SE RÉINVENTER POUR RÉPONDRE AUX ATTENTES DES ÉLEVEURS - La Semaine Vétérinaire n° 1899 du 14/05/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1899 du 14/05/2021

PROFESSION

PRATIQUE MIXTE

Auteur(s) : LORENZA RICHARD

Exit l’image de notable respecté du vétérinaire rural, qui pratiquait la médecine et la chirurgie individuelles sans concurrence. Désormais, il doit s’adapter en développant le conseil et la médecine globale, en tenant compte des objectifs économiques de l’élevage.

Aujourd’hui, nous avons le devoir de nous réinventer, de devenir l’interlocuteur polyvalent privilégié de nos éleveurs en étant attentifs à leurs objectifs, notamment techniques, économiques et environnementaux », a déclaré Jonas Cuvillier1, praticien mixte à Bosc-le-Hard (Seine-Maritime), lors de la 2e édition du e-Congrès de la santé animale (MSD) du 22 au 28 mars derniers. Pour notre confrère, le métier de vétérinaire rural est en effet en pleine évolution. Alors que dans les années 1980, il était considéré comme un notable et n’avait pas de concurrence, il se sent aujourd’hui comme un intervenant lambda dans l’élevage, parmi de nombreux autres conseillers. La désertification des zones rurales accentue ce problème, avec un manque de praticiens et un recrutement compliqué, une concurrence au niveau du conseil et des médicaments, des actes dévalués et peu rémunérateurs et une continuité de soins astreignante. En outre, notamment en raison de la diminution des cours de la viande et du lait, « le vétérinaire est vu comme une perte sèche, avec un désamour du couple vétérinaire éleveur », a constaté Jonas Cuvillier. Le niveau de connaissance des éleveurs est élevé et leurs exigences augmentent. La profession vétérinaire doit donc évoluer pour garder son rôle prépondérant dans le futur des élevages. Le nombre d’éleveurs et de vétérinaires de campagne diminue, et « ces deux professions ont plus que jamais besoin d’unir leurs compétences pour construire un avenir rentable pour les deux parties », a invité Jean-Eudes Alexandre2, éleveur de bovins à haute valeur génétique et de porcs en Seine-Maritime (exploitation agricole à responsabilité limitée, EARL, Les Trois Portes).

Une approche préventive et globale

Pour cela, l’éleveur a expliqué que le vétérinaire rural doit répondre à la vision d’un praticien moderne plus technique, qui se met à la portée de l’élevage et de ses contraintes et lui apporte un suivi personnalisé. Il ne doit pas se satisfaire de soigner un animal de façon individuelle, comme auparavant, mais chercher à comprendre la cause de l’affection, développer le préventif et s’impliquer dans la gestion globale du troupeau (alimentation, parasitisme, etc.). « Nos vétérinaires, grâce à leurs connaissances pointues, leurs conseils et leur implication dans notre troupeau, nous ont permis de diminuer les frais curatifs, témoigne-t-il. L’antibiothérapie est quasi inexistante sur l’exploitation et ceci est un point essentiel car nous commercialisons notre viande en direct et nos clients nous font confiance. C’est la prévention qui a permis de réduire les coûts et de contribuer au bien-être animal. » Pour lui, la réussite du couple vétérinaire éleveur repose ainsi sur la communication, le partage d’expérience et la confiance, car « si le vétérinaire détient les connaissances scientifiques, l’éleveur passionné connaît parfaitement ses animaux. Je dois exprimer clairement mes objectifs afin que mon vétérinaire puisse adapter et cibler le niveau de soins. Je lui fais aussi un retour quant à la réussite ou à l’échec des soins prodigués, ce qui est la meilleure façon de progresser. »

Le conseil comme avenir

Jean-Eudes Alexandre apprécie particulièrement le fait que ses vétérinaires n’attendent plus d’être sollicités pour passer sur l’élevage. Ces passages inopinés permettent d’échanger sur les problèmes sanitaires du moment, notamment sur la présence d’une infection particulière dans les exploitations alentour, ce qui lui permet d’augmenter son niveau de vigilance. De plus, la clinique étant éloignée de son exploitation, l’opportunité d’une téléconsultation lui permet d’obtenir des réponses rapides. Après avoir visualisé des photos ou un film, le praticien téléphone pour indiquer la conduite à tenir, et ne passe que s’il le juge nécessaire. Pour Jonas Cuvillier, le vétérinaire doit reprendre un rôle central de conseil dans les élevages en gardant une approche humaine, à travers notamment « des discussions en dehors du cadre de la médecine, autour d’un café ». Cela pose le défi de se faire rémunérer un conseil dans un domaine non associé à une vente. En effet, les éleveurs ne souhaitent plus payer le conseil vétérinaire sous la forme cachée de l’achat de produits. Ainsi, « notre porte d’entrée dans les élevages reste la médecine traditionnelle mais l’enjeu est de réussir à convaincre l’éleveur que nous pouvons lui apporter bien plus que ce rôle de médecin prescripteur ».

Élargir ses services

À cette fin, le vétérinaire doit reprendre un rôle central dans les élevages en élargissant son offre de services, tout en créant une émulation positive avec les éleveurs et les autres intervenants d’élevage. En effet, tout critère susceptible d’apporter un plus dans la conduite sanitaire des animaux (audit global pour la gestion de l’eau), dans le bien-être animal (bâtiment) et pour le confort de l’éleveur (contentions sécurisées, moyens de surveillance, etc.) est une voie d’évolution possible. De plus, la structure vétérinaire pourrait intégrer un ingénieur agronomique pour des conseils en nutrition, ou un professionnel pour le parage, pour devenir un véritable outil d’amélioration de l’élevage. Ainsi Jean-Eudes Alexandre a salué ses vétérinaires : « Leur passion du monde du vivant, leur compétence et leur respect à l’égard de mes animaux nous ont permis de nous rapprocher et d’élaborer des stratégies gagnantes. » Pour Jonas Cuvillier, si le vétérinaire veut donner un avenir à la profession, il est nécessaire qu’il se spécialise, afin d’augmenter ses compétences et ses domaines d’expertise : « Nous devons avoir une vision globale du système, savoir quels sont les moyens humains et mécaniques de l’exploitation. »

Fixer des objectifs économiques

Il convient notamment de se servir des datas, et de créer des statistiques pour mieux connaître les élevages et conseiller le plus justement possible les éleveurs avec une vision globale du troupeau. Cela permettra également de développer un point fondamental : l’aspect économique. Jonas Cuvillier considère la comptabilité comme « un levier pour remettre les pieds dans une ferme et être entendu, car un éleveur est un chef d’entreprise et il faut à tout prix avoir une vision économique du troupeau ». L’objectif est de comprendre les coûts des soins prodigués, afin de pouvoir se fixer des objectifs économiques par rapport à nos conseils. En effet, « la clinique devra intégrer la dimension économique de l’élevage, en prodiguant des objectifs d’amélioration qu’elle saura chiffrer », telle est la demande de Jean-Eudes Alexandre, qui a précisé que « cette prestation de conseils devra conduire à un partenariat gagnant-gagnant et une obligation, non plus de moyens mais de résultat économique pour l’éleveur ». « C’est dans son rôle de conseil, avec son obligation de résultat, que le vétérinaire de demain deviendra un partenaire de confiance indispensable », a conclu Jean-Eudes Alexandre, en conseillant aux vétérinaires et éleveurs de « construire ensemble l’avenir de nos merveilleux métiers ».

1. Conférence L’évolution de la relation vétérinaire éleveur.

2. Conférence La vision de l’éleveur, les nouvelles attentes envers son vétérinaire.

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