LA FAUNE SAUVAGE, RÉSERVOIR DE VIRUS CANINS - La Semaine Vétérinaire n° 1900 du 21/05/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1900 du 21/05/2021

INFECTIOLOGIE

PRATIQUE CANINE FÉLINE NAC

Auteur(s) : MATHILDE POUILLE-VIDAL*, HANNA MILA**

Fonctions :
*MAÎTRE DE CONFÉRENCES À L’ÉCOLE NATIONALE VÉTÉRINAIRE DE TOULOUSE EN ÉLEVAGE DES CARNIVORES DOMESTIQUES

Les carnivores sauvages, en particulier le renard roux et les sangliers, sont des sources possibles de contamination virale pour le chien. Le risque de la maladie de Carré, de l’hépatite de Rubarth et de la parvovirose est toujours présent et la vaccination systématique reste essentielle pour éviter ces maladies.

Renards, loups, mustélidés sauvages, ratons laveurs, sangliers, rongeurs, oiseaux, chiroptères, toutes ces espèces animales ont comme point commun d’être une source de virus pour les chiens, via les contacts directs, bien que rares, mais également indirects par la contamination de l’environnement. Ce constat a été mis en évidence dans un récent travail de thèse vétérinaire1. L’analyse des données collectées à partir de la littérature scientifique a permis de déterminer les maladies virales transmises au chien à partir de la faune sauvage et le risque épidémiologique engendré. Parmi toutes les espèces animales étudiées, ce sont les carnivores sauvages et les sangliers qui présentent le risque de transmissions inter-espèces le plus grand actuellement pour le chien.

Attention au renard roux

C’est le renard roux (Vulpes vulpes) qui est apparu comme le plus à risque de transmissions virales inter-espèces. De manière générale, les carnivores sauvages, dont le renard roux, sont des hôtes des virus de la maladie de Carré (CDV), de l’adénovirus canin de type 1 responsable de l’hépatite de Rubarth (CAV-1), du parvovirus de type 2 à l’origine d’entérites létales (CPV-2) et de virus, tels que l’adénovirus de type 2 (CAV-2), responsables de la toux des chenils. Ils peuvent les transmettre aux chiens par contact direct, en contaminant l’environnement avec leurs excrétions et sécrétions infectées, ou encore, de manière vectorielle à la surface des insectes qu’ils transportent telles que les puces. La séroprévalence de ces différents virus est élevée au sein des populations de renards roux d’Europe : elle peut notamment atteindre 73 % pour le CDV, 64,4 % pour le CAV-1 et 18 % pour le CPV-2. Par ailleurs, de par la grande densité de renards en France - difficile à évaluer précisément mais entre 600 000 et 1 million d’individus sont tués chaque année dans notre pays - et leur tendance à coloniser les zones urbaines, ils entrent de plus en plus en contact avec les chiens domestiques. Plus qu’un même habitat, il a été démontré par des analyses phylogénétiques des souches isolées chez ces deux canidés qu’ils partagent les mêmes virus et peuvent se contaminer l’un l’autre. La probabilité de contacts, et donc celle de transmissions inter-espèces, semble alors plus forte en zone urbaine que suburbaine ou rurale, en raison de cette proximité accrue. Le risque est d’autant plus élevé s’il y a un défaut de vaccination dans la population canine.

Les sangliers, source de la pseudorage canine

Dans la faune sauvage, les sangliers (Sus scrofa scrofa) sont connus pour être le réservoir du virus de la maladie d’Aujeszky pour les élevages de porcs, mais il y a également des cas de transmissions au chien. Plusieurs cas cliniques de cette maladie, aussi appelée pseudorage chez le chien, sont répertoriés sur tout le territoire français. Ils concernent des chiens de chasse ayant eu un contact direct avec la faune sauvage et notamment les sangliers. Les carcasses et abats de suidés contaminés sont également contagieux. En France, la séroprévalence du virus chez les sangliers varie de 1 à 54 % suivant les régions, avec des niveaux pouvant être très élevés dans les zones de plus forte densité (20 à 50 %). Le Nord Est, le Centre de la France et la Corse sont les zones les plus à risque. Si les chiens de chasse sont les plus touchés, ceux résidant à proximité d’élevages de porcs, en particulier de porcs plein air, peuvent aussi s’infecter. La probabilité d’occurrence de la maladie chez le chien est plus grande dans les régions où la densité de population des sangliers et élevage de suidés est la plus élevée.

Dans une moindre mesure, les rongeurs, les oiseaux et les chauves-souris, réservoirs des virus de l’encéphalite à tique (TBEV), West Nile (WNV) et de la rage des chiroptères (EBLV-1), peuvent les transmettre au chien. Cependant, ce risque de transmissions inter-espèces est considéré comme faible en France. En effet, le TBEV et le WNV circulent tous les deux à bas bruit au sein de la faune sauvage, à l’est du pays pour le TBEV et en région méditerranéenne pour le WNV, ce qui limite très fortement les risques de transmission entre rongeurs, oiseaux et chiens. Les séroprévalences de ces virus chez leur espèce réservoir sont peu étudiées en Europe : 1 à 50 % des rongeurs sont séropositifs au TBEV en Allemagne et en Suisse, et 1 à 34 % des oiseaux le sont au WNV en France méditerranéenne. Enfin, bien que l’EBLV-1 soit enzootique chez les chauves-souris, le risque de transmission au chien est presque nul. Seuls des cas exceptionnels de transmissions au chat sont rapportés sur notre territoire.

La vaccination comme solution

In fine, il ressort que parmi les 8 maladies interspécifiques identifiées, le risque majeur concerne les virus de la maladie de Carré, de l’hépatite de Rubarth et de la parvovirose, qui circulent majoritairement au sein de la faune sauvage, et plus particulièrement chez le renard roux. Or, ce sont des maladies pour lesquelles il existe des vaccins très efficaces qualifiés d’essentiels (core vaccines), puisqu’ils assurent une protection complète de l’animal lorsque le protocole vaccinal est respecté. Il est donc indispensable de maintenir avec rigueur la vaccination des chiens domestiques, y compris en zone urbaine et même s’il n’y a pas forcément de contact direct avec la faune sauvage. Elle permet de protéger non seulement l’individu, mais confère également une immunité de groupe optimale afin de limiter les risques de contamination inter-espèces et d’apparition d’épizooties, aussi bien chez les chiens domestiques que chez les espèces sauvages. En effet, en raison de leur omniprésence mondiale, les chiens deviennent de véritables réservoirs de virus pour les animaux sauvages. La vaccination a donc un double enjeu : la protection de nos animaux de compagnie et celle de la faune sauvage, notamment des espèces en dangers, sensibles à ces maladies comme les loups, les ours ou les grands félins.

1. Synthèse de la littérature sur les risques de maladies virales interespèces en élevage canin en France, thèse Mathilde Pouille-Vidal sous la direction de Hanna Mila, École nationale vétérinaire de Toulouse (ENVT), 2020 : www.bit.ly/3tGy7in

DE L’IMPORTANCE DE LA VEILLE SANITAIRE

Récemment, le réseau d’épidémiosurveillance Savsnet (pour Small Animal Veterinary Surveillance Network) au Royaume-Uni a révélé une « épidémie » de maladies digestives aiguës en janvier 2020 dont l’origine serait attribuée au coronavirus entérique canin (CeCoV). Ce virus est assez fréquent dans l’espèce canine : la prévalence de CeCoV chez des chiots et adultes malades est en moyenne de 38,5 % en Europe de l’Ouest. Or, ce virus affecte également les autres canidés sauvages tels que les loups et renards. Cependant, à l’heure actuelle, très peu d’études s’intéressent aux caractéristiques épidémiologiques du CeCoV dans ces espèces : la prévalence du virus peut être élevée, car elle atteint 31 % chez les loups et 33 % chez les renards au Portugal. D’autres résultats montrent que le virus semble davantage se maintenir au sein de la faune sauvage dans les zones de forte densité de chiens. Ainsi, les chiens domestiques apparaissent être le réservoir du virus : ils peuvent contaminer l’environnement, et participer au maintien de l’infection chez les populations sauvages. Néanmoins, il est légitime de se demander si les canidés sauvages, une fois contaminés, ne peuvent pas, à leur tour, jouer un rôle dans la circulation virale chez les chiens domestiques. Le vaccin contre le CECoV, commercialisé aux États-Unis, n’est de nos jours pas disponible en France. Il est donc difficile de prévenir les risques de transmissions inter-espèces.

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