais disposent de sept écoles vétérinaires, la France se doit de créer une cinquième école nationale sur le modèle éprouvé des quatre autres.

La liquidation de 260 ans d’une histoire qui a commencé sous la royauté, traversé deux empires et plusieurs Républiques mérite un débat que cette période de grande confusion a confisqué.

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