VERS UNE NOUVELLE FEUILLE DE ROUTE - La Semaine Vétérinaire n° 1896 du 23/04/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1896 du 23/04/2021

IAHP

PRATIQUE MIXTE

Auteur(s) : TANIT HALFON

La violence de l’épizootie d’influenza aviaire hautement pathogène amène les professionnels, et les pouvoirs publics, avec l’appui des scientifiques, à réfléchir à un nouveau plan d’actions sanitaires « Influenza » afin d’éviter une nouvelle crise.

L’épizootie d’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) 2020-2021 est aujourd’hui quasi terminée. Au 11 avril, on dénombre 490 foyers. Un nombre quasi-identique à celui de la précédente crise de 2017-2018, pendant laquelle 486 foyers avaient été détectés. Mais à la très grande différence que cette fois-ci, la quasi-totalité des foyers ont été enregistrés en un temps record. Entre le 8 décembre1 2020 et le 4 février 2021, soit en un peu moins de 2 mois, ce sont plus de 80 % des foyers qui ont été détectés (417). Lors de la précédente épizootie, il a fallu attendre un mois de plus pour qu’on en arrive à ce niveau-là. Ainsi, entre le 28 novembre 2016 et le 21 février 2017, environ deux tiers des foyers avaient été enregistrés (328 sur 486). Au 6 mars 2017, 87 %. L’heure est donc maintenant au bilan, et surtout au retour d’expérience. L’enjeu est de taille : c’est la troisième fois en cinq ans que la filière volailles, et plus particulièrement celle des palmipèdes, subit une crise sanitaire majeure. Malgré les efforts faits après les deux premières épizooties en termes de biosécurité, et d’outils de gestion de crise, les épizooties de 2020 et de 2017, dont les souches virales en cause sont apparentées (H5N8 clade 2.3.4.4b), ont abouti aux mêmes dégâts. Cette année, se rajoutent en plus les difficultés de la crise du Covid-19, qui limite notamment les débouchés pour la filière (restaurants, export).

Une situation complexe

À l’heure du bilan, il est certain que le virus a été introduit dans le secteur commercial via la faune sauvage (oiseaux migrateurs), qui est donc le réservoir initial du virus. À ce sujet, cette crise a la particularité d’avoir des niveaux de contamination de la faune sauvage très élevés. Avec une situation qui dure en longueur puisqu’encore aujourd’hui sont détectés des cas dans le compartiment sauvage en Europe.

Ce qui est moins clair à ce stade concerne les modalités de diffusion d’un élevage à un autre. Invité à la conférence de presse2 du Comité interprofessionnel des palmipèdes à foie gras (Cifog) le 5 mars dernier, Jean-Luc Guérin, professeur d’aviculture et de pathologie aviaire à l’École nationale vétérinaire de Toulouse, a bien résumé la situation : « On a une concentration des foyers dans les Landes, avec des situations pour lesquelles on a pu maîtriser la dissémination à partir de foyers d’introduction dans la faune sauvage. Et des situations où nous n’avons pas été en capacité collective de le faire ». Comment l’expliquer ? Il y a plusieurs éléments de réponse à prendre en compte. Tout d’abord, il semblerait que ce virus ait des propriétés biologiques différentes, avec d’une part, un virus qui aurait une plus forte affinité pour le canard, et d’autre part, des animaux qui excréteraient des niveaux plus élevés de virus. Ce qui facilite la diffusion de proximité entre élevages, et qui peut d’ailleurs expliquer la forte dissémination virale au sein du compartiment sauvage.

De plus, il ressort que la contagiosité des animaux infectés est précoce avec une excrétion virale qui débute plusieurs jours avant l’apparition de la mortalité, et donc de la suspicion clinique. « Sur les premiers foyers, dans les zones à haute densité d’animaux, ce mécanisme a dû être particulièrement sévère », a souligné Jean-Luc Guérin lors de cette conférence de presse.

Une crise qui a pris de court

In fine, il apparaît une multitude de voies de contamination possibles, même pour des systèmes bien maîtrisés. « Nous avons sans doute sous-estimé la sévérité du risque, y compris les scientifiques, et donc la capacité à maîtriser la diffusion de proche en proche », estime-t-il.

Le risque est aussi à appréhender à l’échelle d’un territoire, et c’est particulièrement vrai pour la zone de production du Sud-Ouest. Ici, la période à risque d’influenza colle à une période de forte production avec des densités élevées d’animaux. Plus particulièrement dans certaines zones, comme la Chalosse : c’est à partir de la détection de foyers en décembre à proximité et dans cette zone qu’il y a eu une véritable flambée de l’épizootie. À l’occasion d’une autre table ronde3, en mars, organisée par la chambre d’agriculture des Landes, Jean-Luc Guérin a souligné que « du point de vue du virus, en Chalosse, il n’a vu qu’une seule exploitation. Personne, pris isolément, n’est responsable, mais on a un contexte qui est très favorable. »

Et maintenant, quelles solutions ? Dans ce contexte, complexe, les professionnels, les scientifiques, et les pouvoirs publics sont en ordre de marche pour tirer les leçons de la crise. Depuis plusieurs semaines, sont engagées des discussions, via des groupes de travail régionaux et nationaux, pour réécrire la feuille de route Influenza aviaire publiée à la suite des épizooties de 2015-2016 et 2016-2017. Toutes les questions sont sur la table. Sollicité, Jean-Luc Guérin explique : « La difficulté est qu’il n’y a pas qu’une seule réponse possible pour maîtriser le risque influenza, mais un ensemble de réponses, car cette crise est multifactorielle. Il va donc nous falloir identifier les facteurs de risque les plus importants, les plus accessibles et les moins coûteux à mettre en œuvre en termes d’investissements et de vie sur le long terme. »

Pas de sujets tabous

Parmi les facteurs de risque qui seront abordés, celui de la densité : il s’agira de « voir dans quelle mesure il serait possible d’étaler un peu plus la production dans l’année, notamment pour les filières en circuits courts ». Il y a la question aussi de la dérogation à la claustration qui a été accordée à plusieurs élevages. À ce sujet, lors de la table ronde, Cécile Bigot-Dekeyzer, la préfète des Landes, a indiqué que l’avenir de la dérogation sera acté par le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation. Si elle est rendue obligatoire, la claustration des animaux ne serait utile que si le niveau de risque épizootique est élevé, a pris soin de souligner Jean-Luc Guérin lors de la conférence de presse du Cifog. Des marges de progrès sont également à faire en matière de biosécurité : « Dans beaucoup de situations, le virus est rentré par la porte, par des problèmes de franchissement de sas. Donc clairement il y a un travail là-dessus, il faut revenir aux basiques de biosécurité et repositionner l’élevage dans son environnement immédiat », a affirmé Jean-Luc Guérin au cours de la table ronde. La maîtrise des facteurs humains proprement dits (attrapeurs, vaccinateurs, etc.) reste aussi un point à améliorer. En revanche, depuis la dernière épizootie, la biosécurité des transports s’étant fortement améliorée, ce facteur a moins contribué à la diffusion du virus.

L’amont n’est évidemment pas le seul dans le viseur, le gestionnaire de risque l’est aussi, et il faudra voir ce qui a fonctionné ou pas. « Il s’agira aussi d’améliorer nos process d’anticipation des décisions et être beaucoup plus opérationnel, explique Jean-Luc Guérin. Pour les abattages, il faudra voir dans quelle mesure des dispositifs plus légers et mobiles permettraient d’éviter de faire appel systématiquement au vétérinaire pour l’euthanasie des animaux. »

Enfin, les groupes de travail ne feront pas l’impasse sur la question de la vaccination. Un premier projet de feuille de route est attendu pour fin avril, et une validation finale avec l’ensemble des parties prenantes pour la fin du mois de juin. Jean-Luc Guérin l’assure : « Je ne peux pas évoquer la teneur de ces réunions mais ce que je peux dire est que les discussions sont riches, sans tabous, et déboucheront sur des propositions concrètes. Des choses vont changer, il faut l’espérer en tout cas ! »

1. Le 8 décembre correspond au premier foyer dans un élevage commercial dans les Landes. Avant cela, les foyers concernaient uniquement des enseignes de jardinage (zone animalerie), avec le tout premier foyer confirmé le 16 novembre 2020 en Haute-Corse.

2. www.bit.ly/3dxFe7K

3. www.bit.ly/32rXQjl

Les données présentées ici sont celles de la plateforme nationale d’épidémiosurveillance en santé animale (ESA). Les foyers incluent les élevages et les oiseaux captifs. www.bit.ly/3dxyU0a

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