CHANGER DE TUTELLE MINISTÉRIELLE : UNE OPPORTUNITÉ OU UN FREIN POUR LA PROFESSION ? - La Semaine Vétérinaire n° 1900 du 21/05/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1900 du 21/05/2021

EXPRESSION

LA QUESTION EN DÉBAT

Auteur(s) : CHANTAL BÉRAUD

Pour lutter plus efficacement contre la pandémie de Covid-19, il a beaucoup été dit et répété ces temps derniers qu’il faudrait rapprocher médecins et vétérinaires. Pour ce faire, serait-il ou non judicieux de placer à l’avenir la profession sous l’égide du ministère des Solidarités et de la Santé ?

UNE OPPORTUNITÉ, SOUS CERTAINES CONDITIONS

LOÏC DOMBREVAL (A 91)

Député des Alpes-Maritimes

Notre tutelle émane de raisons essentiellement historiques et contextuelles. En 1881, quand les écoles vétérinaires sont rattachées à un tout nouveau ministère de l’Agriculture, c’est essentiellement dans le but de développer économiquement les élevages et de lutter contre les maladies du bétail. En outre, à l’époque, des liens étroits existaient entre les enseignants d’Alfort et l’ancien ministère de l’Agriculture et du Commerce. D’autres pays ont des schémas différents. En Allemagne, l’Institut fédéral de la médecine vétérinaire est sous l’égide du ministère de la Santé. Aujourd’hui, la question est de réfléchir en terme stratégique, avec les nouveaux enjeux, dont l’expansion des zoonoses. Si passer sous la tutelle de la Santé permet de développer massivement le One Health - en redonnant à notre profession sa juste place dans la gestion des problématiques de santé publique -, alors oui, il s’agit d’une véritable opportunité. Cela provoquerait des remaniements administratifs importants. L’Histoire seule ne peut pas justifier d’éluder cette possibilité.

PRIVILÉGIER L’ÉCHELON RÉGIONAL

MARC PRIKAZSKY (A 83)

Président-directeur général de Ceva santé animale

J’ai bien peur qu’une telle décision ne change rien aux problèmes constatés : trop de corporatisme entre métiers, une organisation trop centralisatrice. Je préconiserais de faire travailler ensemble, via une plateforme, des professionnels des trois santés - environnementale, humaine et animale - pour que les solutions ne soient pas décidées, comme majoritairement aujourd’hui, quasi uniquement par des médecins et des biologistes en humaine. Dans ma région, j’organise déjà des réunions régulières de travail où je fais intervenir des écologues, des médecins, des vétérinaires ainsi que des universitaires sociologues. Plutôt que de tout organiser au niveau d’un seul État centralisateur, il me semble préférable de libérer et de mobiliser les énergies au niveau régional. Mais il faut aussi en parallèle veiller à conserver un maillage sanitaire vétérinaire/médecin de base suffisant pour maintenir, au niveau territorial local, notre capacité d’alerte contre les épidémies, concernant les animaux d’élevage et la faune sauvage. Environnement, agriculture, santés, tout est lié.

CHANGER SANS TOUCHER AUX TUTELLES

JEAN-YVES GAUCHOT (T 90)

Président de la Fédération des syndicats vétérinaires de France (FSVF)

Le problème n’est pas tant celui de la tutelle de la profession que des difficultés récurrentes pour le ministère de l’Agriculture à répondre concrètement et efficacement à de nombreux sujets connus depuis longtemps : maintien d’un maillage territorial, financement des missions d’épidémiosurveillance vétérinaire, lutte contre le délitement du réseau des laboratoires départementaux d’analyses, etc. et plus largement des services vétérinaires au sens de l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE)1. Parmi les autres problèmes se trouve celui du cloisonnement entre les ministères, les formations académiques, les secteurs de la recherche, etc. Ces cloisonnements conduisent à des difficultés et retards pour parvenir à appliquer une approche intégrée et globale entre les santés. Donc oui, œuvrons pour le développement de démarches intersectorielles, interdisciplinaires et même interministérielles, mais sans changer les tutelles. Adosser au ministère de la Santé - déjà gérant du Code de la santé publique -, la gestion en plus du Code rural reviendrait à ajouter une complexification sans doute peu pertinente.

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