Bien-être des chiens de travail : un cadre réglementaire à parfaire - La Semaine Vétérinaire n° 1898 du 07/05/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1898 du 07/05/2021

Réglementation

ANALYSE CANINE

Auteur(s) : Par Céline Pinsard

À ce jour, la réglementation est partielle, voire absente pour encadrer les activités des chiens de travail, notamment pour les chiens utilisés dans les activités de médiation animale. Non sans conséquences possibles sur leur bien-être.

Chiens d’assistance aux personnes handicapées, de conduite et protection des troupeaux, chiens de défense, de recherche de personnes ou de substances illicites, etc. : les activités des chiens de travail sont nombreuses. De manière générale, le chien de travail est mobilisé pour ses capacités physiques, son intelligence ou sa capacité à être éduqué pour la réalisation de tâches ayant une plus-value pour l’humain. Étonnamment, ces chiens ne font pas l’objet d’une réglementation spécifique pour s’assurer de leur protection et de leur bien-être. Ils ne sont ni des animaux d’élevage, ni des animaux de compagnie au sens strict, ces derniers étant « détenus ou destinés à être détenus par l’Homme pour son agrément » (article L.214-6 du Code rural et de la pêche maritime). Ce vide réglementaire sous-entend que chaque professionnel est libre d’instaurer ses propres pratiques en ce qui concerne l’éducation, les conditions de travail (incluant temps de travail et pauses éventuelles), le lieu de vie et la fin de carrière du chien. Ces professionnels ont les mêmes devoirs et les mêmes contraintes qu’un propriétaire d’animal de compagnie et sont donc soumis à une réglementation peu précise, telle que définie dans le Code rural : « Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce » (article L.214-1), « il est interdit d’exercer des mauvais traitements envers les animaux domestiques ainsi qu’envers les animaux sauvages apprivoisés ou tenus en captivité » (article L. 214-3).

Le cas particulier des chiens d’assistance

Les chiens guides d’aveugles et les chiens d’assistance accompagnant des personnes titulaires de la carte mobilité inclusion (CMI) bénéficient d’un statut particulier mis en place en 19871 et renforcé par une loi du 11 février 20052. Ils ont accès aux transports, aux lieux publics ainsi qu’aux lieux liés à des activités professionnelles, formatrices ou éducatives, sans facturation supplémentaire. Ces chiens sont également dispensés du port de la muselière. Un arrêté3 de 2014 définit par ailleurs les aptitudes, qualités et savoir-faire nécessaires pour ces chiens. Il formalise leur éducation et encadre le choix des familles d’accueil et des bénéficiaires, ainsi que leur suivi. Il précise également les modalités de formation des personnels des centres d’éducation et impose un stage de formations théorique et pratique de deux semaines pour les bénéficiaires. Les aspects concernant le bien-être animal sont évoqués dans le récapitulatif des aptitudes des éducateurs qui doivent « définir la conduite adaptée à chaque chien selon son état sanitaire et comportemental ». Cependant, ils ne sont pas directement explicités dans les textes.

Un cadre à définir pour la médiation animale

Éthiquement, il semble important de se demander si le bien-être de ces animaux qui nous apportent leur aide est respecté. Stress ou souffrance physique pendant l’activité, conditions de vie peu adaptées, éducation trop contraignante ou encore un devenir incertain en fin de carrière sont autant de facteurs qui peuvent menacer leur bien-être. La question se pose particulièrement pour les activités de médiation animale. Domaine en plein développement, l’absence de cadre réglementaire est déplorée par certains acteurs. Le titre d’intervenant en médiation animale n’est pas reconnu et son usage n’est pas protégé. Le milieu du chien d’aide à la personne étant confronté à une problématique de rentabilité (le chien est « l’outil de travail » des intervenants en médiation animale), des dérives sont possibles quant au temps de travail ou à la fréquence des séances. Par ailleurs, les compétences requises n’étant ni imposées ni réglementées, il existe des diplômes universitaires et des formations, de contenu et de durée très variables. Au final, ces chiens relèvent uniquement du cadre de l’animal de compagnie. Seule une instruction technique4 de 2015 mentionne les « chiens d’accompagnement social ». Ce sont les chiens impliqués dans des activités « de médiation animale » au sein d’établissements sociaux et médico-sociaux et qui ont été, au même titre que les chiens d’assistance auxquels l’instruction fait référence, éduqués dans un centre labellisé. La majorité des chiens utilisés en médiation étant des chiens initialement dédiés à la compagnie, ils n’ont pas de statut réglementaire en lien avec leur utilisation.

Tout cela peut avoir des répercussions sur le bien-être de l’animal et la sécurité des personnes bénéficiaires des séances de médiation.

L'exemple des chiens de sécurité et de défense

Les chiens des agents de sécurité cynophiles et de l’armée bénéficient d’une autorisation à travailler au mordant et font l’objet d’exceptions dans les textes sur les chiens dangereux – notamment quant à la déclaration des morsures et au permis de détention –, mais leur bien-être n’est en revanche mentionné nulle part dans la réglementation. En novembre dernier, le député Loïc Dombreval déplorait d’ailleurs l’absence d’un quelconque contenu axé sur le bien-être animal dans la formation des agents cynophiles et proposait un amendement à la loi sécurité globale, imposant l’ajout d’un module obligatoire sur cette thématique. Chez les pompiers, il existe un guide national de référence de la cynotechnie qui décrit notamment les formations nécessaires pour occuper les différents postes de cynotechniciens. Ces formations contiennent des bases sur l’éducation du chien et son entretien, mais le contenu n'est ni détaillé ni spécifique à ce qui est attendu du chien.

Des initiatives individuelles

Face à ce vide réglementaire, certains acteurs de terrain se mobilisent et tentent de donner un cadre à leurs activités. En médiation animale, nombreux sont les acteurs qui souhaitent une professionnalisation du secteur et l’élaboration de règles pour limiter l’amateurisme vis-à-vis des bénéficiaires et des animaux. Les chartes de bonnes pratiques rédigées par des associations du secteur se multiplient. On peut citer par exemple la charte éthique et déontologique proposée par Canidea (Confédération nationale des organisations de chiens d’aide à la personne), dont une partie est dédiée au bien-être animal et énonce des critères permettant de le considérer comme satisfaisant. Dans un autre domaine, des vétérinaires de l’armée de Terre ont créé un groupe de travail sur le bien-être animal dans un but d’amélioration des pratiques. Le principal projet de ce groupe est de réviser le référentiel d’inspection des chenils militaires. Ses membres proposent également l’adoption d’un registre général pour faciliter le suivi, notamment médical et comportemental, des animaux de l’institution. Enfin, des fiches de recommandations et de bonnes pratiques ont déjà été rédigées. Elles concernent par exemple le transport des chiens ou encore leur échauffement et leur récupération avant et après des exercices physiques. Une autre volonté de ce groupe de travail serait de former des vétérinaires militaires comportementalistes pour avoir deux ou trois référents au sein de l’institution.

En France, il n’y a donc pas réellement de cadre réglementaire pour le bien-être des chiens d’utilité, et le caractère polymorphe des activités complexifie encore davantage les perspectives d’encadrement. Inclure dans la réglementation une définition du « chien de travail » leur permettrait d’avoir un statut et pourrait déjà être un bon début pour la prise en compte de leur bien-être.

  • Cet article a été rédigé d’après la thèse Bien-être du chien de travail : état des lieux et perspectives réglementaires en France, École nationale vétérinaire d’Alfort (ENVA, 2020), de Céline Pinsard. http://www.bit.ly/3erjny5
  • 1. Loi n° 87-588 du 30 juillet 1987 portant diverses mesures d’ordre social.
  • 2. Loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
  • 3. Arrêté du 20 mars 2014 relatif aux critères techniques de labellisation des centres d’éducation des chiens d’assistance et des centres d’éducation des chiens guides d’aveugles et à la création d’un certificat national.
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