EXERCICE LIBÉRAL : LES JEUNES ONT-ILS TOUJOURS LE MÊME ENTHOUSIASME ? - La Semaine Vétérinaire n° 1899 du 14/05/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1899 du 14/05/2021

DOSSIER

Auteur(s) : CÉLINE GAILLARD-LARDY

L’ATTRAIT POUR L’EXERCICE LIBÉRAL FAIT-IL ENCORE VIBRER LES JEUNES ARRIVANT SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL ? LES ATTENTES EN TERMES DE QUALITÉ DE TRAVAIL ET DE VIE PERSONNELLE SONT-ELLES TOUJOURS COMPATIBLES AVEC UN EXERCICE INDÉPENDANT ? CES PROBLÉMATIQUES NON SPÉCIFIQUES AU MONDE VÉTÉRINAIRE FRANÇAIS TOUCHENT L’ENSEMBLE DES PROFESSIONS LIBÉRALES ET DES PAYS EUROPÉENS.

Selon une étude MSD Santé animale et du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL), réalisée auprès d’étudiants vétérinaires de France, Belgique et Roumanie, la pratique libérale attire moins de jeunes confrères et consœurs : si 97 % d’entre eux souhaitent être praticiens, le statut salarié est envisagé pour 43 % d’entre eux, l’exercice libéral pour 43 % et les 14 % restants envisagent une collaboration libérale1.

Une liberté dans le travail

L’exercice libéral offre une autonomie dans le travail, la prise de décision et la rémunération. « Pourtant, les vétérinaires ont toujours de grosses appréhensions à se lancer dans l’exercice libéral », estime Thierry Chambon, administrateur du SNVEL et vice-président de la FVE (Fédération des vétérinaires européens), même s’il existe toujours des opportunités pour se lancer : selon lui, l’émergence des réseaux de cliniques contribue à modifier le paysage vétérinaire européen, et donc français, « en favorisant une tendance à l’augmentation des tarifs des actes de par l’augmentation de la taille des structures ». Les possibilités d’installation et de formes d’exercice sont donc variées, que ce soit en exercice individuel ou en association.

« L’attractivité du salariat a ses limites, puisqu’on ne décide pas du niveau de son salaire, celui-ci n’est donc pas forcément à la hauteur de ses attentes », poursuit-il. Même si en France, la demande reste supérieure à l’offre, avec des salaires encore tirés vers le haut, c’est plutôt le contraire dans les autres pays européens, où la quantité de vétérinaires présents sur le marché du travail entraîne un glissement des salaires vers le bas. La situation française pourrait également évoluer dans ce sens, dans les années à venir. « Avec les projets d’ouverture de nouvelles écoles vétérinaires et l’augmentation du numerus clausus, l’offre est amenée à augmenter, ce qui ne sera pas favorable à l’évolution des salaires de nos futurs confrères et consœurs », poursuit-il. La situation est un peu différente pour nos confrères spécialisés, avec des formations de type collège européen, très recherchés par les employeurs, et pour lesquels la négociation salariale est généralement plus facile.

Des freins sociologiques

Alors, si la situation des salariés n’est pas si enviable, financièrement parlant, pourquoi les jeunes ne se lancent pas davantage dans l’aventure entrepreneuriale ? « Ce qui ressort des enquêtes, menées auprès de vétérinaires, est que ce métier est avant tout une passion et que l’aspect financier n’est pas la priorité, affirme Thierry Chambon. Notre profession est confrontée à une tendance à l’augmentation du salariat et dans le même temps à une diminution de l’entreprenariat individuel. » Les principales raisons étant d’ordre sociologique, cette problématique n’affecte donc pas seulement la profession vétérinaire. En effet, les besoins et les attentes de la jeune génération sont différents de celles de leurs aînés, notamment en termes d’accomplissement de la vie personnelle et familiale. Or, la clientèle vétérinaire est une activité très prenante. De plus, aujourd’hui, la flexibilité du travail, contrainte ou choisie, est à prendre en compte. Ainsi, dans un couple, le parcours professionnel du conjoint ou de la conjointe est parfois peu compatible avec la stabilité géographique indispensable à l’entreprenariat. « L’entreprenariat ne permet pas de changer de voie à court terme, c’est engageant, il faut donc pouvoir le concilier avec les attentes de son conjoint », témoigne Thierry Chambon. Pourtant, pour Michel Picon, président de l’Union nationale des professions libérales (UNAPL), « ce n’est pas tant le statut de libéral qui pose problème, que le besoin de conciliation de ce statut avec les priorités que la jeune génération accorde à la qualité de vie personnelle et familiale ».

« Avec une lecture rapide de la situation, toutes professions confondues, il semble y avoir une désaffection pour l’exercice libéral, mais à mon sens, ce sont plutôt des craintes de se retrouver dans un modèle libéral qui ne protège pas suffisamment. Quand on trouve les réponses, ça fonctionne. » Il cite pour exemple le nombre d’architectes inscrits à l’Ordre (leur inscription est subordonnée à leur installation en libéral, contrairement aux vétérinaires), qui, depuis quarante ans, reste constant, alors que dans beaucoup d’autres professions il a diminué. « L’appétence au modèle libéral n’est pas mise en cause, mais l’age d’installation à la sortie a reculé. »

La peur d’un manque de protection sociale

« L’exercice indépendant offre aujourd’hui une protection sociale proche de celle des salariés, avec la possibilité de contracter des assurances individuelles adaptées (risque professionnel, indemnités journalières). De plus, les cotisations du libéral sont souvent moins élevées que celles des salariés, avec des contrats adaptés à l’activité. Ce qui manque encore essentiellement, c’est l’assurance chômage », déplore Thierry Chambon. Pourtant, il existe réellement un sentiment d’insécurité lié au statut de libéral : le salarié bénéficie d’un sentiment d’une plus grande sécurité et de mieux pouvoir accomplir sa vie personnelle dans un statut qui les protège du débordement de la vie professionnelle telle que l’ont connue les plus anciens », confesse Michel Picon. Les jeunes veulent certes, pour certains, développer leur entreprise, mais aussi accomplir leur vie personnelle et familiale. En outre, les professions libérales sont extrêmement féminisées ; dans le domaine de la santé, les femmes représentent plus de 60 %. La maternité impose d’avoir des filets de sécurité. L’exercice en commun, dans des structures multidisciplinaires, en association, peut alors leur permettre de mieux concilier travail et confort personnel.

Selon les syndicats, les jeunes vétos diplômés ont plutôt tendance à chercher un poste de salarié. Côté UNAPL, ce n’est pas ce que l’on constate chez les autres professions libérales. « Chaque année, ce sont 200 000 nouveaux libéraux qui s’installent, estime Michel Picon. On ne peut donc pas parler de rejet, mais il faut être capable d’apporter des réponses à leurs inquiétudes. »

Un investissement financier à encadrer

Parmi les autres sources d’inquiétude liées à l’installation, celle de l’investissement financier est souvent avancée. Pourtant « il ne devrait plus être un frein, de nombreuses structures existent pour apporter des réponses financières, constate Michel Picon . Ainsi, l’UNAPL s’est mobilisée pour créer un fonds de cautionnement : Interfimo, géré en partenariat avec le Crédit lyonnais (LCL), est une structure qui prête aux professionnels libéraux pour s’installer. En cas de problème, elle prend en charge les dettes par restitution partielle du fonds excédentaire. » Finalement, l’exercice libéral a encore de beaux jours devant lui, puisque de nombreuses possibilités d’exercice existent encore, de l’exercice individuel à un exercice libéral au sein de grosses structures. Pour cela, les modes d’exploitation doivent être modernisés, « en étant extrêmement vigilants à ne pas dénaturer le lien fort qui caractérise les professions libérales et leur patientèle/clientèle », souligne Michel Picon.

1. Voir la Semaine Vétérinaire n° 1896-1897 du 23-30 avril 2021, pages 10-11.

À ce jour, m’associer n’est pas une priorité

TÉMOIGNAGE

BENJAMIN BRAGARD (A 16)

Vétérinaire en mixte au groupe vétérinaire de l’Arche à Sens-de-Bretagne (Ille-et-Vilaine)

Dès ma sortie de l’école, j’ai commencé à exercer en clientèle rurale mixte, dans une structure où nous étions quatre salariés. Après une brève coupure, j’ai été engagé en avril 2019 dans la clinique où j’exerce actuellement, dans le cadre d’un remplacement de congé maternité qui s’est transformé en CDI. Au sein de cette structure, je suis le seul salarié en pratique mixte. Pour moi, l’exercice libéral n’est pas une priorité, en tout cas par pour l’instant. En effet, je n’envisage pas de m’engager aujourd’hui sur le long terme, dans le cadre d’une association. Je veux pouvoir être libre de partir, sans les conflits et les complications liées à la cession de parts. Le statut salarié m’offre par ailleurs un certain confort : la stabilité et l’absence des contraintes inhérentes au patronat. À ce jour, l’occasion de m’associer ne s’est pas encore présentée, mais ce n’est pas une priorité. C’est vrai que le statut de libéral m’offrirait une meilleure rémunération et un pouvoir décisionnel dans l’entreprise, même si je m’implique déjà et suis généralement consulté sur des questions internes. De plus, le côté administratif ne m’attire pas vraiment et je ne pense pas être suffisamment préparé à ces aspects. Au cours de mes études, j’aurais souhaité une formation plus poussée sur l’entreprise. Je trouve d’ailleurs dommage que l’enseignement de gestion ait été dispensé au cours de la première année. De mon point de vue, il aurait mieux valu un enseignement au cours de la dernière année, comme cela a été le cas pour le management et la communication.

JE N’AI PAS LA FIBRE LIBÉRALE

Un jeune confrère, praticien mixte, témoigne anonymement. « Salarié en clientèle mixte depuis ma sortie de l’école, je ne me sens pas du tout la fibre libérale. Au-delà de cela, le monde vétérinaire est un milieu assez particulier et je ne rentre pas dans le moule. Les horaires ne m’effraient pas, mais la clientèle impose des compromis que je n’ai plus envie de faire. Je suis frustré vis-à-vis de mon envie de rurale, j’envisage même de m’orienter vers une autre voie me permettant de mettre à profit mes connaissances et de satisfaire pleinement mon envie de travailler en productions animales. »

Le salariat m’apporte la stabilité et une vision claire de l’avenir

TÉMOIGNAGE

QUITTERIE RONDI (N 16)

Vétérinaire à la clinique Vetformance à Villaines-la-Juhel (Mayenne)

Je suis actuellement salariée dans une clientèle mixte depuis fin 2018, après avoir travaillé dans deux autres cliniques à ma sortie de l’école. Actuellement, mon statut de salarié me convient parfaitement, car j’estime avoir encore beaucoup de choses à apprendre dans la pratique de mon métier. En outre, les aspects association et gestion de clientèle me semblent trop lourds, j’ai encore besoin de quelques années avant de pouvoir me pencher sur la question. Je n’exclus pas de m’associer, à l’avenir, mais cela n’est pas ma priorité. La pratique mixte est un sujet tellement large, la formation n’est jamais suffisante, il est indispensable de se frotter quotidiennement à la pratique. Côté formation à l’entreprenariat, nous avons abordé quelques notions comptables et juridiques à l’école, mais cela reste assez vague. La formation technique et scientifique est déjà tellement vaste, que ce type d’enseignement est noyé. Pour autant, davantage d’enseignement des sujets liés à l’exercice libéral serait peut-être utile, ne m’étant pas encore penchée sur la question, je ne sais pas quelles seront mes lacunes dans ce domaine. En tout cas, ce n’est pas le cœur de notre formation, et tellement de choses pourraient encore être améliorées dans l’enseignement général de notre métier. L’aspect investissement financier est également à prendre en compte. Cet aspect est d’autant plus important que mon mari est déjà entrepreneur. Aujourd’hui, le statut de salarié m’apporte davantage de confort et de stabilité, ainsi qu’une vision claire de l’avenir.

UNE FORMATION ENTREPRENEURIALE DÈS L’ÉCOLE

Afin d’inciter les jeunes à se lancer dans l’aventure entrepreneuriale en connaissance de cause, l’enseignement dans les écoles françaises s’est adapté à leurs besoins en proposant dès la première année des cours de comptabilité, gestion et ressources humaines. Ainsi à VetAgro Sup, un master est réalisé en partenariat avec l’université Lyon 3 et axé sur le management de la structure libérale vétérinaire. Il est suivi par une quinzaine d’étudiants chaque année.

Je voulais m’installer en libéral dès ma sortie de l’école

TÉMOIGNAGE

ROMAIN PONTLEVOY (A 17)

Vétérinaire à la clinique des Gentianes aux Fins (Doubs)

Dès ma sortie de l’école, j’ai travaillé en tant que salarié pendant un an en clientèle 100 % rurale, en zone AOC Saint-Nectaire. Une première expérience enrichissante et formatrice du fait du volume et de la variété de l’activité rurale. Ma compagne, également vétérinaire, et moi-même avons quitté la région d’un commun accord afin d’acquérir une seconde expérience. Nous nous sommes installés dans le Doubs, en zone Comté-Morbier, où nous avons tous deux trouvé un poste. Pour ma part, il s’agissait d’un CDI en vue d’association, les choses étaient donc claires dès le début. J’ai trouvé un cadre de travail agréable, une forte clientèle rurale, et une très bonne entente au sein du cabinet. Toutes les conditions étaient réunies pour m’installer définitivement. Je me suis donc associé au 1er janvier 2021, suite à un départ à la retraite. Notre équipe de trois associés fonctionne bien. Nous entretenons de très bonnes relations professionnelles et amicales. Je pense que je savais déjà que je voulais m’installer en libéral dès ma sortie de l’école, car j’ai toujours été intéressé par les aspects gestion et développement de l’entreprise, ce qui n’est peut-être pas le cas des jeunes diplômés. Mon nouveau rôle d’associé me satisfait beaucoup, la clinique est en pleine évolution, avec une bonne dynamique, c’est très motivant !

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